Arnaud Dewachter, co-fondateur d’Ethiket et consultant indépendant, revient pour pierrepapier.fr sur les quatre axes d’amélioration du label ISR immobilier identifiés par l’Observatoire des pratiques de labellisation des fonds immobiliers (OID-ASPIM-Novethic, 2022) paru jeudi dernier…
« De nombreuses sociétés de gestion regrettent aujourd’hui le manque de comparabilité des notes ESG des fonds, puisqu’elles sont basées sur des grilles propres à chaque fonds. Les notes de deux fonds peuvent être extrêmement différentes (20/80) et décorrélées de la performance des actifs. Pour autant une démarche vertueuse peut avoir été mise en place dans les deux » peut-on lire dans la partie « Axes d’amélioration » de la dernière édition de l’Observatoire des pratiques de labellisation des fonds immobiliers publiée par l’OID, l’ASPIM et Novethic le jeudi 24 mars dernier.
Le manque de comparabilité entre les fonds
La gestion d’un seul et même patrimoine immobilier réalisée par deux fonds labellisés distincts ne sera jamais réplicable. Car tout peut différer entre les acteurs : la stratégie immobilière et financière, les outils utilisés, l’attente des investisseurs, la culture d’entreprise, l’appétence au risque… En ce cas, un immeuble peut ne pas obtenir la même note ESG selon le fonds auquel il appartient. Le label ISR immobilier a bien pris en compte cet état de fait. Ici non plus, comparaison n’est pas raison. Cependant, à la demande des autorités réglementaires françaises[1] et européennes, on devrait progressivement se diriger vers l’élaboration et la diffusion d’indicateurs de reporting normalisés, outre ceux relatifs à l’énergie et au carbone. Les fonds labellisés pourront alors faire l’objet d’une comparaison objective sur des critères essentiels. Ce qui n’interdira pas aux investisseurs de se laisser séduire par une approche plus subjective sur d’autres caractéristiques et innovations des fonds.
Un horizon temporel réduit et peu adapté à la réalité de l’immobilier
« Le cycle de labellisation, qui dure trois ans, constitue aujourd’hui l’un des principaux défis du label ISR pour les fonds qui appliquent une stratégie de best-in-progress, ne permettant pas de faire entrer un projet de rénovation majeure par exemple », pointe également l’Observatoire parmi les quatre axes d’amélioration proposés.
Il faut rappeler que ce délai de trois ans est le fruit d’un compromis passé entre l’AMF, plus coutumière des valorisations quotidiennes, et des professionnels du secteur immobilier qui ne savent se projeter que dans le long terme. Cela étant dit, il est vrai que ce cycle triennal est mal adapté à certains business models immobiliers, notamment dans les opérations de restructuration qui dépassent souvent trente-six mois entre les études préliminaires et la livraison de l’immeuble. Au prix d’une certaine imagination, on peut parvenir à inscrire ce type de montage dans le cadre de la labellisation. Par exemple en distinguant la phase de construction de celle de l’exploitation. C’est un point fort du label de savoir s’adapter à des schémas fort différents.
La fiabilité des données tombe en dehors du cadre du label
Le troisième axe d’amélioration rappelle que « si le référentiel exige un niveau de transparence sur la méthodologie de construction de la grille ESG élevé, l’audit se concentre aujourd’hui principalement sur les process mis en œuvre et non sur la qualité de la donnée d’entrée, souvent apportée par des prestataires externes ».
La question de la sincérité des data est au cœur du réacteur du label ISR. Il convient déjà de préciser que le gestionnaire d’actifs réels se trouve dans une situation privilégiée par rapport à son homologue des valeurs mobilières. Parce qu’il détient le sous-jacent, où fourmillent les informations, et non pas seulement des titres représentatifs de l’activité menée par des tiers, les « émetteurs ». Cependant, même en immobilier, la tâche n’est pas aisée. Du fait des caractéristiques de certains immeubles (les « multi-locs »), du recours à des prestataires externes, ou de la quantité astronomique d’informations à collecter et retraiter (une moyenne de 40 critères applicables à des dizaines d’actifs !).
Mais, disons-le une nouvelle fois : nous ne sommes qu’au début de l’histoire de l’extra-financier. Il y a urgence à agir, mais rappelons d’où nous venons. Avec le temps, le développement des outils numériques, la pression réglementaire (le décret tertiaire) et la sensibilité environnementale des citoyens – parmi lesquels on retrouve les locataires -, auront rapidement pour effet de faciliter l’accès à l’information et d’améliorer son traitement.
Un référentiel qui reste complexe et soumis à interprétation
« Malgré la publication du guide d’interprétation du référentiel du label ISR, un certain nombre d’exigences restent aujourd’hui soumises à la libre interprétation des auditeurs, entraînant des différences d’attente d’un organisme d’audit à l’autre », estime enfin l’Observatoire.
Le référentiel du label ISR immobilier a été conçu pour conduire des fonds aux caractéristiques très diverses, dans une démarche d’amélioration continue. En 2020, il s’agissait d’« embarquer la Place ». D’où une certaine souplesse laissée par le texte dans la définition des procédés à suivre pour parvenir aux objectifs fixés par le gestionnaire du fonds. La préoccupation des auditeurs d’assurer l’égalité de traitement entre les acteurs est louable. Elle sera progressivement satisfaite par le rehaussement du niveau d’exigence encouragée par les autorités et inscrite dans la doctrine évolutive du label. Sans compter qu’un dialogue peut s’installer entre les certificateurs et les gestionnaires concernés pour échanger sur les questions d’interprétation et proposer une définition des bonnes pratiques.
Le label l’a prouvé, l’initiative doit continuer de venir du terrain…
En savoir plus
Observatoire 2022 des pratiques de labellisation ISR des fonds immobiliers
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A propos d’Arnaud Dewachter(i)
Arnaud Dewachter a été Délégué général de l’ASPIM de 2008 à 2018. Il est consultant indépendant et associé-fondateur d’Ethiket, un cabinet spécialisé dans l’accompagnement dans le développement durable des gestionnaires d’actifs immobiliers
[1] Comité du label et AMF.