Les baisses du prix des parts de plusieurs SCPI, depuis la mi-2023, ont conduit à des analyses contrastées… et à des commentaires parfois musclés. Mais tout a-t-il été dit ? Non, répond Guy Marty, interrogé par Fabrice Cousté dans le cadre de l’émission « La gestion de patrimoine dans tous ses états ». Ses explications…
Fabrice Cousté
Nous allons parler des baisses de valeurs de parts dans les SCPI, les Sociétés Civiles de Placement Immobilier. Collecte record en 2022. Et puis soudain, en 2023, patatras ! Premières baisses parfois importantes, en tout cas sur la collecte, et même sur les valeurs de parts. Les valeurs de parts ont chuté pour certaines SCPI, d’autres pas, et il semblerait que l’on s’attende à une nouvelle salve de dévalorisation, donc de valorisation à la baisse. Comment la situation a-t-elle pu évoluer si vite. Et se dégrader si rapidement ?
Guy Marty
Bonne question ! Les valeurs des parts sont déterminées par la société de gestion à partir des expertises des patrimoines immobiliers. En fait, il y a trois choses à comprendre sur l’expertise.
Pourquoi les parts de SCPI n’ont pas baissé fin 2022
D’abord, quand un expert examine un patrimoine immobilier, il va évidemment comparer l’immeuble qu’il regarde aux transactions qui ont eu lieu dans les deux, trois derniers mois. Et ces transactions-là ont été décidées deux, ou trois mois, auparavant. Donc, quand l’expert regarde un immeuble, il voit le marché tel qu’il commençait à bouger il y a quatre, cinq ou six mois. Ainsi cela peut faire un décalage.
De plus on n’est pas en Bourse, le marché immobilier a de l’inertie. Et si l’on revient à mi 2022 ou même au troisième trimestre 2022, le choc de taux d’intérêt s’était produit. Mais ne s’était pas encore traduit dans beaucoup de transactions immobilières. Voilà pourquoi les valeurs des parts n’ont pas baissé en fin 2022. C’est le premier aspect.
La comparaison avec les prix de marché pose problème
Et puis un deuxième aspect. En principe, la valeur d’un immeuble est une valeur théorique de vente dans des conditions normales de marché. Or, depuis 2023, il n’y a pas de conditions normales de marché ! Normalement il ne faut pas vendre. Donc, ceux qui vendent, c’est parce qu’ils sont obligés de le faire. Notamment, d’ailleurs, pour des questions de taux d’intérêt. Par exemple, vous avez un fonds immobilier, international ou français, qui, imaginons, est terriblement endetté. Il a une échéance de renouvellement de crédit. Il ne pourra pas. Donc, il va vendre quelques immeubles. Si bien que les transactions qu’il y a sur le marché aujourd’hui ne sont pas des transactions dans des conditions normales. Mais c’est le marché…
Fabrice Cousté
Pourtant, les SCPI ne sont pas supposées revendre leurs immeubles ?
Guy Marty
Exactement ! C’est la troisième chose à comprendre sur l’expertise. Et c’est probablement ce qui a été le moins bien compris. Depuis toujours, les experts français et allemands avaient l’habitude de lisser leur valeurs d’expertise dans le cadre des fonds immobiliers. Pourquoi ? Parce qu’ils considéraient, comme vous le dites justement, que la SCPI française, ou le fonds immobilier allemand, n’avait pas vocation à vendre ses immeubles. Donc, c’était plutôt le flux de revenus qui était important. Et après tout, si le marché subissait des chocs, cela ne se passait pas au niveau du fonds lui-même.
Quelle est la valeur d’un immeuble qu’on ne vendra pas ?
Mais il y avait une école anglo-saxonne, l’école du « mark to market ». À chaque instant, un fond doit être évalué comme s’il était liquidé le lendemain matin sur le marché… Or l’approche anglo-saxonne a envahi l’Europe. Et a déterminé la vision des autorités de tutelle, de régulation. Si bien qu’aujourd’hui, les experts sont tenus de faire des analyses « au marché ».
On assiste donc à un changement de nature du produit SCPI. Ainsi, depuis des années et des années, les SCPI ont traversé plusieurs crises immobilières. Avec finalement assez peu de fluctuations de la valeur de leurs parts. Cela correspondait à une certaine logique. Désormais, les prix des parts des SCPI, et aussi des OPCI et de tous les fonds réglementés, suivront les hausses et les baisses du marché. Même brutales, même accidentelles. Indépendamment des revenus qui, eux, sont beaucoup plus stables. Donc, il y a un changement de logique du produit.
Fabrice Cousté
C’est très clair. Donc cela veut dire que si le marché déprime, mécaniquement les valorisations vont baisser. Mais alors, si on évalue les parts de SCPI au prix du marché, quelles que soient les conditions du marché, on se rapproche un peu de la Bourse, non ?
Guy Marty
C’est bien la logique anglo-saxonne, aujourd’hui dominante. On avait une logique continentale, si vous voulez de « on ne vend jamais ». C’est pour cela d’ailleurs que, traditionnellement, nous avions, par exemple en France comme dans les pays du Sud de l’Europe, des droits d’enregistrement très élevés sur l’immobilier. « L’immobilier ne se vend pas »… il en était resté quelque chose. Les anglo-saxons, eux, c’est le marché, rien que le marché, au jour du jour.
Les baisses du prix des parts des SCPI envoient un signal
Mais cela veut dire quelque chose pour les SCPI. Si les parts baissent aujourd’hui, elles remonteront demain. C’est-à-dire que, si on suit le marché, on le suit à la baisse, on le suit aussi à la hausse. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que l’on est aujourd’hui dans un marché traumatisé par un « corner » entre la hausse des taux d’intérêt et l’endettement des fonds immobiliers. Il y a des acteurs qui sont obligés de vendre. Et donc le marché est mal orienté.
Alors je vous rassure, l’Allemagne est pire que la France. Et la Hollande est encore pire. Les marchés sur lesquels des investisseurs internationaux se sont précipités à crédit pour acheter beaucoup ces dernières années, souffrent beaucoup plus que nous.
Cela dit, certaines SCPI subissent des baisses de prix de parts. Mais cela remontera. Autrement dit, cette baisse n’a pas la signification qu’elle aurait eu dans un contexte précédent.
Fabrice Cousté
Combien de temps faudra-t-il patienter pour revoir une hausse, justement, de ces valorisations ?
Guy Marty
Je n’ai pas de boule de cristal. Tout ce que je sais, c’est que les crises immobilières prennent du temps à se dérouler. Aujourd’hui on assiste à une période terrible pour les fonds, les investisseurs institutionnels, qui ont besoin de vendre. Parfois pour des raisons très techniques. C’est formidable pour ceux qui peuvent acheter. Cette crise va dépendre aussi de la prospérité économique ou de la dureté de la récession. Elle peut durer plusieurs années, mais ce qui est certain, c’est qu’en fait les fonds qui vont le mieux traverser cette crise sont ceux qui, justement, auront les moyens d’être en position d’acheteurs.
Avoir les moyens d’acheter à la baisse
Parce que vous savez, quand on parle de nouvelles opportunités… Tout le monde parle des nouvelles opportunités dans ce marché. Oui, mais pour qu’il y ait des opportunités, il faut de l’argent, il faut des capitaux. Et donc le point essentiel qu’il faudrait suivre dans les prochains mois, les toutes prochaines années, c’est : est-ce que les SCPI collectent ? Est-ce que les OPCI collectent ? Est-ce que les fonds immobiliers FIA, etc. collectent ? On pourra d’autant mieux traverser la crise.
Fabrice Cousté
Donc pour vous, les SCPI, même celles qui ont enregistré des baisses de prix de parts, restent finalement un bon placement ?
Guy Marty
Oui parce que l’immobilier -y compris l’immobilier d’entreprise- traversera tout à fait le temps. Parce qu’il saura s’adapter. Et c’est justement là, la solidité du long terme…
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