Daniel While, directeur recherche stratégie et développement durable chez Primonial REIM, livre sa vision du secteur de l’immobilier de santé en Europe. Et explique la stratégie d’investissement du groupe dans ce domaine. Entretien.
Primonial REIM vient de publier une étude sur le secteur de l’immobilier de santé en Europe. Un chiffre, récemment publié par MSCI, est assez frappant : ce secteur est l’un des rares, pour ne pas dire le seul, à avoir délivré une performance positive – de l’ordre de 10%- en 2022. Votre commentaire ?
Daniel While – Ce qui est intéressant, ce n’est pas tant le chiffre lui-même que ce qu’il indique de la hiérarchie entre les différentes classes d’actifs immobiliers. L’immobilier de santé a effectivement été beaucoup moins sensible aux baisses de valorisation que d’autres secteurs. Pourquoi ? Déjà, parce que l’immobilier de santé dispose d’une prime de risque disons « substantielle ». Un actif de santé, un Ehpad prime par exemple, se négocie aujourd’hui entre 4% et 4,5% sur le marché français. Bien au-delà, donc, du taux sans risque, qui est de l’ordre de 3%. D’où cette prime de risque substantielle…
Et toujours positive…
Daniel While – Oui, toujours positive. Ce qui explique pourquoi les investisseurs continuent à se positionner sur l’immobilier de santé. Le deuxième facteur qui explique la résilience de ce secteur, et sa rentabilité locative, c’est le facteur démographique. Le marché de la santé est clairement en déséquilibre. Avec une offre bien inférieure à la demande. Et une demande en croissance. En partie couverte par quelques opérateurs « mastodontes » au niveau européen, pour la plupart rentables. Ces deux facteurs expliquent le caractère défensif de l’immobilier de santé, comparé à d’autres secteurs de l’immobilier.
Lorsque l’on parle d’immobilier de santé, on pense prioritairement résidences médicalisées, autrement dit Ehpad. Mais le secteur est en réalité moins monolithique. Quelles sont les grandes « masses » de l’immobilier de santé en Europe ?
Daniel While – Il faut effectivement raisonner à l’échelle européenne pour donner une réponse pertinente. Le concept d’Ehpad est de fait assez franco-français. Dans les autres pays européens, notamment en Allemagne, les actifs dédiés au grand âge sont plus « mixtes ». Il y a l’équivalent des Ehpad pour les personnes fortement dépendantes. Les « nursing home », dans la terminologie anglo-saxonne. Et puis des résidences services senior –« assisting living »-, qui sont des lieux dont la vocation est d’offrir une communauté à des personnes plus jeunes que celles qui peuplent les Ehpad français. Ce secteur, disons du « long séjour », représente près des trois-quarts de l’investissement en immobilier de santé au niveau européen.
Ce secteur des Ehpad « élargi » représente donc bien l’essentiel de l’immobilier de santé européen…
Daniel While – Il est effectivement majoritaire. Le solde se ventile assez équitablement entre cliniques, laboratoires, centres médicaux, mais aussi hôpitaux psychiatriques. Lesquels sont d’ailleurs un peu une classe d’actifs en soit. Mais l’important reste que ce secteur de l’immobilier de santé reste une « niche ». Il ne représente qu’un volume d’investissement d’environ 7 à 10 Md€ par an, au cours des 7 dernières années. A comparer aux 180 à 200 Md€ investis, par exemple, dans les actifs de bureaux. Une niche, donc, mais une niche qui a doublé de taille ces dernières années…
A-t-on une idée des besoins futurs, en termes d’hospitalisation, ou de résidences de plus long séjour, en France et en Europe ?
Daniel While – Il faut effectivement différencier hospitalisation de court et de long séjour. Il est plus délicat d’évaluer les besoins du court séjour. Notamment parce que se pose de plus en plus la question de l’optimisation de la durée de l’hébergement. Une clinique est en réalité plus un centre de services qu’un centre d’hébergement. Les opérateurs tentent d’ailleurs de réduire ce temps d’hospitalisation. En développant, par exemple, la télémédecine.
C’est plus prévisible pour le long séjour ?
Daniel While – Oui, clairement. Nous avons quantifié, chez Primonial REIM, le besoin européen à 400 000 lits supplémentaires. Qui devront venir s’ajouter aux quelque 4 millions de lits actuellement disponibles dans les résidences « grand âge ». Et sans compter les besoins de rénovation que va demander une partie du parc existant. Qui seront à peu près du même ordre. Ces besoins ne pourront pas être couverts sans une participation beaucoup plus forte du secteur privé. Ceci explique la montée en puissance des opérateurs privés, et la consolidation du secteur qui est en train de s’opérer.
Il y a donc un énorme besoin à couvrir. Ce qui suppose d’énormes investissements. Mais quid de la rentabilité de ces investissements ? Elle dépend de la capacité des exploitants locataires à payer les loyers demandés. Capacité qui dépend elle-même de la capacité des patients à payer les soins dispensés. Des prestations de plus en plus chères. Or, la capacité financière des individus et des régimes de protection sociale n’est pas sans limite… D’où la question : qui va payer ?
Daniel While – Signalons déjà que la plupart des opérateurs privés sont globalement rentables. Surtout les plus importants par la taille. En raison des économies d’échelle et de mutualisation des coûts qu’ils sont en mesure de réaliser. Facture énergétique, salaires en hausse pour attirer du personnel, renforcement de l’encadrement, renforcement du taux de médicalisation… tous ces postes représentent un coût croissant. Qui grève la rentabilité des opérateurs. Il est donc nécessaire de partir d’un niveau de rentabilité assez élevé pour pouvoir les absorber. C’est d’ailleurs l’un des critères auxquels nous sommes très attachés en tant qu’investisseur : la solvabilité future des opérateurs. Si elle n’est pas à la hauteur, nous n’achetons pas. Car nous savons que les locataires de nos actifs immobiliers doivent être capables d’absorber des charges en hausse, y compris les loyers…
Mais quid de la solvabilité des utilisateurs ?
Daniel While – Il y a effectivement aussi le sujet des coûts portés par les usagers de ces établissements. Nous investissons dans des actifs privés. Même si certains sont en partie mixtes, avec des prix de chambre plafonnés. C’est un peu comme dans le logement. Il y a, dans l’immobilier de santé, l’équivalent d’un secteur social intermédiaire et d’un secteur libre. Mais ce qu’il faut avoir en tête, c’est la durée réelle moyenne d’occupation. En France, par exemple, la durée moyenne d’occupation d’un résident d’Ehpad n’est malheureusement que de 18 à 24 mois… On a souvent l’image d’une maison de retraite où les résidents vont passer de 10 à 20 ans de leur fin de vie. Ce n’est pas du tout le cas pour les Ehpad…
Ce qui revient à dire que le « temps de financement » est finalement assez court…
Daniel While – Oui. Et j’ajoute, pour rester dans la dimension financière, que le taux d’occupation des Ehpad, en France, est très élevé. De l’ordre de 94%. Il n’y a donc pas de problème de désaffection ni de problème de taux d’occupation. Le sujet n’est pas un sujet de demande, mais un sujet d’offre, notamment en termes d’insuffisance de personnel soignant.
Un mot sur la stratégie de Primonial REIM en immobilier de santé. Sans évoquer le sujet de l’éventuel rachat -c’est une opération en cours- d’Icade Santé, Primonial REIM est déjà un acteur important du secteur au niveau européen. Quels sont vos grands axes d’investissement ?
Daniel While – Nous estimons, pour les raisons évoquées au début de notre conversation, que l’immobilier de santé est le meilleur pari défensif dans la conjoncture actuelle. Très particulière, on le sait. Et que la meilleure façon d’y investir, c’est de s’y exposer de manière « synthétique », pour reprendre un jargon financier. L’immobilier de santé est déjà une niche. Il faut donc l’aborder de manière globale, et pas sous-secteur par sous-secteur. Primonial REIM se distingue, de ce point de vue, d’autres acteurs. Qui vont privilégier, qui le « life science », qui la médecine « cœur de ville », qui les cliniques Alzheimer… Nous estimons que le principal risque, en immobilier de santé, c’est le risque opérateur.
Et donc ?
Daniel While – Donc, pour diversifier ce risque, il faut beaucoup d’opérateurs, beaucoup d’actifs. Donc de gros portefeuilles, diversifiés également en termes géographique et de typologie d’actifs. Cette diversification est impérative pour bénéficier du potentiel de performance de l’immobilier de santé. Dont la caractéristique est cette capacité à délivrer des revenus réguliers sur le long terme. Je rappelle que les baux, dans ce secteur, ont une durée de l’ordre de 12 ans en France, de 15 à 20 ans à l’étranger. Une exposition synthétique permet aussi de bénéficier des caractéristiques propres à chaque sous-segment de l’immobilier de santé. Du caractère peu cyclique des Ehpad ou des résidences seniors. De la sensibilité un peu plus marquée à la conjoncture économique des établissements de court séjour. Comme les cliniques, par exemple. On se soigne plus quand il y a plus de croissance. On se soigne moins en période de récession…
L’immobilier de santé est pourtant souvent présenté comme un secteur défensif..
Daniel While – S’ajoute effectivement à ces deux catégories une typologie d’actifs que l’on pourrait qualifier d’ultra défensif, comme par exemple les cliniques de réhabilitation psychiatrique. En réalité, l’immobilier de santé recouvre des typologies d’actifs très diverses et complémentaires. D’où l’intérêt d’une exposition synthétique -et européenne- …
Sujet totalement différent, pour terminer. La baisse des valeurs de l’immobilier laisse craindre une baisse du prix des parts des SCPI en 2023. L’une d’entre elle l’a déjà actée. D’autres révisions sont-elles possibles ?
Daniel While – Tout dépend, en réalité, de Christine Lagarde… Je rappelle que les SCPI ne sont pas, mécaniquement, obligées de constater immédiatement la baisse des valeurs d’expertises. Elles peuvent donc jouer de cet « airbag » en attendant que la situation se normalise sur le front des taux. Notre sentiment est que l’on est désormais plus proche de la fin que du début d’un cycle de hausse des taux. Tout dépend toutefois du rythme de stabilisation ou de décélération à venir. Si l’on reste longtemps sur un « plateau » de taux élevés, il y aura effectivement ajustement des prix. C’est inévitable. Mais il est également clair que dès qu’il y aura une baisse des taux -notamment pour lutter contre la récession qui s’annonce-, et que l’inflation sera jugulée, l’immobilier reprendra son statut -favorable- au sein des différentes classes d’actifs…
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A propos de Primonial REIM(i)
Primonial REIM réunit plus de 400 collaborateurs en France, Allemagne, au Luxembourg, en Italie, à Singapour et au Royaume-Uni. La société met ses valeurs de conviction et d’engagement ainsi que ses expertises à l’échelle européenne pour concevoir et gérer des fonds immobiliers au service de ses clients nationaux et internationaux, qu’ils soient particuliers ou institutionnels. Primonial REIM détient plus de 35 milliards d’euros d’encours sous gestion. Son allocation de conviction se décompose en : 44 % bureaux, 33 % santé/éducation, 11 % résidentiel, 6 % commerce, 5 % hôtellerie et 1% logistique. Sa plateforme paneuropéenne gère 61 fonds et réunit plus de 80 000 clients investisseurs, dont 53 % particuliers et 47 % institutionnels. Son patrimoine immobilier est composé de plus de 1 526 immeubles répartis entre les principales catégories d’actifs et localisés dans 11 pays européens.
(i) Information extraite d’un document officiel de la société.