Rémy Bourgeon, le président d’Alderan, gestionnaire d’ActivImmo, livre sa vision de l’évolution des marchés immobiliers. Il annonce une nouvelle importante acquisition pour sa SCPI logistique. Et dévoile la date de lancement cible d’un nouveau véhicule. Il est l’invité des « Acteurs de la pierre-papier ». Interview.
Alderan est aujourd’hui bien connue, en raison du succès de sa SCPI ActivImmo dédiée au secteur logistique. Mais avant de parler de ce segment, un mot sur les marchés immobiliers dans leur globalité. Vous avez évoqué, en préparant cet entretien, des « perspectives sombres ». Est-ce à dire que vous n’entrevoyez pas d’amélioration au cours des prochains mois ? Ni en termes de volumes, ni en termes de prix ?
Rémy Bourgeon – Je commencerais par rappeler l’extrême corrélation entre taux d’intérêt et fluidité du marché immobilier. L’annonce, toute récente, de la BCE, qui a décidé de rehausser son taux de référence sur les dépôts à 3,5%, va par exemple avoir des conséquences immédiates. Elle implique une hausse du taux de refinancement pour les banques. Donc une hausse des taux des crédits accordés aux particuliers cherchant à acquérir un bien immobilier. Or l’on sait que les primo-accédants ont déjà perdu près de 25% de « pouvoir d’achat immobilier » ces derniers mois. Ce qui est considérable. Donc, quand j’évoquais ces « perspectives sombres », je voulais faire référence à ce phénomène de pénurie -côté acheteurs- qui est en train de se mettre en place. Avec, en face, des vendeurs qui vont renoncer, faute d’obtenir le prix espéré…
C’est le constat que l’on peut faire aujourd’hui : des marchés immobiliers « bloqués ». Ou en déblocages partiels, mais assortis de baisses de prix. Dont l’ampleur varie toutefois selon les secteurs…
Rémy Bourgeon – Dans l’immobilier tertiaire, certaines classes d’actifs ont effectivement subi des contre-coups importants depuis la crise sanitaire. Les bureaux, plus particulièrement. Le secteur du commerce, également, mais pour d’autres raisons. D’où l’intérêt, pour les investisseurs, de davantage raisonner en thématique qu’en diversification globale…
L’une de vos spécialités, je l’ai rappelé, c’est le secteur logistique. Ce secteur a lui aussi fortement corrigé, au niveau européen en tout cas. Quelle est, plus précisément, l’ampleur de cette correction ? Et va-t-elle se poursuivre ?
Rémy Bourgeon – L’étalon est le taux prime, celui négocié lors des transactions portant sur les meilleurs actifs logistiques. Ce taux prime était, en avril 2022, il y a donc 15 mois environ, très largement inférieur à 4%. La correction s’est traduite par une hausse de ces taux de référence d’au moins 150 points de base. C’est-à-dire que les actifs qui se vendaient à 3,2% sont aujourd’hui acquis à environ 4,7%… Cette correction des prix, effectivement européenne, nous l’avions en partie anticipée. Et elle est effectivement plus marquée sur certains marchés à l’étranger…
Tel que le marché espagnol, que vous évoquiez lors de notre dernier entretien…
Rémy Bourgeon – Absolument.
Mais les marchés logistiques qui ont le plus corrigé ne sont pas nécessairement ceux où ActivImmo est présente. Je pense au Royaume-Uni, ou aux marchés du nord de l’Europe…
Rémy Bourgeon – Nous ne sommes effectivement pas présents au Royaume-Uni. Car ActivImmo n’achète pas en dehors de la zone euro. Mais il est clair que le Brexit a provoqué l’effondrement de la valeur d’un grand nombre d’actifs. Il y a aussi une correction sur les marchés d’Europe du Nord. Et c’est d’ailleurs une bonne nouvelle pour ActivImmo, car elle va prochainement y investir. Et bénéficier, donc, de biens meilleurs rendements que si elle s’y était positionnée l’an dernier. Je rappelle en effet qu’ActivImmo, depuis le début de l’année, a entamé sa diversification européenne.
Mais quel est l’impact de cette correction sur la gestion de votre SCPI ? Elle a nécessairement conduit à une baisse de la valeur des actifs que vous aviez déjà en portefeuille. D’ailleurs, quelle est l’évolution des valeurs d’expertise d’ActivImmo entre fin 2021 et fin 2022 ?
Rémy Bourgeon – La baisse que vous évoquez n’affecte en réalité que les actifs les plus récents, ceux que nous avons achetés courant 2022. Mais pas les biens acquis en 2020 et 2021… La baisse globale du portefeuille est de l’ordre de -2%. Ce qui nous semble une correction tout à fait acceptable. Reste bien sûr l’inconnue des valeurs d’expertise à fin 2023. Et la manière dont les évaluateurs qui ont, paraît-il, « réfréné leurs ardeurs » cette année, traiteront le sujet l’an prochain… Mais nous verrons bien. Je reste confiant. Car nous avons vraiment bien anticipé le pic du marché, en achetant finalement à des niveaux encore relativement confortables.
Si je vous entends bien, le prix de souscription d’ActivImmo est donc toujours décoté par rapport à sa nouvelle valeur de reconstitution ?
Rémy Bourgeon – Toujours en situation de légère décote, oui. De l’ordre de 2,27%, de mémoire[1]…
Le point le plus important est toutefois aujourd’hui le niveau de la collecte d’une SCPI. Et donc de sa capacité à investir pour profiter des nouvelles conditions du marché. ActivImmo fait partie des SCPI qui se positionnent régulièrement dans le top 10 des SCPI les plus collectrices. Le 1T 2023 confirme ce statut. Mais montre néanmoins une collecte en léger retrait, par rapport à 2022. Le 2T confirme-t-il cette tendance ? Et, plus globalement, comment anticipez-vous l’état de la collecte en 2023 ?
Rémy Bourgeon – Très bonne question… Il est clair que 2022 a été une année record pour l’ensemble des SCPI. La collecte a dépassé les 10 Md€. Ce qui est considérable. Il fallait donc forcément s’attendre à un tassement en 2023. Il devrait être de l’ordre d’une vingtaine de pourcents, pour l’ensemble du marché. Pour ActivImmo, nous estimons que ce repli sera de l’ordre de 15%. Pour mémoire, notre SCPI a collecté 484 M€ en 2022. Sa collecte 2023 devrait donc avoisiner 420 M€. Ce qui demeure un montant très significatif. Et qu’il faudra donc investir, quoi qu’il arrive…
Parlons donc de vos dernières acquisitions. ActivImmo est en général toujours en avance dans le déploiement de sa collecte. Est-ce encore le cas aujourd’hui ?
Rémy Bourgeon – C’est tout à fait le cas. Puisque nous avons bouclé, la semaine dernière, l’acquisition d’un portefeuille off market de 115 M€. Que nous n’avons pas encore annoncé officiellement, car il s’agit d’une opération en deux phases, l’une en juin, l’autre en juillet. L’important reste que cette acquisition, importante en montant, va de même avoir un très important effet relutif sur la performance. Elle conduit également à un assèchement ponctuel de notre trésorerie, puisqu’elle emploie la quasi-totalité de la collecte engrangée depuis le début de l’année. Nous en sommes extrêmement satisfaits. Surtout parce que ce portefeuille a été acquis dans d’excellentes conditions…
Des précisions sur son rendement et sa localisation ?
Rémy Bourgeon – Globalement, sa rentabilité est supérieure à 6%. Plutôt supérieure à 6,2%, d’ailleurs. Nous avons notamment obtenu que toutes les indexations, entre le début des négociations et la finalisation de l’acquisition, nous restent acquises. C’est un vrai plus. Quant à la localisation des actifs, elle est exclusivement française.
On a déjà rapidement évoqué le marché des SCPI. Outre ce tassement de la collecte, il est également challengé sur le sujet de la valorisation des parts. Un véhicule a déjà entériné une baisse de son prix de souscription. D’autres pourraient suivre dans les prochaines semaines. Quel pourrait être l’impact de ce type de signal « négatif » sur l’ensemble du marché. Y a-t-il un risque de désamour des épargnants pour le placement SCPI ? Voire un risque de liquidité ?
Rémy Bourgeon – Deux questions assez pointues… Commençons par le sujet « désamour » pour les SCPI. Je n’y crois pas. Pas totalement, en tout cas. Je pense que les SCPI vont en revanche avoir, notamment au second semestre, de vrais concurrents. Telles que les émissions obligataires, en mesure de servir des rendements qui seront au niveau de ceux que servent, globalement, les SCPI à leurs souscripteurs. Mais la SCPI reste un placement de long terme. Il ne faut jamais l’oublier. Même en cas de baisse partielle de la valeur de sa part, le souscripteur continue à toucher le même revenu que précédemment. La SCPI est donc un vrai produit d’épargne. Un produit géré par des professionnels. Et qui ôte donc beaucoup de soucis à ceux qui les détiennent, notamment via la mutualisation de leurs risques. Mais la SCPI est effectivement dorénavant davantage concurrencée par certains produits financiers…
Vous portez, depuis près d’un an, le projet de lancer une autre SCPI, dont on ne connaît d’ailleurs pas encore le nom… Ce projet est-il confirmé ? Et à quel moment ce lancement sera-t-il acté ?
Rémy Bourgeon – Cette nouvelle SCPI est en train de finaliser son parcours AMF. Si tout se déroule comme prévu, l’assemblée générale des fondateurs devrait se tenir en septembre prochain. La SCPI devrait donc être « opérationnelle » en octobre. Avec, sans doute, déjà une première opération dès son lancement, et une montée en puissance au 1er trimestre 2024. Car, comme toujours chez Alderan, nous essayons d’anticiper le pipeline d’acquisitions…
Rappelez-nous le positionnement de cette SCPI…
Rémy Bourgeon – Ce sera une SCPI diversifiée, hors logistique. Et exclusivement européenne. Ce qui signifie qu’elle n’investira pas en France métropolitaine. Elle pourra néanmoins acquérir des actifs logistiques, mais hors zone euro, cette classe d’actifs étant « réservée » en zone euro à ActivImmo …
J’ai cru comprendre qu’elle bénéficierait aussi d’une campagne de commercialisation un peu particulière ?
Rémy Bourgeon – C’est un sujet auquel répondra plus précisément notre directrice du développement et du marketing[2] qui a organisé le lancement de cette SCPI, en particulier lors du salon Patrimonia. Mais, globalement, nous allons reprendre les recettes qui ont fait le succès d’ActivImmo. Sur la dématérialisation des parts. Sur le réinvestissement des dividendes. Sur la digitalisation en général. Nous avons par exemple, depuis un an, mis en place un outil spécifique qui permet à nos prescripteurs – les conseillers en gestion de patrimoine- mais aussi aux souscripteurs d’accéder à leurs portefeuilles extrêmement facilement…
Dernière question : est-ce une bonne idée de lancer une SCPI dans les conditions de marché que l’on vient d’évoquer ?
Rémy Bourgeon – Si j’en juge à l’aune de certains de nos échanges avec l’AMF, dans le cadre de la procédure d’agrément de notre nouvelle SCPI, c’est une question que l’on peut se poser. Nous avons, de fait, un peu attendu pour lancer ce nouveau véhicule. Il était initialement prévu pour début 2023. Mais nous avons préféré attendre, pour voir comment les conditions de marchés allaient évoluer. Et je crois, compte tenu des taux de rendement actuels des actifs immobiliers, et des demandes de nos clients -en matière de fiscalité, notamment-, que c’est effectivement un moment opportun pour lancer une nouvelle SCPI…
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A propos d’Alderan(i)
Alderan est une société de gestion créée en 2015 par Rémy Bourgeon. Elle est issue d’un family office immobilier, Ojirel, spécialisé depuis 20 ans en immobilier professionnel, et en particulier dans le secteur des locaux d’activités et la logistique. Alderan agit de manière indépendante sur l’ensemble du cycle de détention : acquisition, gestion et revente. Sa connaissance du marché et son réseau d’apporteurs d’affaires permettent à Alderan d’avoir accès à des opérations exclusives et « off market ».
(i) Information extraite d’un document officiel de la société
[1] NDLR – En réalité, -2,27% est la variation de la valeur de reconstitution d’ActivImmo entre 2021 et 2022. La décote du prix de souscription sur la valeur de reconstitution à fin 2022 ressort quant à elle à -0,37%.
[2] Pauline Collet