Mise à jour 20 juin 2023 : cet article a été publié il y a un peu plus d’un an, au cours de la brève période où il n’y avait pas de ministre du logement dans le gouvernement récemment constitué. Un remaniement ministériel a peu après corrigé cette anomalie historique. Le contenu de cet article n’en reste pas moins d’une actualité toujours brûlante…
Pas de ministre du logement dans le nouveau gouvernement ! Les professionnels de l’immobilier se demandaient qui serait le prochain ministre. Le suspense montait, et soudain… surprise et déception. Pas de ministre d’État, pas de ministre, pas de ministre délégué ! En réponse aux protestations des professionnels il a été annoncé que la prochaine composition du gouvernement corrigera l’omission. Aveu terrible : la question n’était pas jugée d’importance nationale.
Après le choc, la réflexion. Finalement, est-ce une bonne ou une mauvaise nouvelle qu’il n’y ait plus de ministre du logement ?
La situation du logement en France ne s’est pas améliorée depuis le début des années deux-mille. Pourtant nous avons eu onze ministres du logement sur la période, soit onze en vingt-deux ans, soit un tous les deux ans. Alors, devons-nous regretter qu’il n’y ait pas un douzième ministre ?
La question mérite d’être posée. L’enjeu en effet est le logement des Français. Or, malgré la présence continue d’un ministère du logement, malgré les ministres qui ont pris le relais l’un après l’autre, le bilan est plutôt mitigé. Le nombre de logements a augmenté, mais pas suffisamment. Les prix sont souvent trop élevés pour les candidats acquéreurs, et les loyers sont souvent trop chers pour ceux qui ne peuvent que rester locataires. Et nombre de personnes doivent s’éloigner de leur lieu de travail.
Que n’ont donc pas fait les ministres ?
L’État français dispose de l’un des plus beaux ministères du logement d’Europe, si l’on en juge par l’importance de ses services administratifs. Quel est donc le bilan ? En 2002 en France, il y avait assez de logements pour répondre aux besoins de l’année 2000. Aujourd’hui, en 2022, il y en a assez pour répondre aux besoins de l’année 2020. Autrement dit, le retard constant de l’offre sur la demande donne une situation de prix élevés, de loyers chers, parfois de grande distance domicile–travail, avec tous les problèmes qui s’en suivent pour nombre de français. Et comme toujours, ce sont les classes moyennes et les plus jeunes qui en pâtissent le plus.
Alors que les projections démographiques de l’INSEE étaient sans appel ! Le nombre des ménages allait fortement augmenter dans le premier quart du XXIème siècle. Mais à aucun moment n’a été mis en place par aucun gouvernement un plan d’action qui aurait permis d’ajuster enfin le nombre de logements à ce dynamisme démographique.
Donc, il n’y a pas eu de politique du logement avec un P majuscule. On a plutôt fait de la politique avec un p minuscule. On a commandité des rapports, on a fait des annonces, on s’est beaucoup agité, on a même parfois pris de bonnes mesures, parfois même d’excellentes. Mais jamais les solutions n’ont été à la hauteur du problème. Le déficit structurel d’offre n’a pas été pris à bras le corps. La République n’a pas su fournir à ses citoyens des conditions normales pour loger leurs familles.
Bien entendu, la politique, quand elle n’est pas majuscule, à tendance à s’auto-entretenir ! Pourquoi se priver, si un ministre peut graver son nom sur une loi ou sur un avantage fiscal, et ainsi s’assurer une certaine notoriété ? Politique avec un p minuscule, pas de doute.
Mais peut-on incriminer les ministres du logement eux-mêmes, ou doit-on chercher une autre explication ?
Imaginons le ministre du logement idéal
Rêvons un peu. À quoi aurait ressemblé le ou la ministre idéale pour le logement ? Celui ou celle qui aurait commencé à améliorer la situation du logement en France ?
Il aurait fait de la politique avec un grand P. Donc, en premier lieu, il aurait eu une vision. Il aurait eu aussi le temps et les moyens d’agir. Par exemple le Président de la République l’aurait laissé en poste au moins aussi longtemps que lui-même.
Et surtout, on ne lui aurait pas demandé des résultats immédiats. Face à la situation des mal-logés, face aux loyers trop difficiles pour certains ménages, on aurait demandé au ministère des Affaires Sociales de s’en charger. Le ministre du logement, lui ou elle, aurait eu pour seule mission de libérer notre pays de la crise du logement. Cette crise qui le hante depuis si longtemps et qui est si lourde de conséquences pour beaucoup de Français.
Il aurait attaqué le problème de l’offre insuffisante. En prenant acte de la réalité et de la complexité du problème : il n’y a pas les logements qu’il faut là où il faut. Le logement est une abstraction si l’on ne tient pas compte de leur insertion dans des quartiers, et des quartiers dans la ville. Le ministre du logement idéal aurait engagé son ministère dans les enjeux de la ville, lieu d’habitation, de travail, de commerce, de convivialité, et de loisirs.
Représentant de l’État, il aurait œuvré en étroite concertation avec les acteurs locaux. Il aurait intégré les besoins liés à l’évolution de la population : plus de familles monoparentales, plus de personnes âgées. Il aurait pris acte des situations hétérogènes du parc de logement au regard des consommations énergétiques, mais aussi au regard des ressources des propriétaires pour en assurer la transformation. Volontariste autant que réaliste, il aurait pensé la diversité des territoires et des bassins d’emploi. Il aurait été un ministre du développement intelligent des villes. Pour tout cela, on lui aurait donné à la fois le pouvoir et la liberté d’inscrire son action dans le temps long.
On pourra dire qu’aucun ministre du logement de ces dernières années n’a eu de véritable vision. Mais à quoi bon ? De toute façon il n’avait pas de véritable pouvoir.
Comment vont vivre les Français ?
L’évolution économique des dernières décennies soulève la question du niveau de vie. Donc du pouvoir d’achat.
L’inflation actuelle qui s’exprime dans les prix de l’énergie et de l’alimentation suscite de grandes inquiétudes. Les problèmes de cette toute nouvelle inflation vont donc s’ajouter, pour de nombreux ménages, à ceux du logement. Loyers ressentis comme trop élevés, obligation de s’éloigner du lieu de travail, difficulté pour les jeunes à passer du statut de locataire à celui de d’accédant. Les propriétaires pourront connaître aussi des difficultés, avec le coût de l’adaptation aux normes d’économie d’énergie.
Il y a cependant une différence considérable. Pour l’énergie, pour de nombreuses denrées alimentaires, notre pays subit ce qui se passe hors de nos frontières. Pour le logement, cela ne dépend que de nous. Ce que nous subissons aujourd’hui, c’est de ne pas avoir traité le problème plus tôt.
Peu importe le passé, peu importe ce que n’ont pas fait les gouvernements successifs. Nous nous retrouvons aujourd’hui avec une cause :
- nationale, le pouvoir d’achat
- globale, à la fois énergie, alimentation, logement.
A-t-on besoin de ministères spécialisés par tranches de dépenses ?
Un grand espoir pour le logement
Un phénomène important vient de se produire. Sous la pression des événements, l’esprit nos gouvernants a changé. Ils vont modifier leur façon d’agir ! Ceci est tellement important que des précisions s’imposent.
Le grand reproche que l’on pouvait faire, à juste titre, à nos politiques, était d’être enfermés dans le court terme. D’avoir pour seul horizon les prochaines échéances électorales. De ne pas avoir de vision à long terme.
Pourtant, une première inflexion s’est produite avec le développement durable et ce qu’on pourrait appeler l’urgence planétaire. Après de belles intentions, il a fallu passer à l’acte. Mais la réalité est brutale. Qu’il s’agisse de réduire la production de carbone ou la consommation d’énergie, de modifier les modes de production agricole ou de concevoir les transports, tout cela prendra du temps, beaucoup de temps. Maladroitement peut-être, mais résolument nos politiques ont commencé à intégrer enfin le temps long dans leur façon de concevoir leur rôle.
Ensuite est venu le choc. Les lendemains de la crise sanitaire ont révélé des problèmes d’approvisionnement. La guerre en Ukraine les a aggravés. Penser une certaine indépendance, à la fois énergétique et alimentaire, impose de penser avec le temps. Cette fois-ci, les gouvernements de toute l’Europe se sont réveillés. Gouverner ne signifie plus gérer les problèmes qui se présentent au jour le jour, mais dresser de véritables plans à long terme.
La méthode de gouvernement qui a fait le malheur du logement en France est donc en train d’être abandonnée. N’est-ce pas, enfin, une bonne et grande nouvelle ?
Alors, qu’il y ait ou non un ministre dédié au logement dans le nouveau gouvernement, peut-être n’est-ce pas important. À condition que le logement devienne une cause nationale, mobilisant tout à la fois plusieurs ministères ! Ainsi le développement des villes pourrait être un grand chantier pensé et conduit dans la durée, aux côtés de la relative indépendance énergétique et de la transition écologique. Tous chantiers qui engagent l’avenir.
Vous avez dit politique, gouvernement, ville ?
Dans la Grèce ancienne, à l’apogée de la démocratie, « polis » voulait dire cité. La politique était la gestion de la cité. Telle est l’origine du mot. La fonction politique recouvrait ainsi les affaires extérieures, en particulier les ententes avec les cités voisines, les liens commerciaux, les guerres ou risques de guerre. La politique recouvrait également les affaires intérieures : l’organisation du gouvernement, la justice, la police, les impôts déjà.
Mais notons une caractéristique importante dont les gouvernements d’aujourd’hui pourraient s’inspirer. Aux postes de pouvoir, il était interdit à quiconque de s’incruster. Aux postes où il fallait des compétences spécialisées, on préférait une durée longue d’exercice. Qui oserait prétendre que le logement et la ville n’exigent pas des compétences multiples et approfondies ?
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