La transformation digitale des économies et la recherche de flexibilité, certes accélérées par la pandémie, ne signent pas la mort du bureau. Celui-ci va poursuivre sa mutation pour répondre aux nouveaux besoins des collaborateurs et des entreprises, estime Fabrice Doiteaux, directeur patrimoine bureaux de Sofidy dans un long et documenté plaidoyer à l’encontre de l’office bashing. Avis d’expert.
Le marché des bureaux n’a pas été épargné l’an dernier par les mesures de distanciation sociale imposée durant la pandémie. Mais, loin de signer la mort des bureaux, cette crise n’a fait qu’accélérer des changements structurels déjà en cours dans l’usage des surfaces de bureaux. Les gestionnaires d’actifs se doivent donc d’accompagner cette mutation et d’apporter des solutions pour répondre aux nouvelles aspirations des entreprises et de leurs collaborateurs.
Les régions, et les petites et moyennes surfaces, résistent mieux
Sans surprise, le marché d’Île-de-France, première région économique hexagonale, a été le plus touché
Le marché immobilier français des bureaux n’a pas été épargné par de longs mois de télétravail imposés dans de nombreuses entreprises lors des confinements successifs ni par la chute puis le démarrage très progressif, voire heurté, de l’activité des secteurs économiques les plus touchés par les mesures de distanciation sociale imposées par la pandémie.
Sans surprise, le marché d’Île-de-France, première région économique hexagonale, a été le plus touché. Dans ces départements, 1 321 000 m² de bureaux ont été placés l’an dernier, soit un recul de 45 % par rapport à 2019. Parallèlement, 5,1 millions de mètres carrés de bureaux, dont 30 % d’offres neuves et restructurées, étaient vacants. Cela représente une hausse de 22 % par rapport à 2019. L’an dernier, le taux de vacance des bureaux en Île-de-France était de 6,4 %, contre 5 % en 2019.
Les marchés portés par les grandes surfaces ont logiquement souffert
Ce tableau d’ensemble cache de fortes disparités. Les grandes surfaces (5 000 m² et +) ont été les plus impactées par les effets de la pandémie, avec seulement 21 transactions en 2020 contre 79 un an avant, soit une chute de 73 %. Les petites et moyennes surfaces (PMS) ont mieux résisté avec un recul de 39 %.
Les marchés d’Île-de-France portés par les grandes surfaces ont logiquement souffert : la boucle Sud et la 1èrecouronne Est sont les plus touchées. Avec une chute respective des surfaces placées de 77 % et de 72 %. Paris intra-muros a mieux résisté, avec un repli de 48 %. Cette disparité se retrouve dans les taux de vacance avec un écart allant de 18 % pour le Péri-Défense[1] à 4 % pour Paris.
En régions, le recul du marché des bureaux est plus limité
1 245 000 m² de bureaux ont été placés l’an dernier, en recul de 36 % par rapport à 2019. Parallèlement, 2,65 millions de mètres carrés de bureaux étaient disponibles, en hausse de + 13 % par rapport à 2019. Avec un recul de la demande et une hausse de l’offre, les loyers se sont rapidement adaptés à la baisse, aussi bien en Île-de-France qu’en régions.
La Covid-19, accélérateur de changements d’usage déjà amorcés
Le télétravail a agi comme un catalyseur
Le télétravail imposé par les confinements successifs et les mesures de distanciation sociale ont agi comme un catalyseur pour accélérer les changements structurels d’usage des surfaces de bureaux. Avant la crise, des entreprises déployaient déjà le combo « télétravail-flex office », notamment à Paris et en région parisienne. Au-delà de la journée hebdomadaire de télétravail souvent possible, le reste de la semaine était de plus en plus souvent organisé en postes de travail dit « partagés ».
Baisse théorique moyenne de 25% des surfaces de bureaux
Concrètement, les collaborateurs n’ont plus de place attribuée ; ils s’installent à un poste vacant, et donc le plus souvent à un endroit différent d’un jour à l’autre. Avec, en sortie de crise-Covid 19, 1 à 2 jours de télétravail par semaine négociés dans certaines entreprises, il y a désormais en moyenne 4 collaborateurs pour 3 postes de travail, soit une baisse théorique moyenne de 25 % des surfaces de bureaux. L’immobilier étant le 2e poste de charges après les salaires, les directions financières voient assurément ce combo « télétravail-flex office » comme un moyen d’optimiser les mètres carrés de bureaux et donc de réduire les coûts.
Le retour au bureau, au moins partiel, souhait des collaborateurs et des entreprises
Il ne faut toutefois pas tirer de conclusions trop hâtives des effets de la pandémie sur la croissance future de l’immobilier de bureaux. Si les Cassandre ont dès le 1er confinement annoncé la mort certaine des bureaux, force est de constater que, 18 mois plus tard, de nombreux collaborateurs sont ravis, et même soulagés, de regagner, au moins partiellement, leurs bureaux, en raison de l’importance des échanges collaboratifs entre collègues et du lien social permis par le présentiel. De leur côté, les entreprises comptent sur le retour au bureau pour raviver l’esprit d’entreprise, la motivation et la créativité essentiels à leur dynamique de croissance.
La baisse de la demande pourrait être modérée
Qui plus est, les petites et moyennes surfaces et les bureaux en régions sont moins touchés. Le télétravail partiel et l’évolution vers le flex-office concernent très majoritairement les grandes entreprises et donc les surfaces de bureaux d’au moins 1 500 m², à Paris et en région parisienne. Par ailleurs, la baisse théorique moyenne énoncée juste avant est à nuancer car de nouvelles surfaces vont être créées : espaces de réunion, de convivialité, de détente, etc. Dans ces conditions, la baisse de la demande pourrait être modérée.
Répondre aux nouvelles attentes des entreprises et des collaborateurs
Les bureaux vont continuer à évoluer
Actifs par essence dynamiques, les bureaux vont continuer à évoluer pour répondre aux nouvelles aspirations des collaborateurs et des entreprises avec des espaces de travail plus attrayants et plus collaboratifs afin de favoriser les rencontres et les échanges, mais aussi moins de grands open-spaces au profit d’espaces de travail plus petits (4 à 6 collaborateurs) et même individuels. Selon plusieurs sondages, le télétravail des 18 derniers mois a néanmoins renforcé les attentes des salariés. Ils souhaitent des bureaux plus humains et plus conviviaux, avec des espaces qui favorisent le bien-être et les moments de socialisation.
Les surfaces facilement modulables et divisibles, avec de belles hauteurs sous plafond, tout comme celles situées dans des immeubles proposant des prestations d’accueil et de salles de réunion partagées, sont donc toujours recherchées.
Bureau plus serviciel et plus RSE
Le bureau devient aussi plus serviciel : nouvelles offres de restauration, salles de sport, crèches, conciergerie, application pour gérer l’ensemble ces offres, voire un lieu de mixité des usages. Dans les immeubles multi-locataires, ces services à valeur ajoutée peuvent faire la différence auprès des preneurs de petites et moyennes surfaces. Quelle que soit la surface, le bureau « serviciel » est un moyen de fidéliser les collaborateurs et d’attirer les jeunes talents. Véritables vitrines de l’entreprise, les bureaux doivent aussi être situés dans un immeuble central et facilement accessible, répondant aux critères RSE de l’entité via une labélisation type BREEAM ou HQE. Ce sont en effet des prérequis pour recruter des talents mais aussi accueillir collaborateurs et clients.
L’offre alternative flexible du coworking
Les entreprises sont également de plus en plus demandeuses de flexibilité juridique de la part de leur bailleur. Pour des entreprises confrontées à un manque de visibilité, même passager, en fort développement ou lançant leur activité, les engagements fixes d’un minimum de 3 ans du bail commercial peuvent être problématiques. Ces entreprises peuvent alors se tourner vers l’offre alternative flexible de coworking, qui consiste à partager un espace de travail et des infrastructures communs moyennant une prestation à l’heure, la journée ou au mois.
Adapter le patrimoine et accompagner les locataires
Dégager de la valeur et répondre aux besoins de flexibilité
Pour répondre à ces attentes et adapter un patrimoine immobilier à ces nouveaux usages, plusieurs actions peuvent être déployées par les gestionnaires d’actifs. Avec comme objectif final de dégager de la valeur :
- enrichissement de l’offre de services des immeubles ;
- travaux de rénovation, de verdissement et/ou de réaménagement entre deux périodes de location ;
- sur des segments de marché en perte de vitesse, mise en copropriété avec vente à la découpe ;
- changement d’usage en logement ou ERP[2] si la demande évolue ;
Bail dérogatoire avec sortie à 2 ans, bail civil permettant aux deux parties de fixer librement la durée et les principes, mais aussi prime à la fidélité pour les baux commerciaux peuvent répondre au besoin de flexibilité sur les baux de certains locataires ou prospects.
La reprise du marché se fait sentir
Sur le 1er semestre 2021, les transactions ont augmenté de 27% sur un an
Après une année 2020 difficile, le marché hexagonal des bureaux reprend déjà des couleurs, petites et moyennes surfaces en tête. Et ce à la faveur de la reprise économique dans le sillage de la campagne de vaccination des populations, du rebond de la consommation mais aussi de l’émergence de nouveaux secteurs porteurs (objets connectés et intelligence artificielle, ARN messager, nanoparticules, transition énergétique, relocalisation des circuits de production, biotechnologie) demandeurs de surfaces de bureaux de qualité. Sur le 1er semestre 2021, les transactions en mètres carrés placés ont augmenté de 27 % sur un an.
Dans certaines métropoles, les loyers se maintiennent, voire augmentent
En régions, cette hausse est même de 35 %, et supérieure à la moyenne des dix dernières années. Dans certaines capitales régionales, Lyon, Lille, Aix-Marseille, Nantes et Montpellier en tête, les loyers se maintiennent voire augmentent. Seul le quartier de La Défense, segment très volatil et qui amplifie les cycles, affiche encore une baisse semestrielle de 42 % de la demande sur un an.
La transformation de nos économies ne signe pas la mort du bureaux
La transformation digitale de nos économies et la recherche de flexibilité, certes accélérées par la pandémie, ne signent pas la mort du bureau. Tout comme le commerce physique a su s’adapter et se réinventer face à l’essor de l’e-commerce, les bureaux vont poursuivre leur mutation pour répondre aux nouveaux besoins des collaborateurs et des entreprises. S’il fallait s’en convaincre, citons l’exemple d’Amazon, entreprise emblématique de l’économie digitale, pour qui une culture centrée sur le bureau permet « d’inventer, de collaborer et d’apprendre ensemble le plus efficacement possible »[3].
Fabrice Doiteaux
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A propos de Fabrice Doiteaux
Fabrice Doiteaux est directeur du patrimoine Bureaux de Sofidy
A propos de Sofidy(i)
Depuis 1987, Sofidy conçoit et développe des produits d’investissement et d’épargne (SCPI, OPCI, SCI, SIIC, OPCVM Immobilier, Fonds dédiés) orientés principalement vers l’immobilier de commerces et de bureaux. Premier acteur indépendant sur le marché des SCPI, avec 6,7 Md€ sous gestion, Sofidy est un gestionnaire de référence dans le paysage de la gestion d’actifs immobiliers en France et en Europe. Agréée par l’AMF, Sofidy est régulièrement distinguée pour la qualité et la régularité des performances de ses fonds. Sofidy gère pour le compte de plus de 50 000 épargnants, et un grand nombre d’institutionnels, un patrimoine immobilier constitué de plus de 4 200 actifs commerciaux et de bureaux. Sofidy est une filiale de Tikehau Capital.
(i) Information extraite d’un document officiel de la société
[1] Bois-Colombes, Colombes, Courbevoie, La Garenne-Colombes, Nanterre, Puteaux, Rueil-Malmaison, Suresnes.[2] Établissement recevant du public.
[3] « Notre plan est de revenir à une culture centrée sur le bureau comme base de référence. Nous pensons que cela nous permet d’inventer, de collaborer et d’apprendre ensemble le plus efficacement possible. » Amazon, mémo aux employés, mars 2021.