Sait-on que la loi de 1948 fut une réforme intelligente, extraordinaire, inouïe à son époque ? Qu’elle a permis au marché immobilier de sortir d’une crise extrêmement grave ? Qu’elle a ouvert la voie à une fantastique hausse des prix ?
Voici comment, pour beaucoup de Français, immobilier et sécurité sont devenus synonymes.
Immobilier et sécurité vont de pair, cela nous semble d’une grande évidence. C’est pourtant un sentiment spécifiquement français.
Un bref retour sur l’histoire de l’immobilier en France permettra de mieux comprendre l’originalité de notre attachement à la pierre.
À l’issue de la première guerre mondiale, tous les grands pays européens ont commis une faute majeure. Ainsi :
-
- Le gouvernement Churchill a rétabli le cours de la Livre à son niveau d’avant-guerre. Cela a handicapé l’économie de l’Angleterre et fait perdre à celle-ci son empire. Fin de l’apogée britannique.
- L’Allemagne n’a pas su ou pas pu gérer les suites de la guerre. Elle a glissé progressivement vers la prise de pouvoir de Hitler. On connait, malheureusement, la suite.
- En France, personne n’a eu le courage de sortir de la « mesure d’urgence » du blocage des loyers. C’est une faute qui a marqué notre économie pendant tout le XXème siècle.
Immobilier, la crise
C’est d’une logique imparable. On prend une mesure d’urgence en réponse à un contexte précis, puis le contexte change. Mais personne n’ose revenir sur la mesure, qui devient alors pérenne et nuisible.
Bloquer les loyers en 1914 était une décision tout à fait compréhensible. En effet :
-
- de nombreux hommes venaient de partir vers le front,
- dans un contexte social où l’homme était la principale sinon seule source de revenus de la famille (le travail féminin s’est généralisé bien plus tard),
- alors que la très grande majorité des familles étaient locataires.
Mais en 1918, que faire ? La guerre avait été affreusement longue. La situation était terrible. De nombreux soldats ne sont pas revenus, et ceux qui sont revenus étaient traumatisés.
Sur le plan économique, le franc de l’époque avait été ravagé par la guerre. De ce fait les loyers étaient devenus très faibles en valeur réelle.
Fallait-il ou non revenir sur la mesure d’urgence du blocage des loyers ?
Courage, fuyons, on décida de ne rien faire. On aurait pu adapter le blocage, le moduler, le faire disparaître très progressivement, on ne fit rien.
Puis vinrent les conflits idéologiques et politiques durs, qui débouchèrent sur le gouvernement du « Front populaire ». Pas question de revenir sur les loyers.
Puis vint la deuxième guerre mondiale.
Immobilier, la fin
Où en était-on au lendemain de la deuxième guerre mondiale ?
-
- Pendant toutes les années de l’entre-deux guerres, le parc immobilier n’avait pas été entretenu. Au milieu des années trente, le propriétaire d’un bel immeuble parisien qui logeait une dizaine de familles, ne bouclait pas son propre budget de survie de base avec l’ensemble des loyers.
- Il n’y avait pas eu de construction non plus. Le niveau des loyers décourageait par avance tout investissement.
- Et, pendant la deuxième guerre, près d’un million de logements avaient été détruits.
La situation était catastrophique. Notre pays comptait un nombre incroyable de pas logés ou de mal logés. De nombreux jeunes couples avec enfants étaient obligés d’habiter avec leurs parents dans une ou deux pièces. Il y avait dans les villes françaises un déficit terrible, gigantesque, de logements
C’était une tragédie sociale sans précédent. Et le problème que l’on n’avait jamais osé affronter, celui du blocage des loyers, paralysait totalement le marché immobilier.
En 1947 – 1948, dans le budget des ménages le poste « loyer » était inférieur au poste « cigarettes » ! (C’est aux recherches historiques de Jean Fourastié sur les prix et le pouvoir d’achat des français, que l’on doit ce chiffre extraordinaire). Un tel niveau de loyer interdisait toute participation de qui que ce soit à l’effort indispensable de construction.
Ainsi le problème social était devenu insoutenable…et toute solution était impossible.
Marché immobilier, année 1
Comment faire passer une décision politique de « déblocage » des loyers ?
La loi de 1948 contourna la difficulté : on ne changea rien pour les loyers en cours, et on décida une liberté totale pour les loyers des habitations rénovées et de toutes les nouvelles constructions. (Les « immeubles loi de 1948 » sont donc ceux qui datent d’avant la loi et qui n’ont pas été rénovés, et pour lesquels les loyers sont toujours fixés par l’État).
Dans le même temps on entreprit un effort gigantesque de construction de logements sociaux, et l’on encouragea toutes les formes de crédit à la construction ou à l’acquisition.
Il fallut des années de construction massive pour à la fois rattraper le retard et digérer la nouvelle croissance démographique. La situation en effet n’était pas statique : pendant que l’on construisait pour rattraper le retard énorme de logements, une demande nouvelle apparaissait avec l’exode rural vers les villes, puis une autre demande, soudaine, avec les rapatriements d’Afrique du Nord. Plus on construisait, plus il fallait construire encore plus.
On peut ajouter à cela deux phénomènes sans nul doute positifs : la forte natalité, et l’élévation du niveau de vie qui incitait les ménages français à vouloir être mieux logés.
De l’immédiat après-guerre jusqu’au milieu des années quatre-vingt, la conjonction des efforts publics et d’une épargne privée fortement orientée vers la pierre, ont permis d’améliorer le parc immobilier français, et de l’augmenter en quantité.
La hausse des prix de l’immobilier
La demande poussant toujours plus fort et l’offre ayant du mal à suivre, les loyers et les prix ne cessèrent de progresser, mais ils venaient de très bas :
- Dans les années soixante-dix la charge des loyers pour les ménages était encore inférieure en France à ce qu’elle était dans les autres pays européens.
- Les prix du logement ne retrouvèrent leur niveau de 1914 (en valeur réelle, c’est-à-dire après inflation) qu’au milieu des années quatre-vingt (c’est un ordre de grandeur, car il est difficile de comparer exactement des appartements à cet écart de temps…).
Quelle a été l’expérience des Français sur toutes ces années ? Une hausse constante des prix. Il s’agissait certes d’un mouvement de correction, de rattrapage, mais dans la pratique les prix de l’immobilier montaient, sans défaillir, ce qui a naturellement créé un sentiment de sécurité.
Au milieu des années quatre-vingt le logement en France a retrouvé son équilibre :
-
- Le poids des loyers dans le budget des ménages était en phase avec les autres pays européens de niveau de vie comparable ;
- Les prix n’étaient plus artificiellement sous-évalués ;
- Le rapport offre / demande n’était pas spécialement tendu.
On avait donc enfin corrigé les conséquences de l’erreur de l’entre-deux guerres.
Avant de commette l’erreur suivante…mais ceci est une autre histoire.
Immobilier, le placement sécurité par excellence ?
De l’année 1 de l’immobilier en France – l’année 1948 – jusqu’en 1988, soit pendant quarante ans, les prix n’ont cessé de monter. Faut-il dès lors s’étonner que immobilier soit devenu synonyme de sécurité ?
Il faut d’ailleurs préciser que la hausse des prix avait été ininterrompue…en valeur nominale, c’est-à-dire à l’époque en francs courants. Si l’on avait regardé de près, on se serait aperçu que certaines années, notamment au début des années soixante-dix, les prix de l’immobilier montaient mais l’inflation allait encore plus vite. Mais qu’importe ! D’abord, en valeur réelle, les prix se sont considérablement revalorisé sur l’ensemble de la période. Surtout, en apparence donc au niveau des prix en monnaie courante, cela montait toujours. |
Quarante ans de hausse, cela marque les esprits !
Prenons simplement un jeune couple en 1948. Ils avaient tous les deux entre vingt et vingt-cinq ans. Quarante ans plus tard, à soixante, soixante-cinq ans, ils n’ont jamais connu, durant toute leur vie adulte, que la hausse des prix de l’immobilier ! Les gouvernements ont changé, la société s’est transformée, les évènements de la vie se sont succédé, mais l’appartement qu’ils ont acheté s’est valorisé, ou la maison qu’ils auraient dû acheter est devenue plus chère chaque année.
La hausse des prix, à force d’habitude, devient normale. C’est ce qu’on appelle la « mémoire de marché ». C’est ainsi que dans la psychologie française, immobilier est devenu synonyme de sécurité : on ne peut pas se tromper en achetant un bien immobilier…
Une parenthèse vite oubliée
À la fin des années quatre-vingt, l’immobilier est entré dans une crise qui a frappé tous les pays dits avancés. Les crédits bancaires vers l’immobilier (construction, achat) venaient d’être abondants, la construction avait été exceptionnellement soutenue, puis la très forte hausse des taux d’intérêts et la fin de l’inflation mondiale, avaient finalement gâché la fête.
Une baisse des prix de l’immobilier était tout simplement impensable en France, pour des personnes qui n’avaient jamais connu que la hausse. Les années quatre-vingt-dix furent donc chez nous celles d’une crise immobilière mal gérée : puisque cette crise était tout sauf acceptable, il fallait chercher des coupables (on oublia au passage que l’on était dans une crise qui avait frappé tous les pays pratiquement en même temps).
En réalité, le maintien de taux d’intérêts élevés (nous sommes restés plusieurs années à 10 %) paralysait à la fois le crédit vers l’immobilier, et l’investissement. Puisqu’on obtenait du 10 % en placements monétaires, donc « en dormant », pourquoi se fatiguer ? Pour la première fois depuis de nombreuses décennies, le flux des acheteurs s’est raréfié.
En 1997, avec enfin la baisse des taux d’intérêts, l’immobilier est reparti.
C’est malheureusement le moment que les gouvernements ont choisi pour ne pas tenir compte des projections démographiques et créer à nouveau un retard de l’offre sur la demande (J’expliquerai un jour comment une mauvaise lecture des statistiques a fait dérailler le système). Bref, avec un décalage sans cesse maintenu entre l’offre insuffisante et la demande, les prix se sont de nouveau tendu à la hausse.
Depuis plus de vingt ans, nous voyons de nouveau les prix monter sans cesse, et nous risquons une fois de plus de confondre l’habituel … et le normal.
De nouveau la « mémoire de marché » et le sentiment de sécurité…
Voir aussi
Pourquoi les politiques n’aiment pas l’immobilier
Crise immobilière : les leçons de l’histoire, du Moyen-Âge aux années 50