Retour sur les baisses du prix des parts de certaines SCPI en 2023. Et sur le sujet de leur liquidité. Ces problèmes vont-ils perdurer en 2024 ? S’accentuer ? Pierre Schoeffler, senior advisor à l’IEIF, conseiller du président de La Française, n’exclut pas que certaines SCPI soient contraintes de repasser en capital fixe… Interview.
Après avoir analysé les différents indicateurs avancés des marchés immobiliers, parlons maintenant des conséquences sur les valeurs d’expertise des SCPI. Certaines ont acté la baisse de leur patrimoine : cela a été le feuilleton de l’été 2023. Certaines, aussi, ont surpris le marché, en fin d‘année, en annonçant de nouvelles dévalorisations. On s’attend d’ailleurs à ce que d’autres gestionnaires le fassent prochainement… Ces baisses, selon vous, sont-elles suffisantes ? Vont-elles se poursuivre en 2024 ?
Pierre Schoeffler – Jusqu’à présent, on traitait le marché immobilier comme un tout. En fait, les marchés immobiliers sont très divers, vous le savez. Il y a quantité de segments différents, de géographies différentes, et donc de dynamiques différentes. Les SCPI, ces dernières années, se sont elles aussi spécialisées sur de nouveaux créneaux. Comme la santé, l’éducation, la logistique… Elles se sont aussi, pour la plupart, ouvertes sur l’Europe. On ne peut donc s’attendre à ce que toutes réagissent de la même façon. En pratique, c’est environ le tiers de la capitalisation des SCPI investies en immobilier d’entreprise qui a revu ses prix à la baisse en 2023. Avec les premiers jets d’AEW et d’Amundi. Si l’on pondère par la capitalisation, la baisse constatée est donc de l’ordre de 13%. L’indice EDHEC IEIF, qui traque l’ensemble de ces SCPI, ne baisse quant à lui, pour l’instant[1], que de 4%.
Parce que d’autres SCPI ont aussi révisé leur prix, mais à la hausse…
Pierre Schoeffler – Car, effectivement, parallèlement à ces baisses -qui sont essentiellement le fait de SCPI bureau-, d’autres SCPI, moins nombreuses, ont pu réajuster à la hausse le prix de leurs parts.
D’où ce fameux débat entre les SCPI « alourdies » par de « vieux » patrimoines, et celles qui sont en train de les constituer…
Pierre Schoeffler – Il y a aussi les SCPI qui interviennent sur des segments qui avaient déjà corrigé. Comme ceux, par exemple, du commerce. Ou de la logistique. Ce sont bien aujourd’hui les bureaux qui posent problème… Et puis il faut resituer le sujet au niveau européen. Les deux grands pays de l’épargne immobilière, ce sont la France et l’Allemagne. En Allemagne, les fonds immobiliers ouverts ont d’ailleurs une taille supérieure à celle des SCPI. Ils commencent, eux aussi, à sentir le contre-coup de la crise. Les parts du principal portefeuille du gestionnaire KanAm Ground Group, ouvert en 2019 -et qui a donc acheté au plus haut du marché-, ont été dévalorisées de 10% le mois dernier. Alors même que ses actifs sous gestion sont de très grande qualité.
Plus précisément…
Pierre Schoeffler – Ce sont des actifs « verts », loués pour la plupart à de grandes administrations. Donc, tout à fait « core », par définition. L’Allemagne est donc elle aussi touchée par ce sujet des valorisations. Il est d’ailleurs important que les fonds immobiliers réagissent aux signaux de marché. En s’ajustant à la baisse, si nécessaire, pour maintenir la confiance des épargnants.
Mais tous les gestionnaires d’actifs immobiliers ont-ils joué le jeu ? Le fait d’annoncer des baisses de parts, par vagues successives, n’est-il pas de nature, au contraire, à détériorer la confiance des épargnants ou des réseaux de distribution dans le produit SCPI ?
Pierre Schoeffler – C’est là où les gestionnaires de SCPI doivent bien expliquer leurs stratégies. Encore une fois, une SCPI santé ou éducation peut ne pas voir sa valeur de part bouger. Elle pourrait même s’apprécier. Mais il faut expliquer pourquoi. En revanche, pour celles qui ont des portefeuilles majoritairement investis en bureaux banalisés, il faut impérativement jouer la vérité du prix des parts. Ne serait-ce que pour le bien des gestionnaires eux-mêmes. Parce que, ce faisant, ils réajustent de ce fait son rendement courant. Ce qui permettra à la collecte de repartir dans de bonnes conditions. Lorsque le grand public aura le sentiment que la crise est passée.
Ce réajustement du prix des parts a aussi pour objectif de « résoudre » le problème de liquidité que connaissent aujourd’hui les SCPI. Où en est-on d’ailleurs, en termes de volume, sur le nombre de parts en attente ? 3% environ ?
Pierre Schoeffler – Oui, alors, rappelons que les SCPI sont des instruments très intéressants. Parce qu’elles ont développé depuis leur création, en 1968/1969, une pratique de la gestion de la liquidité qui est, aujourd’hui encore, assez avancée. Les techniques dites de swing pricing –ajustement de la valeur liquidative autour de la valeur de reconstitution à plus ou moins 10%-, permettent déjà d’ajuster les chocs. Mais les SCPI ont également la possibilité de constituer un fonds de remboursement, alimenté par la vente d’actifs. Evidemment, il y a alors un « prix à payer ». Qui dit vente d’actifs dit modification de la structure du portefeuille. Donc, pour tenir compte de l’avantage du « premier sortant », celui qui veut sortir via ce dispositif se verra appliquer une décote supplémentaire[2]. Qui peut aller jusqu’à 90% de la valeur de réalisation.
Mais cela ne résout pas le sujet des parts en attente…
Pierre Schoeffler – C’est vrai que le problème principal, aujourd’hui, est celui des parts en attente de cession. Elles ont augmenté de manière très nette. Parce que la collecte nette n’est pas suffisante pour « avaler » ces parts en attente. Ce problème est d’une ampleur telle que l’on ne peut exclure que certaines SCPI passent de capital variable à capital fixe, sans doute en début d’année 2024.
Ce serait un mauvais signal envoyé au marché…
Pierre Schoeffler – Pas forcément. Disons que c’est un mauvais coup pour les épargnants s’ils sortent ou s’ils veulent sortir. Mais personne ne les oblige à sortir. Le problème, s’ils sortent, c’est que les acheteurs seront des acheteurs opportunistes. Et que donc il y aura une décote importante par rapport à la valeur de réalisation qui risque d’être appliquée…
Votre conseil est donc : conserver ses parts de SCPI, avec en ligne de mire un possible redressement des marchés immobiliers à l’horizon 2025…
Pierre Schoeffler – Exactement. La durée de détention moyenne des SCPI est historiquement de 50 ans. Il faut les conserver…
Propos recueillis le 19 décembre 2023
Lire aussi
- « La dynamique de la baisse perd de sa vigueur… » – Pierre Schoeffler, IEIF
- SCPI : quels gestionnaires ont le plus collecté – décollecté…- au 3T 2023 ?
- La collecte trimestrielle des SCPI repasse sous la barre du milliard d’euros
- SCPI : liquides, moins liquides ?
- Pierre Schoeffler, IEIF : « Il est nécessaire d’aller vers une véritable notation des SCPI. »
A propos de l’IEIF(i)
Créé en 1986, l’IEIF est un centre d’études, de recherche et de prospective indépendant spécialisé en immobilier. Son objectif est de soutenir les acteurs de l’immobilier et de l’investissement dans leur activité et leur réflexion stratégique, en leur proposant des études, notes d’analyses, synthèses et clubs de réflexion
L’approche de l’IEIF intègre l’immobilier à la fois dans l’économie et dans l’allocation d’actifs. Elle est transversale, l’IEIF suivant à la fois les marchés (immobilier d’entreprise, logement), les fonds immobiliers (cotés : SIIC, REIT ; non cotés : SCPI, OPCI, FIA) et le financement.
A propos de La Française(i)
Les changements majeurs liés aux défis environnementaux et sociétaux sont autant d’opportunités de considérer l’avenir. Les nouveaux leviers identifiés constitueront la croissance et la performance financière et immobilière de demain. C’est dans cet esprit que La Française, groupe de gestion, forge ses convictions d’investissement et conçoit sa mission. Le groupe utilise sa capacité d’innovation et sa technologie au service de sa clientèle et pour concevoir ses solutions d’investissement alliant rendement et durabilité. Organisé autour de 2 piliers que sont les « actifs financiers » et les « actifs immobiliers », La Française se développe auprès d’une clientèle institutionnelle et patrimoniale en France et à l’international. La Française gère plus de 55 milliards d’euros d’actifs à travers ses implantations à Paris, Francfort, Hambourg, Londres, Luxembourg, Madrid, Milan et Séoul. (31/12/2021).
(i) Information extraite d’un document officiel de la société.
[1] Valeur de l’indice au 31/10/2023.
[2] Par rapport au dispositif de rachat « classique », qui se fait sur la base de la valeur de retrait (NDLR).