Le modèle des SCPI s’est adapté au fil du temps. Chaque crise immobilière leur a façonné un nouveau visage réglementaire. C’est ce que rappelle Pierre Schoeffler, Senior Advisor à l’IEIF. Tout en s’interrogeant sur les réformes qu’il conviendrait d’adopter aujourd’hui. Parmi les pistes évoquées : système de notation, plateforme unifiée de liquidité, horizon de gestion. Réflexions.
« Chaque crise immobilière engendre ses « new » SCPI… » : pour Pierre Schoeffler, Senior Advisor à l’IEIF, le phénomène auquel on assiste actuellement sur le marché des SCPI, à savoir cette opposition entre « jeunes pousses » performantes et « vieilles poussives » à la traîne, n’a rien de nouveau. A chaque crise immobilière – et on en compte une tous les 15 ans en moyenne-, ces véhicules sont en effet conduits à se réinventer. Le plus souvent, d’ailleurs, par voie réglementaire.
Une crise immobilière tous les 15 ans
Intervenant dans le cadre d’un webinaire de l’IEIF[1], Pierre Schoeffler est revenu sur les trois crises immobilières les plus récentes. Et leurs effets sur le mode de fonctionnement des SCPI. Celle du début des années 1990 avait déjà provoqué un effondrement de la valeur des parts de ces véhicules, alors encore relativement jeunes[2]. A l’époque, les SCPI étaient en outre toutes à capital fixe. Et leur marché secondaire n’était pas structuré. Ce qui avait conduit à un quasi-blocage des transactions. A partir de 1993, une série de réformes est donc venue profondément modifier le cadre réglementaire des SCPI. Notamment en renforçant leur gouvernance et leurs obligations d’information envers les porteurs de parts. Et, surtout, en imposant un marché secondaire mieux encadré. C’est aussi à cette époque que sont nées les SCPI à capital variable, aujourd’hui majoritaires, mais que l’on aurait pu alors qualifier de SCPI de nouvelle génération…
Les SCPI s’adaptent au fil des crises
La crise suivante, conséquence de la crise financière globale des années 2008-2009, aura moins d’impact sur le marché des SCPI. Elle conduira néanmoins, paradoxalement, à davantage « financiariser » ces véhicules, devenus des Fonds d’Investissement Alternatifs (FIA) depuis la transposition en droit français de la Directive AIFM[3]. L’harmonisation européenne de la réglementation s’appliquant aux SCPI sera complétée au fil du temps. Notamment en 2018, avec la transposition de la Directive PRIIPs[4]. Laquelle impose notamment l’obligation de fournir aux investisseurs un DIC – Document d’Information Clé-. Et de classifier les SCPI par niveau de risque. Clairement, les SCPI de la fin des années 2010 n’avaient donc déjà plus grand-chose à voir avec leurs aînées des années 1980…
La crise actuelle n’est pas encore terminée
La crise immobilière actuelle, entamée en 2022, et « conséquence de l’ajustement monétaire intervenu après plus de 10 ans de politique ultra-accommodante des banques centrales », comme le rappelle Pierre Schoeffler, est toujours plus ou moins à l’œuvre. Si une consolidation est en cours, la véritable reprise n’est pas encore d’actualité. Sur le marché des SCPI, et malgré des baisses de prix de souscription parfois très importantes, une grosse quinzaine de véhicules connaissent en tout cas toujours de sérieux problèmes de liquidité. Les parts en attente représentaient en effet encore, fin 2024, 2,65% de la capitalisation des SCPI. Un niveau toutefois inférieur au record historique atteint au milieu des années 90 (3,83%), et qui prouve que le marché est sans doute moins grippé qu’à l’époque. Les réformes précédentes ont amélioré sa gouvernance, sa transparence. Et les SCPI, dans leur grande majorité, et bien que moins performantes en termes de valorisation, ont conservé leur capacité distributive.
Trois pistes pour réformer les SCPI
D’autres réformes institutionnelles seront-elles donc nécessaires pour faire, de nouveau, évoluer le modèle des SCPI ? Pierre Schoeffler considère que les dernières réponses réglementaires, en faisant référence à la réforme ELTIF 2.0[5] qui dote en quelque sorte les SCPI d’un passeport européen, « ne suffiront sans doute pas ». Il entrevoit trois pistes possibles. Premièrement, la mise en place d’un véritable système de notation des SCPI. Le critère économique ou sectoriel n’est plus aujourd’hui suffisant, estime-t-il, pour différencier les véhicules. On sait que ce sujet est sur la table depuis plusieurs années. Des projets de notation des immeubles ou d’autres, construits autour d’une notation globale des SCPI type Morningstar, sont toujours à l’étude. Les autorités de tutelle réfléchissent pour leur part sur un indicateur de liquidité.
Notation et plateforme de liquidité
Mais, quelle que soit la solution retenue -si elle voit le jour-, Pierre Schoeffler considère qu’elle devra, a minima, permettre de « discriminer les SCPI Investment Grade des SCPI High Yield ». Sa deuxième piste d’évolution est un autre serpent de mer : un marché organisé des parts de SCPI. Une seule plateforme de liquidité permettrait en effet d’unifier le traitement des ordres de cession, aujourd’hui éclatés entre près d’une trentaine de sociétés de gestion. A l’image de ce que propose la Bourse de Hambourg (Börse Hamburg) depuis 2002, pour les fonds immobiliers ouverts non cotés allemands, rappelle Pierre Schoeffler. Là encore, des projets sont en cours… Enfin, le senior advisor de l’IEIF se demande – troisième piste d’évolution possible – si ce n’est pas l’horizon de gestion des SCPI qu’il conviendrait d’amender.
Amender l’horizon de gestion des SCPI ?
Même si elle n’en a pas la qualification réglementaire, une SCPI, à capital variable tout du moins, fonctionne pratiquement comme un fonds « evergreen »[6]. Or la gestion d’un fonds evergreen peut engendrer certaines dérives en matière de gestion immobilière. En effet, elle peut inciter à privilégier le rendement courant au détriment de la valorisation à long terme. En différant, par exemple, les dépenses en capital (CAPEX) nécessaires. L’argument implicite étant que, si les actifs sont destinés à être conservés sur une très longue période (par exemple 30 ans), il n’est pas nécessaire de se fixer un objectif de cession à moyen terme en phase avec la durée de détention généralement recommandée pour une SCPI, à savoir de 6 à 7 ans.
L’exemple des fonds de private equity
« Supposons à présent, s’interroge Pierre Schoeffler, que l’on considère une durée de détention recommandée de l’ordre de 10 ans pour une SCPI, autrement dit une approche plus proche de celle retenue pour les fonds de private equity. Ce simple changement de perspective pourrait transformer en profondeur les comportements de gestion et la stratégie patrimoniale ». A suivre.
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A propos de l’IEIF(i)
Créé en 1986, l’IEIF est un centre d’études, de recherche et de prospective indépendant spécialisé en immobilier. Son objectif est de soutenir les acteurs de l’immobilier et de l’investissement dans leur activité et leur réflexion stratégique, en leur proposant des études, notes d’analyses, synthèses et clubs de réflexion. L’approche de l’IEIF intègre l’immobilier à la fois dans l’économie et dans l’allocation d’actifs. Elle est transversale, l’IEIF suivant à la fois les marchés (immobilier d’entreprise, logement), les fonds immobiliers (cotés : SIIC, REIT ; non cotés : SCPI, OPCI, FIA) et le financement.
(i) Information extraite d’un document officiel de la société.
[1] « Comment les véhicules non cotés (SCPI, OPCI, SC) s’adaptent-ils à la nouvelle configuration de marché ? » – IEIF – 20 mars 2025.
[2] La première SCPI -la Civile Foncière- aurait vu le jour en 1964.
[3] Alternative Investment Fund Managers Directive. Cette directive a été transposée en droit français par l’ordonnance du 25 juillet 2013,
[4] Ou PRIPPS en français, pour Packaged Retail and Insurance-based Investment Products.
[5] Le règlement ELTIF est un cadre européen créé en 2015 (règlement UE 2015/760, puis réformé en 2023 via ELTIF 2.0). La réforme de 2023 (ELTIF 2.0) est entrée en application le 10 janvier 2024.
[6] Fonds ouvert, avec politique de rachats conditionnelle, sans échéance de liquidation, selon la définition de l’INREV.