La crise économique est là. Donne-t-on toutes les chances à la reprise économique ?
Les mesures de confinement ont été appliquées dans de nombreux pays. L’activité s’est brutalement ralentie, la production a chuté, la consommation aussi. Certains secteurs d’activité sont gravement touchés.
Quelles vont être les conséquences des décisions prises aujourd’hui sur l’activité et l’emploi, en un mot sur la richesse ou la pauvreté demain ?
Dans la lutte contre l’épidémie du coronavirus, les gouvernements ont pris des décisions d’ordre sanitaire. Ils ont aussi mis en route, de même que les banques centrales, des interventions de grande ampleur pour soutenir l’économie.
La soudaineté et la violence du choc risquent de paralyser la réflexion. Or il est plus important que jamais de bien anticiper les risques à venir.
SOMMAIRE |
Une crise bien gérée ?
Commençons par analyser les points faibles qui se sont manifestés à ce jour.
La crise sanitaire aurait pu être moins grave
Cherchez l’erreur !
Le 28 février 2020 le gouvernement français déclenche le « stade 2 » de la réaction à l’épidémie du coronavirus. Donc le stade précédant la mobilisation générale et le confinement.
Le 9 mars l’Italie, devant la gravité de la situation, adopte des mesures de confinement.
Le même jour l’Espagne commence à fermer crèches, écoles et universités.
…Et c’est le 11 mars que l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) déclare que l’épidémie du coronavirus est une pandémie, autrement dit une épidémie qui ne menace pas seulement son pays d’origine. Qui ne le savait pas encore ?!? À cette date, déjà 114 pays avaient signalé des cas, et certains avaient déjà pris de larges mesures…
En un mot comme en cent, le mécanisme mondial prévu pour donner l’alerte n’a pas fonctionné. Les dirigeants des principaux pays auraient dû être vigoureusement incités à prendre des mesures importantes au moins trois ou quatre semaines plus tôt, si l’on reprend les étapes de diffusion de l’épidémie. Au lieu de cela, ils ont été encouragés à ne pas s’inquiéter outre mesure et à vaquer à leurs priorités habituelles.
Le virus a gagné un temps précieux dans sa conquête du monde. Les conséquences sont déjà importantes sur le plan humain, elles le seront plus encore sur la sévérité de la crise économique.
Les historiens nous expliqueront un jour pourquoi une organisation internationale aussi importante n’a pas rempli ce qui est précisément sa mission à un moment aussi crucial.
En attendant, nous garderons à l’esprit que même des institutions honorables peuvent connaître de sérieux dysfonctionnements.
Une gestion déficiente de la crise sanitaire
Pour certains pays, dont la France, il aura donc fallu près de deux mois après la déclaration déjà bien tardive de l’OMS, pour que la question des masques, des tests, des respirateurs en nombre suffisant dans les hôpitaux commence à être résolue de façon satisfaisante.
Comment est-ce possible ? Eh bien c’est possible, c’est surtout cela qu’il faut comprendre.
On a donné de nombreuses raisons, mais en cherchant des explications on éloigne l’attention de l’essentiel. Le fait important est que nos sociétés, avec leurs systèmes de décision et d’organisation, sont parfois capables d’inefficacités ahurissantes.
Il y a donc un décalage entre ce que l’on sait devoir faire et ce que l’on réussit à faire concrètement. Ce n’est pas parce que cela s’est produit une fois, que cela ne se reproduira pas.
Les querelles d’experts ne facilitent pas les choses
Voilà bien un sujet délicat. Les solutions en matière de traitement des personnes atteintes par le virus varient largement d’un pays à l’autre. On pourrait croire que l’ensemble des professions médicales bénéficient d’un savoir partagé. Il apparait qu’en réalité ce n’est pas le cas.
Le débat en France sur la chloroquine a levé un coin du voile qui recouvre cette situation. Il ne s’agit pas ici de prendre un parti ou un autre, mais seulement d’observer qu’il existe de profonds désaccords entre des experts reconnus qui ont tous suivi les meilleures études et qui ont maintes fois montré leurs talents dans leur discipline. Nous étions habitués aux débats sans fin entre économistes. Mais pas entre spécialistes de la santé, face à une menace précise…
À l’intérieur d’un même pays et de son propre système de santé, entre pays différents – il suffit de recenser les pratiques médicales allemandes et françaises pour s’en convaincre – les « savoirs » ne sont donc pas les mêmes ?
Voilà qui est bien étrange.
Cela signifie surtout que l’expérience des uns et des autres n’est pas partagée aussi bien qu’elle le devrait. Nous nous étions peut-être fait quelques illusions sur la circulation de la connaissance.
C’est un autre enseignement de cette gestion de crise. Pour agir, les dirigeants en charge s’appuient sur la compréhension qu’ils peuvent avoir de ce qui se passe. Or cette compréhension ne saurait être absolue, et de très loin.
La gestion de la crise sanitaire a donc souffert de trois problèmes :
- D’abord une lenteur anormale de réaction à l’échelle internationale
- Ensuite des problèmes entre l’intention et l’exécution
- Enfin des querelles d’experts ou de chapelles qui ralentissent la circulation du savoir
Bienvenue sur la planète Terre !
Le confinement pose de nombreuses questions pour la suite
Aucun pays n’a l’expérience du confinement. Encore moins la planète, à l’échelle de près de la moitié de la population mondiale.
Il y a deux choses cependant que l’on commence à entrevoir.
Pour commencer, il est plus facile d’entrer dans le confinement que d’en sortir. Comment revenir à la vie normale sans être de nouveau débordés par l’épidémie ? En ce sens, les différentes « prolongations » sont malheureusement compréhensibles. Le temps, cette fois-ci, va compter dans l’autre sens. Il ne faudra pas aller trop vite.
Ensuite, les pays, même européens, n’ont pas confiné de la même manière. Les plans de dé-confinement sont encore plus variables. Il y a donc en pratique des gestions sensiblement différentes du problème sanitaire. Cela veut dire aussi que les conséquences économiques ne seront pas homogènes d’un pays à l’autre. Il y aura des degrés dans la gravité.
Quelle sera l’ampleur des premiers dégâts économiques ?
L’arrêt des activités, des déplacements, des activités collectives, touche en priorité les secteurs du commerce, de l’hôtellerie, du tourisme, de la construction et du bâtiment, des spectacles, des manifestions et expositions. La question pour les entreprises de ces secteurs est de survivre pendant le confinement… et après, dans un après dont les contours sont difficiles à anticiper. Plus généralement, les entreprises d’autres secteurs sont touchées aussi, par effet de domino.
Toutes ne survivront pas, malgré les plans de soutien. On sait d’ores et déjà qu’il y a des ravages sérieux dans les petites et moyennes entreprises.
Première inconnue : combien d’entreprises détruites, combien d’emplois disparus ?
Les inégalités économiques vont s’accentuer
Un autre aspect non négligeable est le niveau de prospérité à la veille de l’épidémie.
Dans les pays avancés, le confinement est une souffrance, mais la plupart des gens peuvent s’y adapter. Les salariés en télétravail ou en chômage technique continuent de recevoir leurs revenus. Les retraités leurs pensions, les malades leurs prestations. La situation est critique pour certains commerçants ou indépendants qui n’ont plus de chiffre d’affaires, et surtout pour la partie de la population qui est proche ou en-dessous du seuil de pauvreté.
Dans les pays à bas revenus, la situation est toute différente. Quand une partie importante de la population vit « de la main à la bouche » selon l’expression anglo-saxonne, le confinement est pratiquement impossible, ou dramatique. On a donné l’exemple de l’Inde, mais nombre de pays d’Asie, d’Afrique, d’Amérique du sud, connaissent des problèmes similaires. Les pertes humaines seront donc plus lourdes, les conséquences économiques aussi.
Deuxième inconnue : quelle sera l’ampleur des conséquences sur les populations les plus pauvres des pays riches, et sur les pays les plus pauvres de la planète ?
D’une crise sanitaire à plusieurs crises économiques
On se doute que les lendemains de la crise sanitaire seront différents selon les pays. La Corée du sud et l’Allemagne semblent mieux gérer l’épidémie que la France, qui elle-même semble mieux la gérer que l’Espagne ou l’Angleterre, pour ne prendre que quelques exemples.
Cela signifie d’abord un degré différent de protection de la population, mais aussi un degré différent de catastrophe économique.
Troisième inconnue : comment va redémarrer ce monde dans lequel les handicaps économiques seront d’intensité variable selon les pays ?
L’illusion économique du confinement
Les humains ont une capacité extraordinaire d’adaptation. Dans nos pays riches, le confinement en chômage technique ou en télétravail, voire directement en chômage, fait appel à cette capacité. On continue de vivre. On sort très peu, on s’occupe plus des enfants. Les ordinateurs, tablettes et smartphones fonctionnent à plein régime.
L’essentiel des productions sont au mieux ralenties, et parfois arrêtées. Le commerce international, lui qui définissait l’essentiel de la consommation dans de nombreux pays du monde, est au point mort. Alors que des chaînes d’approvisionnement sont en train de rompre, les consommations de première nécessité sont irriguées par les stocks passés.
Se rend-on bien compte que c’est une situation de confort transitoire, comme si l’économie était en apesanteur ?
Quatrième inconnue : quels seront les produits et services encore disponibles, quels seront ceux qui auront été perturbés par la période de paralysie imposée à l’économie mondiale ?
La période de confinement aura donc eu son lot de destructions d’entreprises, d’emplois, de chaînes d’approvisionnement. Avec de grandes différences selon les secteurs économiques et selon les pays. Il y aura donc des différences très prononcées, entre pays et entre secteurs économiques, dans la capacité à se remettre du choc.
Sauver l’économie, pas si simple
Qu’on le veuille ou non, les décisions qui précèdent la sortie du confinement portent d’ores et déjà des conséquences importantes.
Avant le confinement, les mesures sanitaires mises en vigueur après que l’épidémie ait pris de l’ampleur, ont conduit à un arrêt plus brutal de l’activité économique.
Pendant le confinement, les très nombreuses entreprises qui ont dû fermer n’ont, de fait, plus aucun chiffre d’affaire. La violence de cette situation engage leur pérennité ainsi que l’emploi de leurs salariés, et menace de produire des effets en chaîne.
Gouvernements et Banques Centrales se mobilisent
Nul ne doute de la bonne volonté de nos dirigeants. Ils veulent limiter les dégâts. Ils veulent absolument que la machine puisse repartir. Pour cela, ils agissent comme on le fait en cas d’incendie : on oublie toutes les habitudes, toutes les façons normales de fonctionner, et l’on se précipite dans le combat contre le feu.
C’est exactement ce qu’ont décidé les gouvernements et les Banques Centrales, avec une formule pour décrire leur engagement : « Whatever it takes » (« Tout ce qu’il faudra »). Implication maximale, donc. Mais intelligence maximale ?
On court-circuite les règles
Nombre de règles sacro-saintes ont été suspendues ou atténuées pour faire face au danger.
On notera ainsi qu’au niveau européen plusieurs règles sont devenues soudain franchissables.
Ainsi la protection du bilan de la Banque Centrale Européenne (sujet technique que je ne développerai pas ici) est momentanément mise de côté pour faire face au risque d’effondrement économique. Et l’on verra plus tard pour les conséquences.
La règle des 3 % maximum de déficit public est momentanément oubliée elle aussi, pour permette aux États une intervention budgétaire massive. Et l’on verra plus tard pour les conséquences.
Il en va de même de la régulation des banques, appelée Bâle 3. Elle est dans la pratique allégée (je n’entrerai pas ici dans les détails techniques) pour donner plus de souplesse aux banques dans l’aide aux entreprises.
Idem pour la régulation des compagnies d’assurance, appelée Solvency 2. Dans la pratique sérieusement atténuée (là non plus, je n’entrerai pas dans les subtilités techniques) pour permettre aux compagnies d’assurance de supporter le choc.
Sans oublier un certain nombre de libertés individuelles normalement intouchables en démocratie. Les gouvernements les ont suspendues dans les faits, pour préserver l’intérêt collectif.
On est bien dans une logique consistant à briser les façons normales de fonctionner, pour affronter le danger immédiat.
Cela suscite trois questions pour l’avenir.
Les règles qui étaient appliquées aux déficits publics, aux banques et aux compagnies d’assurances ont été mises à rude épreuve. N’est-ce pas le signe qu’elles n’étaient pas adaptées aux réalités économiques ? Aura-t-on la sagesse de les améliorer à l’issue de cette expérience ?
L’État est devenu pour un temps, par nécessité, le grand acteur économique. Son intervention est majeure, à tous les niveaux de la machine économique. Quelle place reprendra-t-il ensuite ?
Que deviendra le périmètre des libertés individuelles dans nos démocraties d’après-crise ? Les États rendent difficilement le pouvoir une fois acquis, nul doute que cette question est à la fois délicate et vitale pour le devenir de nos sociétés.
Les détails, seulement les détails
Les décisions venues d’en haut sont légitimes, mais sont par nature de principe général. Parfois, souvent même, l’application concrète pose problème.
Il y a donc des risques. On l’a vu par exemple avec les actes notariés. Confinement ? Il n’est donc plus possible de signer d’actes de vente. Risque de paralysie totale du marché du logement. La réaction a été rapide, quelques semaines à peine. Désormais les actes notariés peuvent être digitalisés, signatures comprises. Ouf. Bravo !
Mais les sujets sont nombreux. La réalité grince à de nombreux endroits. On le voit pour l’allongement du délai de préemption des mairies. Il fallait allonger les délais administratifs ? Oui, pour cause de confinement. La préemption est un aspect particulièrement technique ? Sans aucun doute. Mais le diable est dans les détails. Ce seul point est une menace sérieuse pour le redémarrage du marché du logement après le confinement.
Avant même les mesures de soutien, comment ne pas créer plus de dégâts que nécessaire ? Et ces mesures de soutien, ne doivent-elles pas être aussi étroitement adaptées aux situations réelles ?
Un challenge majeur pour les équipes gouvernementales actuelles est l’attention aux détails, l’écoute des acteurs économiques qui sont là où les choses se passent, la rapidité de réaction. Les conditions de la sortie de crise dépendront dans une large mesure du pragmatisme de nos gouvernants.
Allons-nous sauver ou détruire l’économie ?
Au risque de surprendre, il est peut-être temps de s’interroger sur le bien-fondé du mode de sauvetage engagé à large échelle. Oui, il faut une action de grande envergure. Non, la méthode employée dans les efforts budgétaires des États et dans les intervention des Banques Centrales n’est peut-être pas la bonne.
Persistance dans l’erreur
La crise de 2008, qui de financière est devenue économique, est née de problèmes d’endettement. Pour la résoudre, on a créé encore plus de dettes.
On connait les effets de l’augmentation des dettes à l’échelle du monde. Hausse des actifs financiers et immobiliers. Cercle vicieux entre l’endettement public et la pression fiscale qui doit être exercée, avec le risque de nuire à la prospérité et à la compétitivité. Destruction des classes moyennes et paupérisation d’une partie de la population.
Ces derniers temps des poches gigantesques de dettes menaçaient l’économie mondiale d’une crise financière… et c’est le coronavirus qui est arrivé !
Que fait-on pour faire face à cette toute nouvelle crise économique ? États et Banques Centrales ont dès le début décidé de faire « tout ce qu’il faudra », ce qui est bien. Mais la suite est plus étrange : les États vont s’endetter encore plus, sans compter. Et les banques centrales vont inonder à nouveau le monde de liquidités, sous forme de nouvelles dettes, sans compter.
Autrement dit, le remède de la dette n’a pas fonctionné, utilisons-le à nouveau !
Il est peut-être temps de chercher une autre médication.
Pourquoi endetter les entreprises ?
Prenons l’exemple d’une décision courageuse et rapide, le Prêt Garanti par l’État (PGE). Donc un prêt aux entreprises, à taux presque nul, à hauteur de 25 % du chiffre d’affaires réalisé l’année précédente, sans conditions particulières. Il suffit pratiquement de le demander. Formidable !
Mais voilà ce qui va se passer.
Un certain nombre de petites entreprises, découragées et condamnées, ne vont même pas le demander.
Parmi les entreprises qui vont bénéficier du PGE, un certain nombre ne s’en sortiront pas. Il y aura alors des procédures, des lenteurs, des souffrances, des dossiers complexes, même si après coup l’État indemnisera les banques.
Les entreprises qui réussiront à repartir et à survivre, auront pour nombre d’entre elles bénéficié du prêt… mais elles auront plus de dettes.
Le résultat est consternant. Un surcroît de complexités, y compris administratives, pour les entreprises petites et moyennes fauchées par la difficulté de la reprise. Quant aux entreprises qui par courage, intelligence ou hasard favorable, auront réussi à rester debout, elles seront plus endettées qu’avant ! Alors que ce sont elles, et elles seules, qui pourront maintenir ou même redévelopper l’emploi, au moment où le chômage sévira comme un nouveau fléau.
Ne serait-il pas plus efficace de tout simplement donner cet argent aux entreprises ?
Bien sûr, c’est inconcevable dans les schémas de pensée actuels. Mais l’enjeu du redémarrage de l’économie dans les mois qui viennent, justifie que l’on approfondisse la question.
Le sauvetage de l’économie passe par les entreprises
Les États vont donc s’endetter dans des proportions inouïes pour tenter d’éviter la catastrophe. Les Banques Centrales vont leur fournir le nécessaire…. « tout ce qu’il faudra ».
Ils vont donc dépenser beaucoup, beaucoup d’argent. Quelle que soit la façon dont ils dépenseront cet argent, ils sortiront de cette période plus endettés que jamais.
Mais voilà ce qui est important. Le vrai relais des États dans le sauvetage de l’économie, ce ne sont pas les banques mais les entreprises. Celles-ci, seules, peuvent se battre sur le front de l’emploi. Or on sait d’ores et déjà que la grande, l’effrayante menace après le virus, ce sera le chômage. Notre pays aura-t-il 200 000 chômeurs de plus ? Ou un million, voire plus ? Dans tous les cas, endetter les entreprises petites ou moyennes, le véritable creuset de la création d’emplois, est un bien mauvais calcul en termes de « soutien ».
Au fait, pourquoi est-il si difficile de concevoir un soutien simple, direct, au lieu d’un arsenal de prêts ?
Un peu d’histoire économique
L’argent qui circule dans l’économie, ce que les économistes appellent la « monnaie », est un sujet présenté comme complexe. Trop compliqué pour être expliqué au commun des mortel(le)s !
Il y a bien entendu des aspects techniques, mais l’essentiel n’a rien de mystérieux. On peut dire que l’argent d’aujourd’hui, avec les banques près de nous et les Banques Centrales tout en haut, est le résultat d’une évolution en quatre étapes.
Première étape, les métaux précieux
Pendant longtemps l’or et argent constituaient la « monnaie ». Ils permettaient en particulier des échanges.
Le faux-monnayage était une activité largement pratiquée. Il suffisait de présenter un peu d’or, mais mélangé à des métaux moins chers, et l’on pouvait ainsi s’enrichir. Le fameux « eureka » (« j’ai trouvé ») d’Archimède, selon la légende au sortir de sa baignoire, était la solution à ce problème précis. Avec des instruments pour mesurer à la fois le volume et le poids, on pouvait savoir si l’or ou l’argent purs avaient été alourdis…mais la procédure était vraiment peu commode pour les échanges courants.
Le problème majeur était donc l’existence sans cesse renouvelée de faux-monnayeurs.
Deuxième étape, les pièces d’or ou d’argent avec effigie du prince
La solution qui s’est généralisée était la plus simple à imaginer. Le prince devenait le faux-monnayeur en chef, et interdisait toute concurrence. Il « frappait monnaie » en mettant son portrait sur les pièces d’or ou d’argent, indépendamment de leur poids exact en métal précieux.
Autrement dit, progressivement les seigneurs puis les rois ont pris l’habitude de donner autoritairement une valeur d’échange aux pièces qui circulaient avec leur visage bienveillant ou farouche. Il fallait financer une guerre ? On réduisait la quantité d’or par pièce, ce qui permettait, avec la même quantité d’or, d’avoir plus de moyens. Le prince pouvait ainsi créer de l’argent.
Un problème que nous retrouverons dans les étapes suivantes s’est aussitôt manifesté. Par son système tout simple de « création monétaire », le prince pouvait abuser, créer plus d’argent qu’il n’y avait de biens en circulation, et ainsi donner naissance à de grandes vagues d’inflation sur le territoire d’usage de sa monnaie. Perte de valeur réelle des pièces conservées, hausse des prix et appauvrissement général, les dégâts étaient parfois importants sur la vie économique de la population.
Troisième étape, le « papier monnaie », les billets que nous connaissons bien
L’invention du papier monnaie et surtout sa généralisation se sont produites alors que les grands États commençaient à être formés. Ils décidaient combien valait tel ou tel billet. Rien de changé par rapport aux pièces. On s’était seulement affranchi du métal, de la matière première. Seule comptait la parole suprême. D’où le nom de « monnaie fiduciaire », par référence à la confiance. Le prince, devenu l’État, imprimait des billets selon sa sagesse ou ses besoins.
Le fait que chaque pays était dirigé par un faux-monnayeur exclusif, libre de se livrer plus ou moins à une création monétaire débridée, soulevait deux problèmes majeurs.
Le premier, les monnaies étaient plus ou moins « fortes » selon les pays, dans une relation qui ne cessait de se modifier. Cela modifiait les rapports de force entre pays, et faisait la prospérité des uns en accentuant la pauvreté des autres.
Second problème, les États furent de moins en moins raisonnables. Il était tentant de faire marcher la « planche à billets ».
- Pour des raisons compréhensibles, comme lors des grandes guerres mondiales.
- Sous la tentation de facilité, comme pendant les Trente Glorieuses (1945-1975).
- Et souvent pour des motivations électorales, puisqu’il est tentant pour les gouvernants de faire plaisir à leurs électeurs, même si les cadeaux ainsi largement distribués nuisent, de façon moins visible mais certaine, à la bonne santé économique et donc à terme à tout le monde.
Quelle était la solution ? Eh bien, c’est la quatrième étape, aussi intelligente que discutable, celle dans laquelle nous sommes aujourd’hui.
Quatrième étape, la création monétaire retirée aux États et donnée au système bancaire
Depuis longtemps, le système bancaire créait de la monnaie, sans que le Prince ne s’en soucie véritablement. Le mécanisme est fort simple. Si une banque détient 10 000 euros et vous en prête un peu moins, par exemple 8 000 euros, ceux auprès de qui vous allez dépenser cette somme vont la poser dans la même banque ou dans d’autres, qui pourront alors prêter un peu moins, par exemple 6 000 euros, et ainsi de suite indéfiniment. C’est le « multiplicateur de crédit ». Les banques mettent ainsi beaucoup plus d’argent en circulation dans l’économie que celui qu’elles détiennent au départ.
Les banques font donc de la création monétaire… avec une différence fondamentale sur laquelle on insiste peu : les banques créent un argent foncièrement différent des pièces d’or ou des billets ! En effet, pour chaque euro créé par le système bancaire, c’est un euro de dette injecté en même temps dans l’économie (et même un peu plus, car il faudra rembourser le capital reçu, plus des intérêts).
Et voici la toute dernière étape de l’évolution de la monnaie. Aujourd’hui, sur tous les continents, les Banques Centrales, seules, peuvent créer de la monnaie et moduler sa création par les banques.
Pourquoi avoir privé les États de leur fonction de création monétaire ? Parce que les pouvoirs élus ne sont pas raisonnables, et qu’il vaut mieux confier cette tâche à des techniciens de la chose financière, non élus. Que l’argument soit valide ou non, le fait est que la décision s’est imposée. C’est le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui. Le pouvoir de création monétaire a été transféré des États aux Banques Centrales.
Où en était l’économie avant la crise du coronavirus ?
Que se passe-t-il dans ce nouveau fonctionnement ? Eh bien, les Banques Centrales, et derrière elles les banques, prêtent aux États. Autrement dit, la création monétaire est en même temps une création de dette. Chaque fois que l’on injecte un nouvel euro dans l’économie, on injecte du même coup un euro de dette, et même un peu plus compte tenu des intérêts ! La création monétaire, normale dans toute économie, a aujourd’hui pour résultat mécanique l’endettement toujours plus grand des États.
Et l’on se demande pourquoi le monde est de plus en plus submergé par des quantités vertigineuses de dettes ? C’est pourtant la simplicité de la solution que l’on a adoptée, par réaction à la création monétaire parfois abusive des États.
C’est désastreux pour l’économie. Car derrière les États, il y a les entreprises et il y a les gens.
Imaginez que vous vouliez gravir une montagne, et qu’au fur et à mesure de votre montée, votre sac à dos se remplisse de plus en plus de gros cailloux. C’est exactement le sort des acteurs économiques aujourd’hui.
Oui, il y a besoin de création monétaire pour irriguer l’économie, les échanges, et permettre production et consommation. Mais la création parallèle de dette, au même rythme, étouffe progressivement tout le système.
C’est précisément ce qui se passait depuis la crise de 2008. S’il n’y avait pas eu le coronavirus, de toute façon une crise grave nous attendait au tournant.
J’ai évoqué plus haut la réaction face à un incendie. On oublie les façons habituelles de fonctionner, et l’on se précipite sur l’incendie. N’est-il pas temps d’oublier cette habitude d’endetter tout le monde chaque fois que l’on veut faire quelque chose ?
Comment redémarrer l’économie
Bien évidemment, l’idée selon laquelle un véritable soutien consisterait à donner de l’argent aux entreprises au lieu de leur « accorder » des prêts, peut paraître choquante. Les contre-arguments ne manqueront pas.
Mais une terrible progression des défaillances d’entreprise, et donc une montée forte du chômage, nous attendent. Il faut une médication à la hauteur du mal.
Imaginons ce qui se passerait si les entreprises n’étaient pas assez aidées.
Il y aurait des destructions d’emplois en plus grand nombre. Pas assez de création de nouveaux emplois. Moins de cotisations sociales, donc de plus grandes difficultés à financer la solidarité, au moment où les besoins seront plus vifs. Moins de revenus pour les ménages, donc de nouvelles difficultés sur de nombreux fronts.
À partir de là, l’État se trouvera confronté à des problèmes de chômage, des problèmes de pauvreté, des problèmes de financement des prestations sociales, des problèmes de logement, des problèmes… En fin de compte, il aura tenté d’éteindre un incendie, et se retrouvera avec de multiples incendies qu’il devra tenter d’éteindre tous à la fois et tous en urgence.
Et l’on regrettera de ne pas avoir agi plus rapidement, plus efficacement, plus tôt. Plus tôt, c’est aujourd’hui. C’est tout de suite qu’il faut soutenir véritablement les entreprises.
Certains diront que la solution consistant à donner de l’argent aux entreprises est incongrue. Mais que veut dire soutien ?
D’autres diront que c’est du « Helicopter Money » (« La monnaie distribuée par hélicoptère »), une idée théorisée il y a de nombreuses années. Exactement. Donner de l’argent aux acteurs économiques : aux entreprises pour la production et l’emploi, aux particuliers pour la consommation, quand la finance normale ne peut plus sauver l’économie d’un risque d’effondrement.
Cette crise économique n’est pas comme les autres
Les crises économiques du passé ont toutes connu la même séquence :
1 – Choc
2 – Début de réduction des échanges
3 – Effets en cascade
4 – Situation d’échanges très réduits
5 – Crise économique, parfois sérieuse, parfois grave
Les mesures de confinement ont créé une situation inédite. Cette fois-ci, les gouvernements ont immédiatement mis le monde en phase 4, c’est-à-dire en arrêt brutal des échanges. La crise économique grave est immédiate.
Comme le disait Paracelse, grand médecin de la Renaissance et ami d’Érasme : « aux grands maux les grands remèdes ». On pourrait adapter en disant, « à problème inédit, solution inédite ».
Mais il faut un vrai courage intellectuel pour réaliser et vraiment intégrer que la vague gigantesque actuelle n’est pas une vague ordinaire, et pour aller au-delà des schémas de pensée habituels. Pour s’autoriser à penser autrement.
Voir aussi :
Coronavirus, une crise économique pas du tout comme les autres