Il est peut-être temps de remettre les choses à leur place.
- L’idée simple des Civiles, leur système de copropriété étendue à un grand nombre d’épargnants, eut le malheur de se trouver sur le terrain de grandes querelles politiques.
- Un historien de la France moderne nous apportera sans doute un jour les explications propres à en élucider la part de mystère. Mais une certitude se dégage d’ores et déjà de façon nette et brutale. L’épargne fut prise en otage, dans un conflit qui lui était étranger : telle est la substance de l’ombre qui planait sur l’origine des SCPI.
- De nombreuses inconnues subsistent sur les véritables ressorts de ces scandales, mais il n’existe plus aucun doute sur ce qui n’était pas leur raison : la protection de l’épargne ne fut jamais qu’un prétexte.
- Si l’opinion publique a pu être trompée à l’époque, il est diffi¬cile de lui en vouloir car le spectacle fut si habilement monté que les plus fins observateurs ont pu être momentanément abusés par l’intensité et la richesse de cette sinistre mise en scène.
Nous ne sommes pas pour autant obligés de maintenir une version historique erronée…
La loi de 1970
Les cendres des bûchers sont désormais bien refroidies. Concluons donc ces pages sur la chasse aux sorcières en reprenant le fil des événements là où nous l’avons quitté, c’est-à-dire le 6 juillet 1969, lorsque le ministre des Finances, en liaison avec le ministre de la Justice, créa un groupe de travail interministériel destiné à élaborer un projet de loi sur les sociétés civiles de placement immobilier. C’était la réponse simple, directe, efficace, au seul véritable problème qui était celui du vide juridique dans lequel avaient prospéré les civiles.
Le 16 février 1970, le projet de loi sur les SCPI, finalisé par le ministère des Finances et approuvé par le Conseil d’État, fut déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale. Ce qui aurait dû être une ligne droite vers une solution harmonieuse et paisible consistant à combler le vide juridique, se transforma évidemment – du fait de la machine de guerre qui avait été parallèlement lancée – en piste d’obstacles puis en voie de dégagement.
Nous ne nous attarderons pas sur les nombreux allers et retours entre le ministère des Finances, la Commission des Lois et le Parlement, ce qui prouve au moins que de nombreux esprits brillants et dévoués s’affrontèrent dans l’élaboration d’un projet dont l’enjeu était jugé important. Contentons-nous de regarder le résultat, qui étonne encore aujourd’hui, autant qu’il surprit à l’époque.
Une véritable « hérésie juridique »
La commission d’enquête parlementaire exprime dans son rapport de février 1972 une profonde perplexité. Selon elle, il est curieux en effet que l’on ait donné aux SCPI un statut de sociétés civiles, qui constitue une véritable “hérésie juridique”. Il eut été si simple, si conforme à l’intérêt des épargnants, si conforme au droit et au bon sens, de leur donner un statut de sociétés anonymes avec transparence fiscale.
Pourquoi donc cette solution qui semblait répondre à la raison n’avait-elle pas été adoptée ? Le rapport de la commission d’enquête s’étonne à plusieurs reprises devant l’obstination du ministère des Finances, qui a empêché cette solution. L’explication était la suivante : il n’était pas possible d’accorder la transparence fiscale à des sociétés faisant appel public à l’épargne. Étrange : à l’époque, les SII, les SICOMI (toutes deux sont dans l’arbre généalogique des SIIC aujourd’hui) et les SICAV existaient déjà, et constituaient trois magnifiques exemples de formules d’épargne ayant le statut de société anonyme avec transparence fiscale. On croit rêver devant la force de l’argument qui était avancé. Pour le lecteur d’aujourd’hui, le compte-rendu des travaux préparatoires à la loi est parfaitement transparent, et fournit sans aucune ambiguïté une plate évidence : il fallait exclure les SCPI du champ des placements dignes de ce nom.
Un cadre juridique glacial
Si l’on voulait faire du mauvais esprit, on pourrait du reste se livrer à une exégèse impertinente de la loi de 1970. Le texte commence par une interdiction : “II est interdit à toute société civile de faire publiquement appel à l’épargne” (article 1), continue par une tolérance : “Toutefois, les sociétés civiles ayant pour objet exclusif l’acquisition et la gestion d’un patrimoine immobilier, sont autorisées…” (suite de l’article 1), se poursuit par un certain nombre de dispositions techniques, puis par une série d’avertissements chaleureux : “Sera puni d’un emprisonnement de – à – ans et d’une amende de – à – F, ou de l’une de ces deux peines seulement, celui qui…” (une demi-douzaine de douces mises en garde de ce type sont adressées aux “commissaires aux comptes, membres des organes de gestion, d’administration ou de direction, liquidateurs, dirigeants et membres du personnel” à qui il arriverait d’exercer des responsabilités professionnelles dans le cadre des Civiles) et se termine par quelques mots selon lesquels cette loi est applicable “aux terres australes et antarctiques françaises“.
Pour une loi fondatrice, supposée faire don d’un cadre juridique à une épargne enthousiaste, elle est plutôt glaciale d’un bout à l’autre. Une déclaration de naissance dans le plus pur bonheur.
La morale de cette histoire
Les eaux froides de l’Antarctique qui marquent la conclusion de cette loi nous fournissent du reste la morale de toute cette aventure. Pour cela, je vous propose un autre voyage lointain sur notre chère planète.
Au Tibet, la coutume veut que, dans les quelques moments qui suivent sa naissance, on plonge le nouveau-né dans l’eau d’un torrent. A près de 4 000 mètres d’altitude, le résultat est garanti : l’adorable baigneur pousse un cri strident et trotte ensuite tout le reste de sa vie doté d’une solide constitution. Je ne suis pas certain que de telles mœurs soient conformes à notre philosophie humaniste, et l’on peut imaginer que lorsque cette coutume fut instituée, il y eut dans les premiers temps quelques chagrins dans les foyers. Mais la méthode est d’une efficacité redoutable.
C’est peut-être là qu’il faut rechercher l’étonnante vitalité des SCPI. Elles ont survécu à si rude épreuve dès leur origine, qu’elles se sont élancées ensuite avec une robuste santé à la conquête de leur avenir.
Voir aussi : la définition complète et actualisée des SCPI