On ne résoudra pas la crise du logement en 2024. Ni en 2025, ni en 2026…
Incroyable mais vrai : les gouvernements savent ne pas résoudre les problèmes ! Parfois pendant longtemps.
Un bref retour sur l’histoire du logement en France montre que les difficultés actuelles n’ont rien de nouveau. La solution existe, mais que faudrait-il pour la mettre en œuvre ?
Que font les ministres du logement ?
Notre pays compte 14 ministres du logement depuis le début des années 2000. Vous souvenez-vous de leurs noms ? Marie-Noëlle Lienemann, Gilles de Robien, Marc-Philippe Daubresse, Jean-Louis Borloo, Christine Boutin, Benoist Apparu, Cécile Duflot, Sylvia Pinel, Emmanuelle Cosse, Julien Denormandie, Emmanuelle Wargon, Olivier Klein, Patrice Vergriette, et Guillaume Kasbarian au moment où cet article est écrit.
Tout au long de ce défilé, des personnes brillantes, sans aucun doute. Motivées, probablement. Mais les discours se sont succédé, étonnamment semblables, surtout dans les annonces.
Si la réalité se pliait un tant soit peu aux déclarations d’intention des ministres du logement, la France serait aujourd’hui un petit paradis immobilier. Loyers raisonnables, prix abordables par les revenus du travail, logements de qualité pour tout le monde…
Mais le bruit des discours n’a pas atteint les territoires, ni les villes, ni les quartiers. Une crise de plus en plus inextricable frappe le marché du logement. Économique autant que sociale.
Il est temps de couper le son. Et de regarder.
Le logement des Français
Dans toute société, les difficultés appellent des coupables. Pourtant notre pays n’a peut-être pas totalement démérité.
- Quarante millions d’habitants au milieu du XXème siècle, soixante-huit millions aujourd’hui.
- Avec des habitations de bien, bien meilleure qualité. Se souvient-on que l’eau chaude et les toilettes à tous les étages, étaient une marque distinctive encore dans les années soixante ?
- Et aussi une progression impressionnante du nombre de ménages par rapport au nombre d’habitants. Il n’est peut-être pas inutile de rappeler que par « ménage » on entend une ou plusieurs personnes occupant un logement. Une personne âgée vivant seule est un « ménage ». Si des parents divorcés ont la garde alternée de leurs enfants, cela fait deux « ménages ».
Bref, la demande a été forte, puissante, et l’effort de construction a été considérable, en même temps que la qualité des logements a été améliorée.
Quantité et qualité ont « presque » été au rendez-vous. Ce « presque » est le problème. L’arbre de ce qui n’a pas été fait cache la forêt de ce qui a été réalisé.
La troisième grande crise du logement de l’Histoire moderne
Notre époque n’a pas le privilège des crises immobilières.
Il suffit de parcourir même rapidement l’histoire économique des XIXème et XXème siècle, ou de lire les témoins de leur temps que sont les romanciers. Les crises ont été nombreuses, parfois terribles.
Commençons au début de l’ère industrielle.
- Second Empire. En 1856, quand il écrit l’un de ses tout premiers romans d’anticipation, Jules Verne s’interroge sur la cause des loyers chers, trop chers, à Paris. Pas assez de logements dans les villes d’une France qui commence à s’industrialiser et à s’urbaniser !
- Après-guerre. Les travaux de l’économiste Jean Fourastié révèlent qu’en 1948 les loyers représentaient moins dans le budget des ménages, que les seules cigarettes. Alors que le l’État ne s’était pas encore emparé du tabac comme source de recettes… Loyers ridicules, bloqués, alors que la poussée démographique donnait lieu à une crise de rareté d’une gravité extrême. Puis vinrent les « Trente glorieuses » et un effort de construction sans précédent.
- Nous sommes de nouveau dans une crise grave. Loyers chers. Accès à la propriété redevenu difficile, voire impossible, pour la grande majorité des salariés. Rareté de logements. Crédit en panne. Situation dont on ne voit pas l’issue, alors que l’on prend conscience des conséquences désastreuses sur le niveau de vie de nombreuses familles. Pendant que les prix entament une baisse… Un jeu où tout le monde perd.
Avec ses prix et loyers élevés, le marché immobilier est devenu anti-économique et anti-social. La présente crise du logement est sévère. Indécente. Elle menace l’équilibre de la société française. Au-delà de la seule atteinte au niveau de vie de nombreuses familles, elle est désastreuse pour l’emploi et l’activité économique en compromettant le secteur du bâtiment. Elle fait aussi baisser les recettes fiscales. Tous perdants !
Essayons d’aller à l’essentiel. Comment les deux premières grandes crises ont-elles été résolues ?
Démographie et logement
Les chantiers du baron Haussmann
Quand le futur empereur Napoléon III avait voyagé en Europe, il avait été frappé du retard terrible de la ville de Paris sur les autres capitales européennes. Habitations entassées et insalubres, rues encombrées. Laideur et saleté côtoyaient les plus beaux monuments historiques du monde. Peu de temps après son coup d’État, en 1851, il appela auprès de lui le préfet Haussmann. Et lui confia une mission que l’on dirait aujourd’hui impossible, mais qu’il expliqua comme grandiose : reconstruire Paris. L’imaginer d’abord. Puis passer à l’acte.
On mobilisa les finances de l’État et les ressources de l’épargne. On expropria, on détruisit, on construisit. Après avoir redessiné Paris, on transforma peu à peu les plans sur papier en quartiers, en larges avenues, en beaux immeubles, en parcs et en monuments. Un chantier gigantesque, fait de mille chantiers simultanés et convergents. Architectes, promoteurs, financiers et des milliers d’ouvriers travaillèrent sans relâche. À titre de comparaison, les travaux pour les Jeux Olympiques 2024 ne représentent que l’un des trente ou quarante chantiers conduits pendant la période haussmannienne…
L’aventure du Second Empire fut stoppée net par la guerre de 1870. Mais le nœud gordien avait été coupé. Paris, mais aussi Lyon, Marseille et d’autres villes de France avaient un autre visage. Le logement des Français n’était plus un désastre.
L’effort de construction pendant les « Trente glorieuses »
Au sortir de la seconde guerre mondiale, la situation du logement était de nouveau inextricable. Le blocage des loyers instauré pendant la première guerre avait découragé les constructions nouvelles pendant l’entre-deux guerres, avant les destructions pendant le conflit mondial. L’équation était sans solution. Il n’y avait plus assez de logements pour la seule population présente, mais qui allait construire ? Et la pression démographique frappait à la porte, avec le baby-boom.
« Aux grands maux les grands remèdes » avait écrit le médecin Paracelse. On réfléchit, on consulta, on imagina, puis on légiféra et on mobilisa toutes les énergies possibles. Impossible politiquement de sortir du blocage des loyers ? La loi de 1948 contourna le problème. On ne touchait pas aux anciennes habitations, mais toute nouvelle construction bénéficiait d’une liberté de loyers. On ouvrit les vannes du crédit, en particulier par le Crédit Foncier, qui empruntait massivement en émettant des emprunts auprès de l’épargne privée et des institutionnels. De plus en plus de familles devenaient propriétaires, soit en achetant des maisons tout juste sorties de terre, soit en faisant construire. On mit en place toute une structure d’organismes sociaux, dont la mission était de construire pour loger. On favorisa aussi fiscalement les foncières cotées en Bourse qui se spécialisaient sur la production et la location de logements. Et la France construisait, construisait…
Le temps long de la politique du logement
Mais il fallait toujours plus de logements, car à la natalité redevenue dynamique s’ajoutait l’exode rural vers les villes. Puis les rapatriements d’Afrique du Nord. Cette période montra deux qualités étonnantes.
- D’abord on ne changeait pas les règles. Cela permit à de nombreuses entreprises de promotion-construction de se développer. Et de nombreuses familles pouvaient planifier, sur plusieurs années, leur accession à la propriété.
- Ensuite, au long des années, on complétait les anciens dispositifs par de nouvelles mesures. Il fallait mobiliser encore plus l’épargne privée ? On visa autant les riches que les pauvres.
- Pour les riches, la loi Malraux en 1962 pour réhabiliter les habitations dans les centres-villes, en échange d’un avantage fiscal. Nombre de pays européens nous envient cette loi qui a sauvé nombre de quartiers historiques, avec un effet indéniable de revitalisation par le cœur des villes. On doit d’ailleurs observer qu’on ne doit pas cette loi à un ministre du Logement mais à un ministre de la Culture. Voilà peut-être pourquoi cette loi a survécu pendant des décennies…
- Pour les moins riches ou pour les pauvres, le plan épargne logement et le compte épargne-logement en 1970. Se souvient-on encore que cette mesure, dans le projet de loi, répondait à la nécessité de « résoudre la crise du logement » ?
On résout une crise, on ne gère pas un naufrage…
Le jugement de l’histoire est sans appel. On ne discute pas avec la démographie. Aucun discours brillant ne conjure une crise du logement. Des savants dosages de mesures technique, les nouveautés successives dans les lois de finances, les couches de réglementations même supposées incitatives, tout cela ne change rien. Modifier sans cesse les avantages fiscaux peut donner tout au plus l’illusion que l’on se préoccupe du sujet. Vision longue, à la mesure des enjeux, ténacité et cohérence sont les conditions indispensables.
On aurait pu espérer que le pouvoir politique fasse preuve, à partir du début des années deux mille, d’une vision, notamment en rapport avec l’évolution démographique qui a l’avantage d’être connue de nombreuses années à l’avance. Et qu’il ait engagé des actions à la mesure des enjeux. Une réforme profonde de la fiscalité immobilière ? La levée des obstacles concrets qui interdisent aux maires, décideurs locaux par excellence, de devenir des maires bâtisseurs ? Une mobilisation plus entrepreneuriale de l’immobilier de l’État et des organismes sociaux ? Puisque les finances de l’État sont à bout de souffle, pourquoi ne pas libérer enfin tous les carcans qui empêchent l’épargne française d’irriguer le marché du logement ? Rien de grandiose, ni rien de seulement important n’est arrivé à aucun moment. Rien ne se dessine non plus dans un avenir proche.
Le temps long de la politique
Où est donc passé le temps long du politique ? Où est passée l’énergie intellectuelle d’abord, capable d’imaginer grand, ensuite l’énergie de l’action, par la capacité à mobiliser des ressources importantes vers un objectif clairement défini ?
Derrière la crise actuelle du logement se cache une crise plus grave, celle de la gouvernance de notre société. Les défis ne manquent pas. Éducation, climat, santé… Le logement n’est finalement qu’un appel de plus à ce que notre société retrouve un peu de sa capacité à rêver l’avenir.
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