L’intelligence artificielle va-t-elle supplanter les CGP dans leurs missions de conseil ? Les modèles full digital sont-ils l’avenir ? L’humain n’a pas dit son dernier mot, estime David Charlet, le président de l’Association nationale des conseils financiers, face aux questions de Guy Marty. Interview.
Le CGP est un appui technique, un appui juridique pour les épargnants. Mais, aujourd’hui, n’est-il pas possible d’obtenir plus ou moins la même chose via internet ou l’intelligence artificielle ?
David Charlet – Peut-être… Sauf que vous ne saurez pas comment exploiter le résultat de vos recherches… L’intelligence artificielle sait effectivement aujourd’hui faire beaucoup de choses. Les CGP utilisent d’ailleurs des outils d’intelligence artificielle. Un client qui le souhaite peut privilégier ce type de service. Il n’y a pas de différence entre CGP, au sein par exemple d’une fédération comme l’Anacofi, selon leur degré de digitalisation. Les CGP qui sont en train de fabriquer des modèles digitaux ont les mêmes agréments que les autres. Le rendu de leurs prestations doit être identique. Il est simplement plus digital…
On pourrait donc avoir un « robot » en face de soi. Mais sera-t-il encore un CGP ?
David Charlet – Il n’existe pas encore une marque qui soit un « pur robot ». Même celles qui se disent full digital mettent une pastille, sur le site : « Si vous voulez parler à un humain… ». Je ne vais pas entrer dans des détails trop techniques. Mais il faut savoir que, pour des raisons réglementaires, un schéma dit digital ne peut l’être totalement. Il est essentiellement digital. Mais pas exclusivement. Les schémas « plus humains » sont en outre souvent équipés des mêmes outils digitaux… Simplement, un humain reste intercalé entre l’outil digital et le client. Parce que le client veut un humain…
Mais qu’en sera-t-il pour la génération « Z » ?
David Charlet – La génération Z, celle qui est née dans les années 2000… On disait que la génération d’avant – celle née dans les années 90- ne fonctionnerait pas pareil que les générations précédentes. On se rend compte que, finalement, certains déclencheurs sont identiques, quelles que soient les générations. Les déclencheurs d’une demande de conseil ? « Papa est mort ». Ou « Maman est morte », c’est le même déclencheur. Autre déclencheur : le premier achat immobilier. Ces deux déclencheurs sont toujours actifs, génération après génération. On observe en effet que même les personnes qui avaient décidé de se « débrouiller tout seul » recherchent du conseil lorsque ce type d’évènement intervient dans leur vie…
Mais ce n’est pas nécessairement gravé dans le marbre…
David Charlet – A supposer qu’un conseil full digital soit un jour opérationnel pour ce type de conseil, la question est de savoir si cette génération Z sera la première à dire : la réponse d’un robot me suffit… Pour l’heure, ce sont encore des moments où l’échange humain est jugé nécessaire. Attention, car les études dont on dispose ne disent pas que cet échange humain est souhaité dans 100% des cas. Elles disent toutefois qu’il y a nécessité d’une présence humaine. C’est ce que disent les banques, par exemple. Mais humain ne veut pas dire nécessairement CGP. On verra quelle sera, à l’avenir, la part qu’occuperont les CGP stricto sensu. Technologiquement parlant, les CGP ont toujours été à la pointe. Mais ils ne mettent pas nécessairement leur technologie en avant, parce que leurs clients préfèrent une relation humaine.
L’échange « humain » restera donc malgré tout pour les CGP…
David Charlet – Encore une fois, je le répète, 15% des Français sont clients d’un CGP. Imagine-t-on qu’il ne restera pas au moins 15% d’humains qui auront envie d’échanger avec d’autres humains ?
Prenons l’exemple d’un couple de la génération Z. Qui commence à se poser des questions sur l’éventuel achat d’un appartement. Qui commence à avoir les moyens de commencer à épargner. Que leur conseillez-vous de faire ? Se faire accompagner ? Ou pas…
David Charlet – Il y a une chose à considérer : ce que l’on appelle le cycle de vie. On ne le voit pas nécessairement, mais, derrière la gestion de patrimoine, il y a beaucoup de techniques. Une approche simpliste consisterait à équiper ce couple d’un produit. Sur la base d’un plan « à trois poches », qui seraient ainsi remplies. Ce qui peut être, d’ailleurs, une solution pertinente. Mais le CGP va généralement plus loin. Il utilise cette technique dite du cycle de vie. Laquelle a d’ailleurs évolué au cours du temps. Quand j’ai commencé ma carrière, par exemple, on travaillait sur une projection du patrimoine en considérant que le couple marié resterait marié, stable donc, et qu’il n’y avait pas d’écart d’âge.. Autant vous dire que ce type de couple, dominant à l’époque, ne l’est plus aujourd’hui.
Et donc…
David Charlet – Aujourd’hui, la projection du patrimoine est établie en fonction de la situation spécifique du couple. Et de ses souhaits. Lesquels, d’ailleurs, ne sont pas toujours rationnels. Par exemple, certains clients, très jeunes, viennent nous voir parce qu’ils sont angoissés pour leur future retraite… Or, nous ne pouvons absolument pas savoir quelle sera leur situation professionnelle au cours des prochaines années. Et pourtant, il faut leur apporter une réponse. Et nous apportons une réponse. C’est cela aussi qui fait la différence. On dit que le digital va prendre toute la place. Il va prendre de la place. Mais, pour l’heure, les robots ne sont pas capables de répondre à des attentes ou des souhaits irrationnels exprimés par un client.
C’est-à-dire…
David Charlet – L’IA a aussi du mal à comprendre certaines situations. Quand, par exemple, vous lui expliquerez que vous avez plusieurs compagnes ou plusieurs compagnons. Ou que l’un de vos parents est décédé, et que voulez faire le point sur votre situation patrimoniale. La machine vous répondra alors sans doute froidement. Quand l’IA sera correctement programmée -et je pense que l’on disposera prochainement de vrais avatars, qui donneront l’impression d’échanger avec un humain-, le match sera peut-être alors fondamentalement différent.
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A propos de l’Anacofi(i)
L’objet de l’Anacofi est la représentation de ses membres pour leur permettre d’exercer leurs professions dans les meilleures conditions et dans le respect de leurs clients. Ces actions sont menées au bénéfice du consommateur, de l’investisseur et du chef d’entreprise, en collaborant avec leurs organes de représentations propres. Initialement un club de dirigeants d’entreprises et un think tank, l’association a à cœur de préserver l’ambiance et de maintenir une « vraie » vie associative, partout en France, y compris dans les départements et territoires d’Outre-Mer.
(i) Information extraite d’un document officiel de la société.