Pourquoi les politiques n’aiment pas l’immobilier ?
Les Français consacrent près de la moitié de leur épargne à l’immobilier, sous une forme ou une autre : achat de la résidence principale, investissement locatif, travaux d’amélioration, pierre papier.
Les dirigeants politiques français s’en plaignent. L’appétence des français pour la pierre aurait pour résultat d’emmener l’épargne vers une « rente » bien inutile économiquement, et non vers les « investissements productifs ».
Qui a raison ?
Dans les discours des dirigeants politiques de notre pays, il est clair qu’il faut réduire la consommation de ressources énergétiques, qu’il faut aider et encourager les startups et jeunes entreprises, et qu’il faut investir dans le Grand Paris comme dans plusieurs grandes villes de France…et dans ces mêmes discours, honte à l’investissement immobilier, non productif !
Étrange. Trois fois étrange :
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- Où pourra-t-on réduire les dépenses énergétiques sinon, pour commencer, là où les gens habitent, là où ils travaillent, là où ils font leurs courses ? C’est vital pour l’environnement, et vertueux pour le dynamisme économique. En effet, les réductions de consommation énergétique allègent le « coût de fonctionnement » des entreprises, donc leur libère des ressources. Elle réduisent aussi les dépenses des ménages, donc augmentent leur pouvoir d’achat. Pour réaliser ces réductions de consommation énergétique, il faudra bien investir dans l’amélioration des logements, des bureaux, des commerces.
- Comment pourra-t-on avoir des startups et des jeunes entreprises qui embauchent, si on ne leur permet pas d’accéder à des locaux adaptés à leurs nouvelles formes de travail ? Ces locaux, il faut bien les aménager ou les construire, donc investir en immobilier d’entreprise.
- Pourquoi parler par exemple du Grand Paris, des nouvelles lignes de transports et des nouveaux quartiers qui vont permettre de réduire le temps travail / domicile, ce fléau de la compétitivité économique ? Il faudra bien aménager ou construire ces nouveaux quartiers avec leurs logements, leurs commerces, leurs bureaux, donc encore investir.
Immobilier, le problème
Il y a donc un paradoxe. Comment peut-on :
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- vouloir réduire la consommation énergétique, soutenir les entreprises qui bougent, améliorer les villes,
- et en même temps affirmer que l’épargne qui veut aller dans cette direction est au mieux stérile, au pire antiéconomique ?
Comment peut-on défendre une chose et son contraire ?
De toute évidence notre classe politique a un problème avec l’immobilier.
Le besoin de prélever des impôts n’est pas neutre. La création de l’Impôt sur la Fortune Immobilière est sans aucun doute une innovation fiscale à laquelle aucun autre pays au monde n’a pensé. Il faut bien trouver de l’argent. Nous n’avons pas d’argent, nous avons des idées ! Et l’idée à la base de cet impôt a été clairement exprimée : l’immobilier est le contraire d’un « investissement productif ».
Mais d’où vient cette idée que l’argent investi en immobilier serait « improductif » ?
L’idée exacte, d’ailleurs, est celle-ci : l’investissement en immobilier est improductif, et détourne l’épargne des investissements productifs, c’est-à-dire des entreprises ; la relation entre les français et l’immobilier est un handicap pour notre dynamisme économique.
Imprégnés de cette idée, les politiques font une fixation sur la relation forte entre les français et l’immobilier…
En fait, la grande force d’une idée fausse est d’avoir été vraie un jour. Si nos politiques pensent que l’épargne immobilière est stérile, et même nuisible économiquement, c’est parce que cela a été vrai autrefois !
Croissance économique, pourquoi ?
Nombre de nos politiques, et d’ailleurs aussi nombre d’économistes, pensent avec nostalgie à l’âge d’or de l’économie française, ces fameuses « Trente Glorieuses » selon l’expression créée par Jean Fourastié.
Une croissance annuelle moyenne de 5 %, accompagnée d’une élévation historique du niveau de vie !
Cela s’est passé entre 1945 et le choc pétrolier de 1974-75. Tous les pays de ce qu’on appelait alors le « monde libre » (Europe occidentale, États-Unis, Japon) ont d’ailleurs vécu, à des rythmes variables, cette période exceptionnelle de prospérité.
Quels sont les facteurs qui expliquent les trente glorieuses ?
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- Les reconstructions d’après-guerre,
- L’ouverture progressive des frontières européennes (CECA, Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier dès 1952),
- De nouvelles technologies (transistor, matières plastiques),
- Des matières premières peu couteuses (notamment le pétrole),
- Des progrès de productivité (mécanisation et organisation industrielle),
- Le développement de la consommation de masse (réfrigérateur, lave-vaisselle, télévision, automobile),
- Une population active proportionnellement très importante…
Et l’immobilier ? Il n’était pas à l’origine de la croissance.
Mais il y a pire.
La France avait, au sortir de la seconde guerre mondiale, donc au tout début des « trente glorieuses », un retard considérable en logements. Il fallait donc construire. Construire beaucoup. De plus, l’augmentation de la population dans les villes (natalité, exode rural, rapatriements d’Afrique du Nord) a renforcé encore le besoin de construction.
Et puis, les Français ont profité de l’élévation de leur niveau de vie pour mieux se loger, qui leur reprocherait ?
Résultat, en simplifiant quelque peu : pendant que l’épargne de nos voisins irriguait leurs entreprises, notre épargne s’engouffrait majoritairement dans la pierre. La France a ainsi attaqué les années soixante-dix avec un retard dans son tissu d’entreprises.
Épargne et entreprises
Voilà, les Français ont relativement trop investi dans l’immobilier à une époque où il aurait fallu agir de façon plus équilibrée et ne pas oublier l’investissement en actions. Les entreprises ont été négligées par les flux d’épargne. C’est l’une des origines de notre chômage structurel plus élevé que chez nos voisins.
Mais à qui la faute ? Il avait bien fallu construire, et pour cela on avait mobilisé autant l’épargne privée que les efforts publics.
Les politiques ont compris dès la fin des années soixante que le mouvement allait trop loin, et ont tenté successivement diverses mesures pour tenter d’orienter l’épargne vers l’investissement en actions, mais sans réel succès. Les Français ont continué à favoriser l’achat de la résidence principale ou l’investissement locatif plutôt que la Bourse, par exemple, puis ont progressivement pris le goût des SCPI. L’immobilier, toujours. Pour la retraite notamment. Pour la sécurité aussi.
Pendant les quelques décennies qui ont suivi les trente glorieuses, la fiscalité s’est rééquilibrée (elle avait été très favorable à l’immobilier pour répondre au besoin impérieux de construire) au profit des produits financiers. Mais l’impact sur l’orientation de l’épargne vers les actions n’a pas été à la hauteur des attentes.
Orientation de l’épargne est devenue synonyme d’orientation vers les entreprises, et synonyme aussi de croisade désespérée contre la forteresse de la relation privilégiée entre les français et l’immobilier.
L’analyse selon laquelle l’immobilier était une façon de consommer les dividendes de la croissance au lieu de renforcer celle-ci, n’était pas vraiment suivie d’effet. Trop d’investissement vers la pierre et pas assez vers les entreprises : l’idée s’est fixée. Nombre de dirigeants politiques l’ont conservée comme un dogme.
Mais pendant que des efforts louables étaient consacrés vainement à orienter l’épargne vers les entreprises, le monde a changé !
Retour à demain
Woody Allen le disait très bien : « Je m’intéresse à l’avenir, parce que c’est là que j’ai l’intention de passer le restant de mes jours ». La nostalgie est une émotion séduisante, mais inutile quand il s’agit d’affronter l’avenir. Les conclusions issues d’une expérience ancienne sont dangereuses si le monde se met à changer.
Nous ne sommes plus dans le contexte des trente glorieuses. Nous ne sommes plus non plus dans les années quatre-vingt ou quatre-vingt-dix. Il est temps d’oublier ce qui a été vrai hier, et de se plonger dans la vraie vie, celle de maintenant, de l’avenir immédiat. Aujourd’hui l’immobilier est au cœur des enjeux économiques.
La compétitivité et la création d’emplois sont intimement liées à la transformation des métropoles, à la réduction des dépenses énergétiques, à l’accompagnement des nouvelles formes de travail.
En allant vers l’immobilier, l’épargne vient directement au secours de la croissance. Si l’on n’investit pas suffisamment dans l’immobilier aujourd’hui, on le regrettera demain.
En fin de compte les Français sont bien plus cohérents, bien plus intelligents avec leur épargne que certains discours politiques voudraient le faire croire.
Voir aussi :