Reprenons l’histoire des SCPI à son tout début. Et d’abord, qui en a, le premier, trouvé l’idée ?
Chose curieuse, la question de la naissance des SCPI n’a pas de réponse dans les textes existants. Sans vouloir jouer les Sherlock Holmes de l’histoire, ni penser un seul instant que la naissance des SCPI dans le paysage parisien des années soixante soit aussi importante que l’apparition du Masque de fer dans une prison de Louis XIV, il est pour le moins étonnant qu’un événement aussi simple, aussi aisément identifiable, ait pu être obscurci. Il y a pourtant bien eu un commencement !
Histoire des SCPI, les versions officielles
On trouve une première version dans l’un des premiers rapports annuels de la COB, publié en 1971. (La COB, Commission des Opérations de Bourse, est l’ancêtre de l’AMF,Autorité des Marchés Financiers). La formule SCPI serait attribuable à des promoteurs qui avaient pu bénéficier de flux d’épargne en provenance d’Afrique du Nord. La piste est intéressante, mais semble encore un peu vague. N’y aurait-il pas un, ou plusieurs noms précis ?
Une seconde version apparait dans le rapport de la Commission d’enquête parlementaire sur les SCPI, en 1972. On apprend dans ce rapport que la Cogelog, fondée en 1961 sous une forme commerciale, a créé et assuré la gérance d’une trentaine de sociétés civiles de placement, dites “ponctuelles” (autrement dit chaque société civile correspondait à une seule acquisition, mais dans ce cas une acquisition pouvait être aussi importante qu’un grand ensemble de logements ou qu’un centre commercial). Ces civiles immobilières ponctuelles, pour lesquelles la Cogelog s’adressait à l’épargne, représentent donc le maillon qui précède immédiatement les Civiles, dans la chaîne darwinienne de l’évolution.
Le rapport cite ensuite la première Civile authentique, la Civile Foncière fondée en mars 1964. Toujours sans donner de nom de créateur. Mais en observant que “l’entreprise n’était d’ailleurs pas totalement inédite dans la mesure où elle s’inspirait d’une société nommée Algeco fonctionnant selon les mêmes principes, mais spécialisée dans l’achat et la location de wagons”.
Retrouver des témoins
A cette étape de l’enquête, il faut se souvenir que nous vivons une époque devenue paradoxale à force de mutations rapides : dans nombre de domaines, dans bien des métiers, les choses vont tellement vite que l’écrit n’a plus le temps de suivre si l’on veut savoir et surtout comprendre, et que l’on en revient, par une curieuse revanche du destin, à la tradition orale. Dès qu’un domaine est très spécialisé, les textes ne suffisent plus, il faut consulter les anciens – si l’on peut donner cette appellation à des hommes ou des femmes qui ont vécu le long de la même voie pendant une dizaine ou une vingtaine d’années.
Algeco ? Les Civiles ? Mais des hommes de cette aventure existaient encore lorsque je me suis interrogé, à la fin des années quatre-vingt, sur la véritable origine des SCPI. Ils approchaient alors de la soixantaine, ils pouvaient raconter ce qu’ils avaient vécu. Je me suis donc empressé d’aller interviewer quelques “anciens”. J’ai finalement appris ce qui me paraît être le fin mot de la naissance des SCPI. Rien de bien compliqué, rien de bien mystérieux. Autant le mettre noir sur blanc une fois pour toutes.
La première des SCPI
Suivons la piste d’Algeco. Pour découvrir tout d’abord que la Civile Foncière, donc la première des SCPI, utilisait à ses débuts les fichiers d’Algeco pour prospecter des clients par voie de mailings (l’expression de publipostage serait sans doute plus conforme à l’orthodoxie linguistique, mais ce mot affreux n’avait pas encore été inventé à l’époque). Les “assistants de gestion” d’Algeco – autrement dit les vendeurs regroupés en réseau au sein d’une société appelée Cogefi – ont activement participé aux premières augmentations de capital de la Civile Foncière avant que celle-ci ne se spécialise dans la vente par correspondance. Pour découvrir ensuite que la Cogelog, qui avait lancé des sociétés civiles “ponctuelles”, autrement dit les ancêtres immédiats des Civiles… était une filiale du groupe Algeco. Si l’on tire un peu plus sur ce fil, on s’aperçoit qu’il mène à ce qu’il conviendrait d’appeler un groupe d’innovateurs.
Qui ?
Au tout début des années soixante, une équipe d’hommes jeunes, dont le centre de gravité semble avoir été le CPA – Centre de Perfectionnement aux Affaires qui est encore très actif aujourd’hui – ont utilisé comme levier pour leur imagination et leur action le décalage qui existait alors entre l’Amérique et la France. Ces hommes entreprenants étaient séduits par le Nouveau Monde. Ils allaient s’employer à insuffler dans l’économie française des idées venues d’outre-Atlantique. D’où une effervescence d’initiatives originales dans le creuset de cette équipe. Quelques-uns parmi les tout premiers centres commerciaux français. Le marketing par correspondance. La location sous toutes ses formes : les wagons et bungalows de chantier avec Algeco (les mêmes devaient créer ensuite Locatel pour la télévision), les distributeurs de boisson dans les entreprises, les automobiles, et finalement l’immobilier.
- c’est à cet endroit précis que l’on trouve les premières sociétés qui devaient devenir par la suite les SICOMI (pour le financement des locaux d’entreprises, les SICOMI sont dans l’arbre généalogique des SIIC aujourd’hui)
- c’est là aussi que l’on trouve la trentaine de civiles ponctuelles de la Cogelog
- et c’est là que l’on trouve (enfin !) la naissance des SCPI avec la création de la Civile Foncière en 1964 par un certain Robert Ruel.
- Celui-ci, fort du soutien logistique de l’équipe d’Algeco, avait en effet proposé son idée à un promoteur, Pierre Perret (rien à voir avec le chanteur bien connu), lui-même associé à Raymond Roi (nous retrouverons Messieurs Perret et Roi dans la suite de l’aventure). Ainsi naquit la première Civile immobilière, ancêtre direct des SCPI. Très vite, des dissensions apparurent, et Robert Ruel quitta la Civile Foncière pour aller créer, dès 1965, la Rente Immobilière.
Une vague d’innovations
Il y avait donc bien un début. Il y avait bien un premier créateur, qui du reste s’y est pris à deux fois. La logique est sauve. Avec une information supplémentaire. Il ne s’agissait pas d’une idée radicalement nouvelle, produite un beau soir de génie par un découvreur isolé, mais plutôt de la mise en pratique dans l’immobilier, d’un courant d’idées qui était au même moment porté par toute une équipe dans les domaines les plus variés de l’économie. Ce courant d’idées peut se définir en deux axes :
- d’une part, un surplus d’initiative commerciale pour raccourcir la distance entre le producteur et ses clients, avec l’exploration de voies nouvelles comme les grands centres commerciaux (avec le succès que l’on sait), le marketing direct (qui, en se banalisant, a embouteillé nos boîtes aux lettres en attendant qu’internet et les réseaux sociaux ne prennent la relève) ou la publicité dynamique avec coupon-réponse (elle aussi devenue plus terne à force de banalisation, elle aussi depuis peu distancée par la digitalisation) ;
- et d’autre part la remise en cause de la sacro-sainte pesanteur de la propriété. En généralisant la location même pour des biens intermédiaires (automobiles, bungalows de chantiers, téléviseurs…) ou durables (immeubles). C’était, il y a un demi-siècle, ce qu’on appellerait aujourd’hui une transformation « disruptive » !
Une mutation marquante de l’économie française
On peut toujours espérer qu’un jour un étudiant en sciences économiques adoptera cette vague d’innovations comme sujet de thèse universitaire. Pour encourager les vocations, précisons que l’une des idées fortes importées alors des États-Unis fut le leasing – adapté chez nous sous le nom de crédit-bail – et qu’aux principales initiatives déjà citées, on peut ajouter une société de location de skis (qui n’a pas réussi), des parts de forêts (avec la Sogefor, une autre société du groupe Algeco), l’achat par appel public à l’épargne du golf de Rochefort-en-Yvelines (une première largement imitée par la suite), et que c’est encore dans ce sillage que l’on trouve les tout premiers financements d’hôtels qui sont à l’origine d’une entreprise internationale aujourd’hui largement connue, le groupe Accor.
La naissance des SCPI n’est donc pas le résultat d’une mystérieuse génération spontanée. Elles s’inscrivent dans un courant d’innovation qui a marqué l’économie française au début des années soixante.