Jean-Maxime Jouis, Global Head of Investment Management de BNP Paribas REIM, s’explique sur les baisses des prix des SCPI Accimmo Pierre et Opus Real. Et donne sa vision de l’évolution des marchés immobiliers. Interview.
Le sujet d’actualité, aujourd’hui, c’est celui de la baisse du prix des parts des SCPI. De certaines SCPI. BNP Paribas REIM a participé à ce « feuilleton de l’été », si je puis dire, en annonçant fin juillet la révision du prix d’Accimmo Pierre, l’une de vos plus grosses SCPI sous gestion, en termes de capitalisation. Rapidement, pouvez-vous revenir sur les raisons qui vous ont poussé à prendre cette décision ?
Jean-Maxime Jouis – Je ne vous apprendrais rien en rappelant que, depuis 18 mois environ, nous sommes confrontés à une évolution extrêmement rapide des taux d’intérêts. En hausse de plus de 400 points de base… Dans un horizon de temps aussi court, c’est assez inédit. Conséquence : de façon tout à fait « mécanique », l’ensemble des secteurs économiques et des classes d’actifs ont été impactés. Pour ce qui concerne l’immobilier, classe d’actifs « réels », l’ajustement des valorisations prend plus de temps. Mais il produit progressivement ses effets depuis l’été 2022…
Quid d’Accimmo Pierre ?
Jean-Maxime Jouis – Sur Accimmo Pierre, nous avions déjà enregistré un repli des valeurs lors des campagnes d’expertises menées en décembre 2022. Et, au regard des développements du marché lors du premier semestre de cette année, nous avions considéré qu’il devenait urgent de procéder à un nouvel exercice de valorisation. Ce faisant, nous avons d’ailleurs devancé la demande de l’AMF. Laquelle a incité l’ensemble des sociétés de gestion à adopter la même démarche. Les résultats de cette campagne de valorisation volontaire ont fait apparaître un repli des valeurs d’expertises d’environ 10%, en moyenne. Avec des comportements toutefois assez différenciés selon les classes d’actifs. Les replis les plus marqués portent sur les actifs de bureaux « périphériques ». Un segment de marché -le secteur des bureaux- auquel Accimmo Pierre est assez significativement exposée. Puisque les bureaux représentent plus de 70% des revenus locatifs de cette SCPI.
Nous allons revenir sur la thématique sectorielle. Mais un point d’explication complémentaire sur ce « décalage » en termes de valorisation. Pourquoi avoir autant attendu ? Même si vous avez devancé la demande de l’AMF, ne disposiez-vous pas, dès la fin de l’année 2022, de suffisamment de visibilité sur l’évolution des marchés immobiliers pour décider, alors, de baisser le prix de la part de certains véhicules ? Vous, ou les autres gestionnaires, d’ailleurs…
Jean-Maxime Jouis – Je ne me prononcerai évidemment pas sur les choix de mes confrères… En revanche ce que l’on peut dire concernant Accimmo Pierre, c’est que son prix de part, à fin 2022, était en surcote d’environ 7%. Donc dans le tunnel réglementaire applicable dans la fixation des prix…
Pas d’obligation réglementaire à baisser le prix, effectivement. Mais..
Jean-Maxime Jouis – Par ailleurs, il faut de nouveau rappeler que l’impact de la hausse des taux sur les prix des actifs immobiliers se manifeste de façon très progressive dans le temps. Nous ne considérons d’ailleurs pas être au bout de cet exercice d’ajustement des prix. Il est probable qu’il se poursuive. J’imagine d’ailleurs que l’on y reviendra, dans les mois qui viennent. Autrement dit, début 2023, nous sommes encore dans une situation où l’on aborde l’année, certes avec une surcote, mais sans pour autant considérer que la situation globale indique une urgence à ajuster le prix de notre SCPI. Cette urgence s’est manifestée un peu plus tardivement. Notamment au cours du 2T 2023. Où la raréfaction de la liquidité est devenue assez marquée. D’où notre décision de procéder à une nouvelle campagne de valorisation.
Baisse actée donc pour Accimmo Pierre. Statu quo pour Accès Valeur Pierre. Quid de votre dernière SCPI à capital variable, Opus Real ?
Jean-Maxime Jouis – Un mot d’abord sur Accès Valeur Pierre. Nous avons procédé au même exercice de valorisation à mi-année sur cette SCPI. Ces expertises ont fait ressortir une très belle résilience des actifs de son portefeuille. Celui-ci est composé à plus de 70% de bureaux, essentiellement parisiens (plus de 70%), en grande partie situés dans le QCA (plus de 40%). Le repli constaté n’est que de 4,8%. Ce qui nous a conduit à effectivement laisser inchangé le prix de la part, à 840 €. Lequel est actuellement quasiment identique à la valeur de reconstitution.
Et pour la SCPI Opus Real ?
Jean-Maxime Jouis – Nous venons également de finaliser la revue de valorisation à mi-année. Le portefeuille d’Opus Real est un peu plus impacté. En raison de la situation spécifique du marché allemand. L’économie allemande est en effet supposée entrer en récession en fin d’année. Et le niveau de compression des taux de rendement était plus important en Allemagne que sur d’autres marchés européens. Notre campagne d’expertise se solde donc par un repli des valorisation supérieur à 6%, sur le semestre. Ce qui nous a conduit à acter une baisse du prix de la part de 9,8%. De façon à proposer ce véhicule à un prix représentatif de la valeur de ses sous-jacents.
Faut-il s’attendre à d’autres baisses du prix des parts de vos produits sous gestion ?
Jean-Maxime Jouis – Nous venons d’évoquer la totalité de la gamme de nos SCPI à capital variable. Pour la suite, ni vous, ni moi, n’avons de boule de cristal nous assurant de l’état des marchés à horizon 6 mois …
Comment ces annonces de baisse de parts ont-elles été accueillies par vos réseaux de distribution? Je souligne au passage que, à la différence de certains de vos confrères, vous avez été très transparents dans vos communications. En précisant notamment la variation des valeurs d’actifs, de réalisation et de reconstitution des SCPI concernées…
Jean-Maxime Jouis – Je vous remercie d’avoir souligné notre transparence. Je crois qu’elle a été également appréciée par nos distributeurs. L’information sur le repli des valeurs et des performances a évidemment été moins bien accueillie… Mais les réseaux de distribution, d’une manière générale, connaissent bien les supports immobiliers. Et notamment les SCPI, qui sont des produits qui existent depuis longtemps. Les réseaux savent donc qu’il s’agit de supports souscrits dans un objectif de diversification. Dans une optique de détention à long terme. Et dont la vocation principale est la génération de rendements récurrents. Ces trois éléments sont, et ont été, centraux dans la démarche commerciale des réseaux. Et ces arguments n’ont pas été battus en brèche. Néanmoins, il y a évidemment tout un travail d’explication à mener. Tant auprès des réseaux commerciaux que les clients finaux.
Pour dire quoi ?
Jean-Maxime Jouis – Pour rappeler que l’immobilier, comme toutes les classes d’actifs, est sujet à un certain nombre de variations. Et que sa santé peut dépendre de facteurs économiques exogènes. Et donc, notamment, qu’un choc de taux de l’ampleur de celui que nous vivons aujourd’hui a mécaniquement un impact sur la valeur des actifs immobiliers.
Avez-vous demandé aux réseaux de relancer la collecte sur vos SCPI ?
Jean-Maxime Jouis – Je ne demande pas aux réseaux. Ils prennent leurs propres décisions. Les propositions commerciales adressées à leurs clients dépendent de leurs propres analyses, jugeant de la pertinence de tel ou tel type de support, comparant l’attrait relatif de chaque classe d’actifs.
Parlons prospective. Où en sont les marchés immobiliers aujourd’hui ? Les transactions vont-elles repartir à la hausse ? Avec des prix encore orientés à la baisse ?
Jean-Maxime Jouis – Beaucoup de choses dépendent finalement de l’évolution du scénario de taux. Il n’est pas évident de dire aujourd’hui qu’il n’y aura pas d’ultimes ajustements à la hausse. Dans le cadre, bien sûr, de la lutte contre l’inflation. Ce qui est très clair, de notre point de vue, c’est qu’il n’y aura pas de retour à une dynamique de baisse des taux avant, au mieux, fin 2024. La BCE a d’ailleurs annoncé qu’elle procèdera à une revue de sa politique monétaire à l’été 2024. D’ici là, il y aura probablement un comportement à deux vitesses des marchés immobiliers. Avec, peut-être, un ajustement des prix relativement plus rapide – qui pourrait trouver son terme dès fin 2023/début 2024- pour les actifs les plus « core » ou « prime ». Et, probablement, un processus plus long, et plus intense, pour les actifs mal localisés et de moindre qualité.
Et donc…
Jean-Maxime Jouis – On assiste en fait à la résurgence d’un spread entre les meilleurs actifs et les moins bons. Autrement dit, à la reconstitution d’une hiérarchie des valeurs. Une situation qui, pour les gérants ou les investisseurs, crée des opportunités pour déployer du capital de façon intelligente. Néanmoins, pour l’heure, le marché est toujours en phase de très grande incertitude. Ce qui se traduit par un repli généralisé du volume des transactions. Un chiffre : sur le 1er semestre 2023, en Europe, le niveau des transactions a chuté de 57% par rapport à la même période en 2022. Un recul que l’on retrouve, peu ou prou, sur l’ensemble des principaux marchés immobiliers nationaux.
Est-ce à dire que vos investissements sur les marchés immobiliers sont susceptibles d’augmenter au cours des prochains mois ? Que ce soit pour le compte de vos véhicules grand public, institutionnels, ou pour compte propre ?
Jean-Maxime Jouis – Tout dépend des objectifs que l’on poursuit. Sur certains portefeuilles, on peut par exemple vouloir en diversifier l’exposition. Et, effectivement, lorsque l’on a du capital à déployer, ce moment de marché est probablement intéressant. Ceci dit, je voudrais quand même rappeler que l’on est sur des stratégies dédiées à la clientèle grand public. Qu’elles sont majoritairement « core ». Et se projettent sur un horizon de temps très long. La question n’est donc pas de savoir si l’on saisit le bon point d’entrée à très court terme. Ou si l’on se trompe de 3, 6, ou 12 mois… Mais plutôt d’avoir une cohérence globale dans notre stratégie. Pour aller chercher ce rendement à long terme. C’est plutôt dans cette perspective que, sur certaines classes d’actifs, nous sommes « très » acheteurs aujourd’hui.
Quelles classes d’actifs ?
Jean-Maxime Jouis – En objectif diversification, tous les actifs qui ont un rapport avec le thème de l’hôtellerie. Et plus spécialement une dimension loisirs. Nous regardons également certains segments du secteur commerce. Nous avons récemment acheté plusieurs actifs de type retail park. Cette typologie continuera a priori d’avoir nos faveurs en 2024. Enfin les secteurs santé, mais aussi résidentiel, nous paraissent répondre – pour des raisons différentes- à des mégatendances auxquelles nous nous intéressons aujourd’hui.
Tous ces évènements que nous venons d’évoquer -baisse de prix des parts des SCPI, incertitude sur les marchés immobiliers- ont-ils un impact sur la stratégie de développement de BNP Paribas REIM ? Et si oui, comment ? Allez-vous, par exemple, différer ou annuler des projets de lancement de produits ?
Jean-Maxime Jouis – Evidemment qu’ils impactent notre stratégie. Les ignorer serait irrationnel. L’impact peut se mesurer à deux niveaux. Un niveau « allocation », qui va se traduire probablement par une plus forte diversification d’un certain nombre de véhicules existants. Lesquels profiteront également du nouveau contexte de taux pour générer des rendements plus attractifs. Et un niveau « gamme », avec effectivement l’intention d’étoffer notre offre à destination du grand public, mais aussi des institutionnels. C’est ainsi que, dans les prochains mois, nous allons finaliser la mise sur le marché d’une nouvelle catégorie de véhicule : un fonds ELTIF[1]. Cet outil, très intéressant, va nous permettre d’attaquer le marché européen sans avoir ces problématiques dites de « passeportage » sur les différents marchés nationaux…
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A propos de BNP Paribas REIM(i)
BNP Paribas REIM, une ligne de métier de BNP Paribas Real Estate, propose aux investisseurs une large gamme de fonds immobiliers et de solutions d’investissement, basée sur de fortes convictions. Notre ancrage européen nous confère une connaissance approfondie des marchés locaux, que nous appréhendons à travers chaque m², chaque rue, chaque quartier, chaque écosystème urbain. Avec nos 330 collaborateurs, nous prenons soin des immeubles que nous gérons comme des êtres vivants, proposant ainsi notre version du vivre ensemble au bénéfice de nos plus de 200 investisseurs institutionnels et plus de 150 000 investisseurs particuliers. Fin 2021, BNP Paribas REIM gérait 29,7 milliards d’euros d’actifs européens immobiliers et vivants pour le compte d’investisseurs institutionnels et particuliers.
(i) Information extraite d’un document officiel de la société.
[1] Les fonds européens d’investissement de long terme (FEILT ou ELTIF selon le sigle anglais) ont été introduits par le règlement européen 2015/760 qui est entré en application le 9 décembre 2015. Le Parlement européen a ensuite adopté, le 15 février 2023, le règlement dit « ELTIF 2.0 ». Ce texte révisé comporte de nombreuses avancées notables par rapport au régime ELTIF initial :
- simplification de la distribution des ELTIF aux investisseurs de détail, avec notamment la suppression du ticket d’entrée de 10 000€ ;
- assouplissements des règles d’investissement de l’ELTIF, avec notamment un élargissement du périmètre des actifs éligibles, l’abaissement de 70% à 55% du quota minimum investi en actifs éligibles, de plus larges possibilités de structurer un ELTIF fonds de fonds, l’assouplissement des ratios de diversification, etc. ;
- évolutions du cadre dérogatoire permettant d’offrir des possibilités de rachat avant la fin de vie du fonds.