Choc du coronavirus, puis expérience incroyable du confinement. La vie reprend, mais la reprise économique sera-t-elle au rendez-vous ?
L’économie n’est pas une chose abstraite. Derrière les chiffres il y a des gens qui vivent, qui travaillent, qui font leurs courses, qui se rencontrent. Qui sont heureux ou qui souffrent.
Et ce sont eux, en fin de compte, qui font le PIB…
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Vous souhaitez savoir comment sera la reprise ?
Toutes les informations n’ont pas la même valeur. Parmi celles qui me semblent importantes, en voici une : la France aura été l’un des derniers pays à rouvrir les salons de coiffure !
Nos hommes politiques, nos hauts fonctionnaires n’ont-ils ni femmes, ni filles, ni sœurs, ni mères ? Ne savent-ils pas qu’une séance chez le coiffeur change beaucoup de choses pour le moral de la gent féminine ? Parfois pour nous aussi d’ailleurs…
Anecdotique ? Pas vraiment, car s’inquiéter de la reprise économique et oublier le moral des gens est paradoxal.
Le moral a beaucoup à voir avec le PIB
Expliquer la formidable croissance des Trente Glorieuses
Que s’est-il passé pendant les Trente Glorieuses (1945 – 1975), période bénie au cours de laquelle la croissance annuelle du PIB était autour de 5 % ? En 1945 l’économie était dévastée par la seconde guerre mondiale. Le redémarrage a été lent et difficile au tout début, puis la reprise s’est accélérée et a duré près de trente ans, avec création d’emplois quasiment ininterrompue et élévation générale du niveau de vie,
On trouve dans les manuels d’économie de nombreuses raisons objectives : la croissance démographique (le fameux baby-boom), le progrès technique, l’énergie pas chère, l’ouverture des frontières européennes, le développement de la production et de la consommation de masse.
Certes. Mais il y avait sans aucun doute un autre facteur bien présent, à savoir le climat psychologique. Il y avait un appétit de vivre, une envie de s’équiper d’une machine à laver, d’habiter un meilleur appartement, d’acheter une voiture, d’avoir un poste de télévision chez soi, et l’on regardait devant, parce que ce serait toujours mieux ensuite. On s’attendait à ce que les salaires progressent. On avait relativement confiance dans le système éducatif. On savait que les jeunes n’auraient pas trop de difficulté à trouver du travail. Les parents pensaient que leurs enfants auraient un vie meilleure que celle qu’ils avaient connue. On pensait aussi à la réconciliation européenne, à la conquête de l’espace. On rêvait à l’an 2000.
Je ne dirai pas que cette période était un âge d’or, en tout cas sûrement pas pour tout le monde. Elle ne fut pas non plus exempte de cycles conjoncturels, ni de désastres politiques, ni de scandales financiers, ni de crises internationales, ni de malheurs. La frénésie de consommation n’était sans doute pas une valeur durable. Mais l’ambiance était bien plus légère que celle que nous connaissons aujourd’hui. L’avenir n’était ni sombre, ni fermé. Ceci explique pour une partie difficile à chiffrer, mais bien réelle, la dynamique de croissance pendant ces années.
Dix années de prospérité qui ont défié les économistes
Plus récemment, l’incroyable cycle économique américain des dix dernières années s’est traduit par un rythme de créations d’emplois qui semblait désobéir aux lois de la pesanteur. Nombre d’économistes français ou européens n’ont cessé d’annoncer la fin de ce cycle de croissance, mais il se prolongeait encore et encore.
En fait, il suffisait de prendre l’avion et d’aller sur place, de parler avec des commerçants et des chauffeurs de taxis, de rencontrer des étudiants ou des professionnels de nombreux secteurs d’activité. On découvrait rapidement que le moral et la confiance dans l’avenir étaient relativement élevés. Et il suffisait alors de revenir chez nous pour sentir, palpable, le contraste…
Qu’on le veuille ou non, cette dynamique économique américaine correspondait à une attitude généralement positive, plus positive en tout cas que l’ambiance qui règne chroniquement dans notre triste et beau pays.
La situation là-bas était loin, très loin d’être parfaite. On peut évoquer les poches d’extrême pauvreté, les situations fragiles d’une partie non négligeable de la population américaine, sans oublier des inégalités parfois plus criantes que chez nous. Mais chez eux, la somme des attitudes individuelles, au quotidien, formait un climat psychologique général qui explique pour partie leur dynamique de croissance.
Les reprises économiques ont un point commun
Et que dire de pays comme la Suède, le Danemark ou la Pologne, pour prendre des pays fort différents, qui depuis la crise mondiale de 2008 ont connu des croissances de PIB insolemment plus élevées que chez nous ? Eh bien, toutes les raisons avancées par les économistes étaient intéressantes, mais il y avait un point commun que tout un chacun pouvait découvrir en allant sur place, en se promenant dans les rues, en rencontrant des gens : l’ambiance, la perception de l’avenir étaient plus toniques.
La coupe du monde de football pour comprendre les ressorts de l’économie
Parmi les économistes que je rencontre régulièrement, ou parmi ceux que je lis ou écoute, plusieurs m’inspirent un réel respect. Mais je trouve que d’autres s’enferment dans leurs équations et oublient de fréquenter le réel. Ils n’ont pas la moindre idée de la façon dont l’ambiance, la qualité des relations, l’intérêt pour le travail, la bonne humeur ou les contrariétés, bref des éléments purement psychologiques peuvent influencer le succès ou l’échec d’une entreprise. Donc à plus large échelle le dynamisme de l’économie. Ils ne voient donc qu’un aspect, une meilleure croissance favorise le moral des gens – ce qui est indéniable – et ignorent ou sous-estiment l’autre, un meilleur moral favorise la croissance.
À ce stade, je dois préciser un point pour les internautes qui sont familiarisés avec les idéees économiques. Plutôt que de « moral », les économistes ont développé le concept de « confiance des ménages ». Et l’on sait que selon le niveau de confiance des ménages (il existe même des indices pour cela !) il y aura augmentation ou diminution de la consommation, ce qui ne sera pas neutre pour la croissance, ses mouvements de déclin ou de reprise. Mon propos ici est que c’est une vue bien trop étroite de la réalité, car le moral influence aussi la production et les échanges, il est donc au cœur de l’économie.
Voici une démonstration qu’il me semble difficile de contester. En 1998, la France a gagné la coupe du monde de football. Pour la première fois depuis la création de la coupe en 1930 ! Pas d’espoir au début, puis un peu d’étonnement devant les premières victoires, puis un intérêt plus vif, puis de l’excitation à l’approche de la finale contre le Brésil qui avait déjà gagné quatre fois cette prestigieuse compétition, puis un suspense insoutenable pendant toutes les minutes du dernier match, puis un soudain déchaînement de joie et de bonheur… Le parfum de la victoire flotta pendant plusieurs semaines.
Que pensez-vous qu’il arriva dans les mois suivants ? Le PIB de la France connût un net sursaut. Donc les gens ont travaillé plus, ou mieux. Les entreprises ont investi et recruté. Nous avons connu une petite bouffée de croissance. On voit bien où était la cause et où était l’effet. Qui osera prétendre que c’est parce que notre PIB allait progresser que nous avons gagné la coupe du monde ?!?
Des esprits grincheux rétorqueront que le même sursaut ne s’est pas produit en 2018, pour notre seconde victoire historique. Mais rappelez-vous, nous avons été privés du bonheur de la victoire. Le dernier but était à peine marqué que l’affaire Benalla éclatait et commençait à tourner en boucle sur toutes les chaînes de télévision, foudroyant l’état de grâce médiatique du président élu un an plus tôt, et éclipsant totalement la coupe du monde de football. Exit les débordements d’allégresse… exit l’aide à la croissance du PIB. Cela fonctionne dans les deux sens. Le matraquage médiatique sur les turpitudes de la République n’est pas une potion pour renforcer la joie de vivre.
Comment ne pas rater la reprise économique
Les politiques peuvent se tromper de cible
Prenons donc un peu de recul sur les théories économiques, sur les chiffres terribles qui nous sont assénés, sur les milliards d’euros créés pour endiguer la catastrophe, et reprenons pied dans la vraie vie.
L’économie, ce sont les gens qui la font. Qui la subissent aussi d’ailleurs. Ce sont des personnes en chair et en os qui vivent, qui travaillent, qui ont des familles, qui sont heureuses, qui souffrent. Il faut donc penser aux gens, pas seulement aux mesures techniques ou financières.
Vouloir soutenir la reprise économique sans se préoccuper de ce que pensent les gens, de ce qu’ils ressentent, de ce qu’ils vivent, est une erreur qui a souvent été commise. Historiens et économistes le savent bien, c’est cela, bien plus que le soi-disant rêve capitaliste, qui a condamné les régimes communistes. C’est cela qui a finalement affaibli bien des régimes autoritaires. À l’inverse, quand des dirigeants ont su insuffler du rêve, de l’ambition, de l’enthousiasme à leurs peuples, ils ont obtenu de vrais élans de dynamisme. On se souvient encore des Churchill ou des Kennedy. De brefs moments dans l’histoire, mais instructifs.
Le choc du covid-19 a paralysé les acteurs économiques
Oublions donc un instant les discours des politiques et le bruit assourdissant des media sur l’épidémie, les plans de soutien, les mesures de confinement, les problèmes de la finance, le risque d’effondrement de l’économie. Ne voit-on pas que l’arrêt soudain des activités ordinaires, le confinement à la maison, l’impossibilité de se rencontrer et de se parler de vive voix, sans compter les nouvelles inquiétantes sur la progression de l’épidémie puis sur les risques du déconfinement, ont d’abord et avant tout produit un choc sur l’ensemble de la population, c’est-à-dire sur la plupart des gens pris un à un ?
Nous porterons donc des masques. Nous nous parlerons à distance. Nous aurons des interdictions de nous déplacer où bon nous semble. De nous réunir pour faire la fête. Il y aura des protections dans les bureaux, dans les magasins, sur tous les lieux de travail. Nous devrons considérer l’autre, chaque autre, comme un danger potentiel. Triste façon de reprendre le cours de la vie.
Regardez une personne triste. Elle bouge lentement. Elle hésite à prendre des décisions. Et vous pensez que l’économie repartira gaiement si l’on continue sur cette lancée ?
Seul un choc de confiance peut redémarrer l’économie
Alors voilà. Tous les plans de soutien, tous les milliards d’euros de financement exceptionnels ne seront d’aucune efficacité si les populations restent sous le choc.
La seule solution est de redonner le moral. De redonner du goût aux choses de la vie. Il ne s’agit pas de commettre d’imprudence, mais de prendre toutes les mesures possibles pour aller dans le sens de plus de plaisir de vivre au quotidien.
J’ai démarré cet article en parlant des coiffeurs, étrangement qualifiés de « commerces non essentiels ». Et pourquoi ne pas ouvrir aussi les terrasses de café ? Propices à la convivialité, aux échanges, au plaisir d’être avec des collègues ou des amis, ou de sortir en couple. Après tout, il est certainement plus facile d’y instaurer des règles de précaution que dans des usines ou sur des chantiers.
Et pourquoi pas les musées ? La distanciation y est aussi facile à organiser, et peut-être plus, que dans les commerces. Et les parcs de loisirs ? Voilà bien des experts de la canalisation des flux de personnes, ils sont donc tout préparés à instaurer des règles de prudence sanitaire.
Mais pour penser à de telles évidences, il faut justement avoir à l’esprit le bonheur des gens et pas seulement les comptes de la nation. Quitter un peu les questions de finance, de gestion, d’accélération ou de ralentissement, et se souvenir que tout ce qui est fait, ce sont pour des gens qui vivent et qui respirent.
Il est clair que nous devrons vivre quelques temps encore avec la menace de l’épidémie. Mais on peut le faire en renforçant la peur et la paralysie, ou en partant à la conquête de jours plus heureux.
Si l’information économique n’est constituée que de faillites d’entreprises, de destructions d’emplois, de chute de la production, de baisse de la consommation, de dettes qu’on ne pourra jamais rembourser, de finance folle, pourquoi voudriez-vous que les entreprises recrutent et investissent ?
Si les politiques maintiennent leurs discours uniquement sur la menace de l’épidémie et sur les mesures d’urgence face aux désastres qui frappent, si les media continuent à nous bercer de noir, il n’y aura pas de choc de confiance et la reprise économique sera compromise.
C’est une question d’optique, d’attention à ce qui est le plus important.
Nombre de décisions seraient simples à prendre selon un ordre de priorités incluant les gens et pas seulement les chiffres.
On pourrait partager des expériences intéressantes sur ce qu’ont réussi tel ou tel pays, sur des initiatives de solidarité ici ou là, sur de bonnes solutions trouvées par des personnes ou des équipes.
Tellement de bonnes nouvelles pourraient circuler si l’on voulait bien se donner la peine de les chercher.
Vous voulez savoir comment sera la reprise ? Eh bien voici ma réponse. Si et seulement si nos dirigeants comprennent assez vite que leur véritable enjeu est le retour du moral, on peut être relativement optimiste sur la vigueur de la reprise économique.
Les dégâts sont sévères, mais les atouts ne manquent pas pour un sérieux rebond… à condition que l’économie ne soit pas peuplée de personnes touchées au moral.
Économie, la recette du succès
Une belle citation est attribuée au Bouddha. Je vais être prudent car il a vécu au siècle de Pythagore et n’a pas, lui non plus, laissé d’écrits. Mais voici la phrase telle qu’elle est rapportée : « Ce n’est pas le succès qui fait le bonheur, c’est le bonheur qui fait le succès ».
Je souhaite à nos dirigeants et à nous tous beaucoup de succès dans ces temps exceptionnels. Donc pour commencer un nouveau souffle d’entrain, de joie de vivre, d’envie de bouger, de rattraper le temps perdu, d’avoir des projets. Alors l’économie suivra. Et c’est nous qui aurons gagné finalement, pas le virus.
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