Daniel While, le directeur Recherche, stratégie et développement durable de Primonial REIM livre sa vision de l’état des marchés immobiliers. Et des conséquences du nouveau contexte économique sur la hiérarchie des placements. Pour l’invité des Acteurs de la pierre-papier, la collecte en SCPI devrait se maintenir. Interview.
Parlons d’abord de l’impact du contexte économique. Dans l’une de vos dernières études, vous expliquez que l’économie mondiale est entrée dans un nouveau cycle, une nouvelle époque. Plus précisément ?
Daniel While – Je parlerais plutôt de « nouveau régime ». Effectivement, sans préjuger de ce qui pourrait se passer dans les prochains 18-24 mois, le consensus est que le monde est sorti de l’ère des taux négatifs. Et du contexte de très faible inflation qui allait de pair. Cela signifie un système de coordonnées entièrement nouveau pour l’immobilier. La Banque centrale européenne affiche dorénavant un objectif d’inflation de l’ordre de 2%. Auparavant, c’était un maximum. Cela va devenir un minimum. Or, 2% d’inflation, 2% de taux d’intérêt, cela induit une réévaluation de l’ensemble des primes de risque. Cela signifie notamment que l’immobilier, qui caracolait en tête des placements par rapport à ce critère, a désormais des concurrents. Notamment le concurrent obligataire. Et son pendant grand public, le fonds en euros de l’assurance-vie. Du point de vue de l’épargnant, c’est une évolution qui est assez importante.
L’immobilier n’est donc plus la star des placements en termes de prime de risque. On va y revenir… A plus court terme, on constate toutefois que les marchés immobiliers avaient, jusqu’à l’été dernier, plutôt bien résisté. En témoignaient alors tant les chiffres de transactions que de rendement. Depuis la rentrée, le marché est en revanche clairement attentiste. Où en est-on aujourd’hui ?
Daniel While – Cette bonne résistance de l’immobilier s’explique pour trois raisons. La première, c’est que le marché locatif se porte bien. Objectivement, je dirais que la demande placée s’établit toujours aux alentours de 2 millions de mètres carrés par an en Ile-de-France. Les chiffres de l’emploi sont bons. Et assez déconnectés, finalement, des chiffres de la croissance. Or l’important, pour le bureau notamment, ce sont les chiffres de créations d’emploi. Deuxième raison : l’effet positif de l’indexation des loyers en contexte inflationniste. C’est l’une des grandes forces de l’immobilier. Et c’est d’ailleurs pourquoi il réussira quand même à tirer son épingle du jeu en termes de placement. Grâce, effectivement, à sa capacité à couvrir, imparfaitement certes, mais à couvrir quand même les effets de l’inflation par le biais de l’indexation des loyers.
Et la troisième raison ?
Daniel While – Elle résulte de la « lenteur » des expertises immobilières. Qui permet, de fait, d’amortir les chocs. Contrairement aux valeurs boursières, où les signaux de prix sont instantanés, les expertises ne prennent que progressivement en compte le nouveau contexte. Car les hausses de taux auxquelles on assiste vont, certes, toutes dans le même sens, la hausse. Mais elles sont actées à intervalle régulier. Et sont anticipées. En réalité, le plus « destructeur », ce ne sont pas les hausses de taux. Mais les anticipations de hausses de taux. Idem pour l’inflation. Or, compte tenu de la politique relativement coordonnée des différentes banques centrales, et leur calendrier prévisionnel des hausses à venir, les acteurs peuvent s’adapter. Comme vous l’indiquiez, il y a effectivement aujourd’hui un attentisme de la part des investisseurs institutionnels. Mais pas de pessimisme. C’est-à-dire pas d’anticipations de « craquage ». Ni de retournement.
En réalité, les investisseurs « acheteurs » attendent des baisses de valeur…
Daniel While – Effectivement, ils attendent une baisse des valeurs. Autrement dit, en termes plus démocratiques, la reconstitution de la prime de risque… Ce n’est d’ailleurs pas forcément la même chose. Car une augmentation des taux -de rendement- n’implique pas, mécaniquement, une baisse des valeurs. Puisque, entre les deux, il y a l’indexation des loyers. Cette indexation joue, de fait, un rôle de parachute, d’amortisseur de l’impact sur les valorisations de la hausse des taux.
Vous l’avez dit précédemment. Une nouvelle hiérarchie des placements est en train de se mettre en place. Quels sont les atouts -résiduels- du placement immobilier dans ce nouveau contexte ? Et comment vont se manifester les premiers impacts sur cette classe d’actifs ?
Daniel While – Deux points à examiner. Le premier, c’est le réajustement des primes de risque sur les actifs dits « classiques ». Notamment les bureaux. Ce réajustement est déjà en cours. Il sera acté en fin d’année. Le taux de rendement ou de capitalisation du bureau « prime » va, je pense, s’apprécier de 40 à 80 points de base. Ce qui serait, en réalité, une normalisation. Le deuxième point, c’est la montée en puissance des classes immobilières dites alternatives. Par exemple, chez Primonial REIM, nous sommes plus particulièrement présents sur l’une d’entre elles, l’immobilier de santé. D’autres secteurs, comme la logistique, ont connu et vont poursuivre leur expansion. Tout comme les stratégies dites « value added », c’est-à-dire créatrices de valeur. Car elles sont, elles aussi, l’une des solutions pour reconstituer la prime de risque. La conséquence de ces diverses tendances, c’est que la gamme des placements immobiliers va s’étoffer.
C’est-à-dire ?
Daniel While – Les sociétés de gestion vont devoir gérer cette transition. Et s’adapter à ce nouveau monde où les placements immobiliers seront de nouveau en concurrence avec des placements sans risque, garantis en capital. Et dont les rendements pourront dorénavant dépasser 2,5%, 3%, 3,5%…
L’industrie de la gestion d’actifs immobiliers va aussi devoir faire face à une autre contrainte : la contrainte ESG. Dont le coût, on le sait, est énorme. Comment les gestionnaires immobilier pourront-ils gérer à la fois cette remise en cause de la hiérarchie des placements… et ces coûts supplémentaires ? Qui vont, évidemment, peser sur les rendements ?
Daniel While – Il n’y a pas nécessairement de contradiction. Par exemple, dans le cadre d’une stratégie value added, le coût de la décarbonation peut entrer dans le cadre des « capex »[1]. Il n’y a donc pas nécessairement addition des deux contraintes. Ce qui est clair, en revanche, c’est que le sujet ESG s’est invité dans les valorisations. Industrie de la gestion et investisseurs sont désormais très centrés sur les différentes labels. Celui qui connaît un franc succès, c’est notamment le label ISR. Je pense que la prochaine étape est l’intégration spécifique du facteur carbone, de son intensité, dans le prix des actifs. Plusieurs travaux de recherche traitent déjà de cette question. Il faut donc repositionner ce sujet ESG dans un contexte plus global.
Plus précisément ?
Daniel While – Si les travaux de rénovation mis en œuvre permettent d’obtenir une meilleure intensité carbone, il peut en résulter une hausse des loyers. Les actifs rénovés bénéficieront de ce fait d’une liquidité accrue. En réalité, ce qui va changer, c’est l’équation, dans le temps, des business plans des immeubles. Il n’y aura pas nécessairement une perte sèche du fait d’une obligation de travaux. Cet étalement, dans le temps, de la mise à niveau ESG des actifs, est d’ailleurs une nécessité pour des véhicules comme les SCPI. Ce sont des véhicules, d’abord, de distribution. Ils ne pourront donc pas rénover ou restructurer immédiatement 100% de leurs actifs sous gestion.
Si les investisseurs institutionnels sont dans l’attentisme, ce n’est pas le cas des SCPI. Ou, plus exactement, de leurs souscripteurs. Puisque la collecte du 3e trimestre reste encore à des sommets. Depuis le début de l’année, les SCPI ont collecté plus de 7,5 Md€. Et devraient distribuer en 2002, en moyenne, et selon les projections de l’ASPIM, un rendement de 4,5%. Rien ne peut donc venir tasser cette collecte record ?
Daniel While – Collecte record, je ne sais pas. Mais collecte importante, oui, cela me paraît relativement acquis. Pourquoi ? Parce qu’en fait, et c’est absolument structurel, les SCPI et les autres véhicules immobiliers -les SCI notamment- ont changé de statut au cours des 10 dernières années. Ils ont gagné leur place dans l’allocation des particuliers. Intermédiés, pour l’essentiel, par les conseillers en gestion de patrimoine. Ils ont aussi pleinement gagné leur place dans les circuits de l’assurance-vie et de la banque privée. Cette inclusion dans le bouquet des placements est désormais acquise. En revanche, SCPI et autres véhicules immobiliers seront dorénavant, je l’ai dit, davantage concurrencés. Notamment par les produits structurés.
Ou, peut-être, par le retour en grâce des fonds en euros ?
Daniel While – Absolument. En sachant toutefois que les assureurs ont aussi des incitations à limiter l’emploi des fonds en euros. Mais l’important reste que la collecte des SCPI sera, de toute façon, portée par l’industrie de la distribution.
En supposant qu’il y ait un arrêt -ou un tassement- de la collecte en SCPI, quel impact sur les rendements ou les plus-values futurs ?
Daniel While – Historiquement, les tassements de collecte bénéficient plutôt à la performance… Rappelons-le, le côté « sportif » de la SCPI, c’est sa capacité à ajuster sa course entre collecte et investissements. Donc, de faire en sorte de ne pas trop collecter sans investir. Ou de trop investir sans collecter. Mais le vrai sujet, c’est que selon moi la collecte en immobilier va rester importante. Parce que les Français ont besoin de préparer leur retraite. Et qu’ils ont donc besoin des véhicules immobiliers.
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A propos de Primonial REIM France(i)
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(i) Information extraite d’un document officiel de la société.
[1] Dépenses d’investissements en capital.