Faites le test. Expliquez à un tiers que les notes ESG obtenues par les immeubles inscrits à l’actif d’un fonds labellisé ISR ne sont pas comparables entre elles. Ajoutez qu’un seul et même immeuble devrait obtenir une note ESG différente selon le fonds auquel il appartient. Vous laisserez votre interlocuteur songeur…
Depuis notre passage sur les bancs de l’école, nous sommes attachés à comparer l’engagement et la performance par le seul truchement de la notation. Ce serait pourtant commettre une erreur d’appréciation quant à cette note ESG. Laquelle n’a de sens que dans le cadre de la stratégie définie par le gestionnaire, c’est-à-dire la « promesse extra-financière » formulée à destination des investisseurs.
Une promesse extra-financière formulée à l’adresse des investisseurs
En cohérence avec l’objectif poursuivi, le gestionnaire élabore une grille d’analyse ESG. Avec une pondération propre à chaque pilier, le choix de thématiques et critères, et un système de notation correspondant. La note qui en découle a pour objet de situer au plan extra-financier l’actif à la date de labellisation du fonds. Et d’en apprécier l’évolution dans le temps. Elle s’inscrit dans l’esprit du label qui est d’améliorer l’état du parc immobilier, le fameux « best-in-progress ». Grâce à une gestion encore plus pointue des actifs et aux efforts relayés par les parties prenantes (locataires, intervenants techniques, property manager…).
Prévenir le risque du green ou social washing
Une stratégie librement décidée par le gestionnaire du fonds ? Une note ESG qui n’autorise pas la comparaison entre les immeubles ? Il n’en fallait pas plus à quelques esprits chagrins pour considérer le label ISR comme une voie royale vers le green ou le social washing[1]… Les concepteurs du label ISR immobilier ont prévenu ce risque, dont il faut reconnaître qu’il nourrit l’actualité de l’ESG dans la gestion d’actifs financiers[2]. En premier lieu, le label exige des gestionnaires de fonds de se conformer à des prescriptions. Lesquelles, par leur quantité et leurs implications opérationnelles, devraient signifier un effort parfaitement dissuasif pour tous ceux tentés par le « faire semblant ». En outre, le label met l’accent sur le « faire savoir ». Du fait d’une obligation de reporting particulièrement dense.
Le label et le « faire savoir »
Il s’agira, d’une part, de publier à un rythme annuel un rapport ESG comportant au moins huit indicateurs (dont quatre imposés) portant sur l’ensemble du patrimoine. Ainsi que, a minima, et de manière contextualisée, l’évaluation ESG des 5 actifs les plus performants ; des 5 actifs les moins performants ; et des 5 actifs les plus importants (en valeur). En précisant les éventuels plans d’amélioration mis en œuvre (cf point 5.1.b.). La publication de ces indicateurs par les fonds labellisés nourrira à mesure du temps un benchmark public, source de… comparaison entre les pratiques et les résultats obtenus par les acteurs.
D’abord un enjeu de responsabilité pour le gestionnaire
Enfin, il convient de rappeler que le label est susceptible d’être retiré à la société de gestion qui n’aurait pas, au terme de la période triennale, respecté ses prescriptions. Ou n’aurait pas atteint les objectifs définis ex ante. On n’ose imaginer les conséquences pour le malheureux déchu de son titre, le contentieux avec ses investisseurs, les critiques de la presse et le mauvais coup porté à sa réputation. Au contraire d’une liberté sans limite, porte ouverte à toutes les dérives, le label ISR immobilier est pour le gestionnaire d’abord un enjeu de responsabilité. Dont Winston Churchill estimait que c’est le prix du succès…
Arnaud Dewachter
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A propos d’Arnaud Dewachter(i)
Arnaud Dewachter a été Délégué général de l’ASPIM de 2008 à 2018. Il est consultant indépendant et associé-fondateur d’Ethiket, un cabinet spécialisé dans l’accompagnement dans le développement durable des gestionnaires d’actifs immobiliers
[1] Cette considération critique est répandue. 57% des épargnants français déclarent que « les placements responsables ne le sont jamais totalement » et 51% que « les placements responsables sont un phénomène de mode » (sondage « Les Français et les placements responsables », Opinion Way pour l’AMF, juillet 2021). [2] On citera l’enquête sur des soupçons de tromperie menée actuellement par la SEC et la Bafin en direction de la filiale de gestion d’actifs d’une des principales banques allemandes et les prises de positions critiques émanant de Tariq Fancy, jusqu’à septembre 2019 Chief Investment Officer (CIO) ESG du premier gestionnaire d’actifs mondial.