WeWork, la plus emblématique des sociétés de coworking à l’échelle mondiale, vient de se déclarer en faillite. Pour l’instant aux États-Unis et au Canada. Problème : c’était un locataire de premier plan dans de nombreuses villes du monde. Un nouveau choc locatif pour les investisseurs immobiliers ?
Comment est née l’idée du coworking
Revenons en 2010. Les États-Unis traversent l’une des crises financières les plus importantes depuis celles de 1929 et 1987.
La faillite de l’illustre banque d’affaires Lehman Brothers a entraîné d’autres chutes. Le premier réassureur du monde, AIG a failli disparaître également. Les indices boursiers se sont effondrés, Wall Street est enrhumé. Les entreprises new-yorkaises licencient, quittent leurs locaux. Les stocks de bureaux augmentent, les valeurs locatives baissent, les investisseurs doutent.
Au moment de la crise des Subprimes, les pancartes « bureau à louer » fleurissent à New York. L’offre locative d’immeubles de bureaux est impressionnante. On se dit qu’il est facile de trouver des bureaux.
Et pourtant ! Un entrepreneur, Adam Neuman fera l’expérience inverse. Il cherchait quelques mètres carrés pour le lancement de sa start-up. Il était enthousiasmé comme jamais. Dès qu’il voyait une annonce, il appelait. À chaque fois, c’était la même réponse. « Monsieur, nous louons qu’à partir de 1 000 m2. Quelles sont vos garanties financières ? ».
Déçu mais pas abattu ! Une idée lui vint soudainement en sirotant un cocktail dans un bar à la mode de Manhattan un vendredi soir. « Pourquoi ne pas créer des lieux adaptés pour ceux qui ne peuvent pas louer des centaines ou des milliers de mètres carrés de bureaux ?» se dit Adam Neumann.
Regus offrait des espaces de travail flexibles, mais l’offre restait classique.
Adam Neumann était convaincu qu’il y avait un marché pour une offre différente.
WeWork, la réponse à une demande
Il faudrait innover, changer radicalement le secteur de l’espace de travail flexible.
D’abord la centralité : « localisation prime » dans les plus grandes villes du monde. Facilité d’accès.
- Ensuite, il faudrait disposer de lieux abordables pour installer n’importe quelle entreprise. Les grandes, pourquoi pas. Mais les particuliers, les indépendants, les entrepreneurs devraient avoir eux aussi la possibilité de louer un espace de bureau. Pour un coût accessible !
- La mutualisation rendra cela possible. Il s’agit ni plus ni moins de l’économie du partage à l’échelle internationale.
Le modèle WeWork était né.
Tout le monde devait s’y retrouver, les petites comme les grandes structures. Aux États-Unis comme ailleurs. On privilégiera également les villes européennes telles que Londres ou Paris.
Les lieux de travail devaient être différents. L’environnement tertiaire n’avait plus le même sens. On était ailleurs. On n’était ni à la maison ni dans un open space classique. On organisera des afterworks, on se rencontrera, on échangera.
Les utilisateurs appartiendront à la communauté WeWork. L’intranet permettra de trouver un partenaire, un expert et d’agrandir son réseau.
Convaincre les investisseurs pour obtenir le financement
Il n’y avait plus qu’à convaincre les investisseurs de rentrer dans le capital de l’entreprise. Cela ne sera pas difficile pour le charismatique Adam Neumann. Avec une formule qui faisait mouche : « Nous serons dans l’économie du partage à l’échelle internationale ».
WeWork se présentait ainsi aux investisseurs comme une entreprise technologique, au moment où les capitaux étaient plus que jamais disponibles pour financer les idées créatives. WeWork bénéficiera de l’ambiguïté – où est l’innovation technologique ? – et les investisseurs seront séduits. Les acteurs du private equity étaient persuadés que la future licorne était là. Elle vaudrait des milliards de dollars une fois cotée au Nasdaq.
L’aventure immobilière commençait. Rapidement WeWork deviendra le premier locataire d’espaces de bureaux avec plus de 660 000 m2, devant le légendaire JP Morgan. Une ascension fulgurante, soutenue par les actionnaires, comme par les acteurs de l’immobilier trop heureux de louer leurs immeubles à un locataire de première qualité.
Le modèle consistait en effet à louer des immeubles « prime » à des prix élevés. WeWork signait des baux à long terme avec les bailleurs. Puis relouait l’espace à court terme à des particuliers, à de petits employeurs et à de grandes entreprises. Le fondateur avait parfaitement identifié une demande forte en créant un espace chaleureux et collaboratif.
Mais était-ce suffisant pour atteindre la rentabilité ?
WeWork a totalisé jusqu’à 762 espaces de travail dans 38 pays et 150 villes en quelques années. Impressionnant ! L’ambition de WeWork était d’être aussi omniprésente qu’un McDonalds ou un Starbucks, et cette ambition a conduit à une croissance rapide. A-t-elle été trop rapide ?
Les difficultés du coworking et les faiblesses de WeWork
Le vrai problème était que WeWork perdait de l’argent dans pratiquement tous ses immeubles. La société a loué de nombreux emplacements en payant des prix supérieurs à ceux du marché, pour être retenu par les bailleurs. Ces lieux seront à chaque fois déficitaires.
De plus, la transformation des usages à la suite de la crise sanitaire a porté un rude coup au coworking. Le travail à distance a accéléré la chute de WeWork dans les grandes métropoles mondiales. Les emplois traditionnels sont devenus de moins en moins stables. Les anciennes et les nouvelles générations ne veulent plus passer deux ou trois heures tous les jours dans les transports, que l’on soit à Paris, à New York, Washington ou à San Francisco. Ils préfèrent le télétravail. Les grands utilisateurs n’ont plus eu besoin d’autant de superficies pour leur siège social.
Le modèle de WeWork pouvait-il fonctionner ? Le fondateur a parfaitement saisi l’identité du millénaire en créant un espace chaleureux et collaboratif avec boissons à volonté, espaces détente, déco inspirante, etc. Était-ce suffisant pour atteindre la rentabilité ? La faillite de WeWork est la preuve que son activité principale n’a jamais vraiment fonctionné financièrement même lorsqu’il avait plus de 700 000 clients dans le monde.
WeWork a rendu l’espace de travail flexible accessible aux petites et grandes entreprises, dans un marché où il fallait s’engager avec des baux fermes de 10 ans aux États-Unis. Mais n’importe quel client WeWork pouvait se désengager avec un préavis d’un mois. Durant la crise sanitaire, les clients ont déserté les lieux et le chiffre d’affaires devint inexistant.
Comment l’entreprise pouvait gérer à la fois le risque financier d’un engagement à long terme avec des baux longs (10 à 12 ans) et des clients qui pouvaient partir avec préavis de seulement un mois ?
WeWork, la chute
Sa croissance sans limite a poussé l’entreprise à changer son business model. Il n’était plus question de cibler les clients individuels mais les grands comptes. Le public ciblé était différent de celui des débuts : les entreprises de plus de 500 employés étaient privilégiées. Ce changement de stratégie n’a pas permis de redresser le cap.
Le chiffre d’affaires de l’entreprise en France en 2022 était de 10,6 millions d’euros. Contre 13,1 millions d’euros un an plus tôt, soit une baisse de 19% (données Frenchweb). D’ici quatre ans, ses pertes en France s’élèveront à près de 125 millions d’euros.
Le dépôt de bilan de WeWork est arrivé. La célèbre société d’espaces de bureaux flexibles s’est placée sous la protection du chapitre 11 de la loi sur les faillites aux États-Unis et au Canada, le lundi 6 novembre 2023. Une page du monde du coworking vient de se tourner.
Quel avenir pour le coworking ?
Pionnier dans le secteur des espaces de travail flexibles, Regus opère à l’échelle mondiale et propose une gamme de services similaires. Knotel se démarque par son approche axée sur la personnalisation des solutions pour les entreprises. Spaces met l’accent sur la conception inspirante de ses espaces de travail. L’effondrement de WeWork sur le marché français offre une opportunité stratégique substantielle à ses concurrents. Les concurrents pourraient profiter de la situation et solidifier leur positionnement pour attirer une clientèle désillusionnée par les problèmes et l’incertitude entourant WeWork.
Les investisseurs pourraient devenir plus réticents à investir dans des entreprises de ce secteur, ce qui pourrait entraver la croissance de l’ensemble du marché. À mesure que le travail à distance se normalise, les espaces de coworking devront intégrer des solutions technologiques avancées pour faciliter la collaboration virtuelle, la gestion des espaces et offrir une meilleure expérience utilisateur.
En France, notamment en région parisienne, la nécessité du travail en présentiel demeure. Cela représente une aubaine pour les entreprises de coworking, qui voient le déclin du géant We Work comme un concurrent en moins. Il y a donc un vrai sujet pour les grandes villes comme Paris, Lyon et Marseille qui sont des pôles majeurs d’espaces de coworking étant donné leur concentration d’entreprises et de professionnels indépendants.
Quelles conséquences pour le marché immobilier ?
En se déclarant en faillite aux États-Unis et au Canada, WeWork porte un nouveau coup dur au marché du bureau en Amérique du Nord, qui connait déjà un taux de vacance très élevé. Pourquoi ? Si WeWork quitte ces immeubles sans être reloués immédiatement, l’actif tertiaire vacant s’ajoutera au taux de vacance déjà élevé dans les villes américaines.
Ainsi à Manhattan le taux de vacance est supérieur à 20% et à San Francisco il dépasse les 30%. Plus le stock de bureaux à louer est important, plus les locataires ont des conditions financières attractives. Et plus l’expert immobilier dévalorise l’actif. Si le bailleur ne trouve pas de locataire après le départ de WeWork, que se passera-t-il ? L’investisseur devra réaliser des travaux plus ou moins importants nécessitant un délai 12 à 18 mois. Durant cette période, le propriétaire ne percevra aucun revenu locatif. Comment fera-t-il pour rembourser ses partenaires obligataires ?
Avec une absence de cash flows locatifs, quelle sera sa valeur vénale ? Tant que l’immeuble sera inoccupé, une décote s’appliquera. Le marché de l’immobilier de bureaux est donc confronté à deux crises majeures : une crise d’usage qui nécessite de la flexibilité et une crise de valorisation. Avec la hausse des taux d’intérêt, la valeur des actifs de bureaux n’a cessé de baisser, diminuant presque de moitié.
La disparition d’un locataire très important ajoute aux malheurs actuels du marché des bureaux Outre-Atlantique.
Quelles conséquences pour l’immobilier de bureaux à Paris ?
Pour l’instant, le dépôt de bilan aux Etats-Unis et au Canada n’entraine pas l’interruption de l’activité de WeWork en France. Certes, la société a entrepris de renégocier plusieurs de ses loyers. Et on ne connait pas encore la suite…
Mais le marché des bureaux à Paris connait une situation très différente de celle des grandes villes américaines. La centralité soutient la demande, et les immeubles où opère Wework sont particulièrement bien situés. Les investisseurs immobiliers pourraient donc subir des délais de relocation, si une autre société de coworking décide de s’y installer. Ou, plus problématique, des délais de transformation dans les autres cas.
A suivre, donc.
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