L’IA va-t-elle remplacer les Conseils en Gestion de Patrimoine ?
L’intelligence artificielle a surgi soudainement dans notre quotidien. Ses capacités semblent illimitées. La liste des métiers qu’elle pourrait remplacer est d’ores et déjà bien longue.
Le Conseil en Gestion de Patrimoine est-il menacé à terme ? Oui, il est challengé, non, il n’est pas menacé, a répondu Guy Marty aux questions de Fabrice Cousté. Dans l’émission « La gestion de patrimoine dans tous ses états » sur Radio Patrimoine.
Fabrice Cousté
Une fois de plus nous abordons un sujet brûlant, en tout cas d’actualité : l’intelligence artificielle. On parle beaucoup de chatGPT, on parle de cette IA qui va remplacer tout le monde, voire même les conseillers en gestion de patrimoine. Pour nous donner les contours de sujets, qu’est-ce que l’IA, l’intelligence artificielle ?
Guy Marty
Je vais essayer de ne pas redire tout ce qui a déjà été dit sur le sujet. Deux points seulement.
D’abord, quand on dit intelligence artificielle, je pense qu’il faut s’arrêter sur la définition du mot intelligence. On ne va pas entrer trop en détail. Mais il s’agit plutôt de l’optimisation des données et des connaissances acquises. L’intelligence comprend-elle plus de choses que juste des informations ? Je vous laisse penser ce que vous voulez…
En revanche, si on va au fond de ce qu’on appelle donc l’IA, l’intelligence artificielle, ce qu’on appelle le « deep learning », autrement dit ces machines qui apprennent toutes seules à s’améliorer, etc. il y a une formule mathématique extraordinaire, le théorème de Bayes. D’ailleurs le Français Laplace avait trouvé lui aussi ce théorème. Et c’est une formule éminemment dangereuse. Fabuleuse et dangereuse.
Fabrice Cousté
Alors expliquez-nous le théorème de BAYES !
Au coeur de l’IA, les connaissances déjà acquises
Guy Marty
Nous n’allons pas faire de mathématiques ici mais en deux mots… Si vous voulez, c’est un théorème dans le secteur des probabilités, et il a comme immense mérite d’aller vers le consensus. C’est-à-dire qu’il optimise à fond la probabilité à partir de toutes les connaissances acquises. Donc on prend un nouveau fait et on l’examine à partir de ce qu’on sait.
Fabrice Cousté
Par exemple ?
Guy Marty
Eh bien par exemple, supposons que l’IA ait existé à l’époque de Galilée. Comme la très grande majorité des observations disaient à l’époque que le Soleil tournait autour de la Terre, l’IA aurait fait condamner Galilée. Voilà ce qu’il faut savoir.
Aujourd’hui, bien sûr, l’IA sait que c’est la Terre qui tourne autour du Soleil, et elle peut en déduire plein, plein de choses.
Donc cela optimise le savoir, mais cela ne va pas vers les ruptures, cela ne va pas vers le nouveau, cela ne va pas vers la création de savoir.
Fabrice Cousté
Avec le théorème de Bayes on s’est peut-être un peu éloigné du sujet, mais c’est intéressant. Comment cela s’applique à notre monde aujourd’hui et en particulier au monde des conseils en gestion de patrimoine ?
L’IA challenge le CGP
Guy Marty
Cela appartient à la grande vague du digital, de l’optimisation. Partout où le digital a pénétré, il a fait deux choses. Il a remplacé des métiers et il a baissé les coûts.
Donc on aura le même phénomène dans la gestion de patrimoine. Une partie des fonctions du conseiller sont déjà faites par différents logiciels. Mais elles vont encore plus être faites par les machines. Ce qui veut dire que, à partir de là, il y a dumping sur les coûts.
Et le CGP va se trouver face à un challenge :
- Soit il y aura le tout-venant que les machines feront, et peut-être d’ailleurs de très bonne qualité, mais vraiment le tout-venant
- Soit y aura le luxe
- Mais il n’ y aura plus de service intermédiaire
Et donc le CGP va devoir réfléchir. Quel est le luxe qu’il apporte dans le dialogue avec son client ?
Fabrice Cousté
Si je vous comprends bien, cela va devenir un challenge de se faire payer, il va falloir augmenter peut-être son niveau de jeu, son niveau de conseil. Qu’est-ce qu’on va faire de mieux ou de différent par rapport à la machine ?
La valeur du contact humain
Guy Marty
Je pense qu’on va renforcer l’aspect humain. Il n’y a plus de prêtres dans notre société, les psys n’ont pas forcément une bonne réputation, on a besoin d’interlocuteurs. Beaucoup de conseillers vous diront qu’ils sont le confident. Ils sont le confident soit d’une personne, soit de la famille ou des différents membres de la famille. Ce sont des interlocuteurs, c’est la première grande grande valeur.
Et on cherche des interlocuteurs ! Il y a beaucoup de choses qu’on pourrait faire automatiquement, mais on recherche le contact humain. Et en tant qu’interlocuteur qui écoute, qui a de l’empathie, etc., le CGP a de la valeur. Une valeur dans l’accompagnement… et dans l’accompagnement par rapport à l’hésitation, par exemple ! Vous hésitez, la machine vous dit cela c’est un peu mieux, cela c’est un peu moins bien. C’est peut-être mieux d’en parler avec un ami, ou d’en parlez avec un conseiller. C’est le premier aspect par rapport à l’IA.
Fabrice Cousté
Donc le contact humain, sans aucun doute. Et encore ?
Éviter le piège du consensus parfait
Guy Marty
L’autre aspect est le danger de toutes ces machines qui vont vers le consensus, le savoir partagé, le savoir tellement optimisé qu’il est parfaitement partagé. À l’extrême ne va-t-on pas tous acheter la Bourse en même temps ou la vendre en même temps ? Parce qu’on aura tous les mêmes informations, donc tous les mêmes conclusions. Cette façon d’aller à l’idéal va aussi au problème !
Le CGP peut alerter son client avec modestie…Les machines ne sont pas modestes, on ne sait pas leur apprendre la modestie. Le CGP, lui, peut alerter son client avec modestie en disant : voilà en ce moment, tout le monde est d’accord que…
Je vais encore donner un exemple historique, un peu moins loin de Galilée. En 1973, un ministre des Finances qui allait devenir Président de la République lance un emprunt d’État indexé sur l’or. À l’époque, tout le monde, les experts, les banquiers, les économistes, tout le monde condamne l’or comme placement. L’année suivante, boum, l’or décolle et sa valeur va être multipliée par huit en quelques années.
La seule personne qui avait dit cela ? Maurice Allais, un homme qui a toujours été marginalisé en tant qu’économiste, il ne faisait pas partie du savoir partagé. Il avait dit, dès 1970, il avait dit le problème n’est plus de savoir si l’or montera ou ne montera pas, le seul problème, c’est de savoir s’il montera dans l’ordre ou dans le désordre. Il n’a jamais été écouté ! Et même quand Maurice Allais a reçu le prix Nobel, aucun Français n’a su pourquoi il avait eu son prix Nobel…
Match CGP – IA, avantage CGP ?
Donc la pensée un peu différente, peut-être l’alerte un peu plus modeste, cela le CGP peut l’apporter.
Et puis l’amitié. C’est vrai que c’est mieux de se sentir soutenu, accompagné. De pouvoir parler et de pouvoir souffler un peu et poser les problèmes sur la table.
Je crois que le conseiller en gestion de patrimoine aura toujours une légitimité. Il doit vraiment jouer cette légitimité, investir sur elle et c’est un métier qui a de l’avenir. Si justement il se recentre sur son originalité et sa force.
Fabrice Cousté
Merci Guy Marty, le match CGP-IA est lancé, et on a l’impression que pour l’instant, avantage CGP !
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