L’épidémie du coronavirus et les mesures pour y faire face vont déboucher sur une crise économique de grande ampleur.
Cette crise est-elle plus grave ou moins grave que les crises que l’on a déjà connues ?
Nous n’avons aucune expérience d’un tel choc économique. Mais deux facteurs, eux aussi inédits, pourraient nous aider à traverser la période de paralysie économique et jouer un rôle important pour l’après-crise.
Coronavirus, une crise économique inédite…elle aussi
Il est toujours tentant d’établir des comparaisons :
- Avec la dernière grande crise, celle des subprime et de la faillite de Lehmann Brothers en 2008
- Avec le choc pétrolier de 1974
- Et même avec la crise de 1929
Toutes ces crises économiques étaient mondiales. Chacune, au moment où elles ont démarré, était inédite. Du jamais vu. Au-delà de ce qu’on avait imaginé. Pour chacune, le monde semblait plonger vers l’abîme. Puis la vie a repris son cours. Mais à quel prix ! La crise de 1929 nous a mené à la seconde guerre mondiale, le choc pétrolier de 1973-1974 a mis fin aux Trente Glorieuses, la crise de 2008 a démarré une vague d’endettement massif des États, une inondation de liquidités par les Banques Centrales et un appauvrissement d’une partie de la population.
L’épidémie de coronavirus n’échappe pas à la règle de l’inattendu, du choc sans précédent.
Il devient donc particulièrement important d’examiner la situation pour ce qu’elle est. Rien ne sert de savoir comment on résoudrait aujourd’hui la grande crise de 1929, ni ce qu’on aurait pu faire de mieux en 2008. Nous sommes en 2020.
Qu’est-ce qu’une crise ?
Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’une économie en bonne santé consiste en une multitude d’échanges et de communications, de tous les instants, entre de très nombreux acteurs. On peut parler de production, de consommation, de financement, tout se ramène à une infinité d’échanges.
Quand une crise économique se produit, la première conséquence est l’interruption de certains de ces échanges. Une entreprise qui fait faillite, une personne qui perd son emploi, ce sont de nombreux échanges, de nombreuses communications qui disparaissent. Si cela arrive à un grand nombre d’entreprises, à un grand nombre de personnes, le mouvement s’amplifie et la destruction des échanges accélère l’effet domino sur les entreprises et sur les individus. La production et la consommation diminuent, et l’on pénètre dans les zones d’ombre de la récession, voire de la dépression.
C’est donc un facteur économique qui déclenche la spirale catastrophique. Une crise bancaire et des déséquilibres entre production et consommation en 1929. Le renchérissement soudain du prix du pétrole en 1974. Une crise bancaire encore en 2008. À d’autres moments moins douloureux, des cycles avec destructions d’entreprises et chômage sont également provoqués par des facteurs économiques divers.
En ce sens, la crise du coronavirus est totalement originale. Pas de cause économique précédant la dégradation brutale des échanges ! Populations entières mises en quarantaine, mesures de confinement, réduction ou arrêt de transports aériens ou ferroviaires, les échanges ont été purement et simplement interrompus. Cette fois-ci, et c’est une première, ce n’est pas un facteur économique qui est la cause de cette nouvelle crise économique. Celle-ci est uniquement la conséquence de la pandémie du Covid 19 et des mesures sanitaires pour y faire face !
Coronavirus, une perturbation économique exceptionnellement grave
Nous avons donc tout de suite, dès le début, les effets d’une crise économique de grande ampleur ayant duré un certain temps. Oui, le scénario est nouveau.
Un phénomène est d’ailleurs là pour le rappeler. La plupart des Bourses ont dévissé de près de 40 % en un mois à peine. Se souvient-on qu’après le krach boursier de 1929 il a fallu attendre 1931 pour toucher le plus bas ? Lors de la crise des subprime et la faillite de Lehmann Brothers, il a fallu deux ans et demi entre le plus haut de 2007 et le plus bas de 2009. La soudaineté de la réaction boursière en Février 2020 est un indicateur qui devrait nous alerter.
Un autre phénomène est tout aussi parlant. D’ordinaire, quand le PIB se rétracte, ne serait-ce que de 1% en un trimestre, on sait que l’économie, les entreprises, les emplois, vont être mis à mal. Or l’arrêt brutal de l’activité en Mars correspond déjà à une perte de PIB de près de 4 %.
Pour compléter le tableau, la crise du coronavirus ne frappe pas une économie en bonne santé :
- Nous n’avons pas encore pansé les plaies de la crise de 2008. Les États sont endettés massivement. Les Banques Centrales ont inondé le monde de liquidités et baissé les taux jusqu’aux extrêmes sans réussir à véritablement relancer la machine.
- Et pour la première fois depuis le grand décollage de la mondialisation, la croissance mondiale était en train de ralentir fortement.
La situation présente est donc exceptionnellement sérieuse. Au fond, la plupart d’entre nous l’avions immédiatement pressenti. Nous avons vu, en quelques semaines, le temps s’arrêter. À l’échelle du monde. Des populations entières qui ne vont plus au travail. Des millions de gens confinés chez eux. Dans tous les pays, sur tous les continents. Rien, jamais dans l’histoire n’avait été jusque-là. S’il y avait une échelle de Richter dans la gravité des séismes économiques, celui-ci serait à 10.
Voilà sans aucun doute du grain à moudre pour les prophètes de malheur. Ils avaient dit que l’humanité courait à la catastrophe, en voici la preuve. « Ils l’avaient bien dit ».
Seulement voilà. D’un côté le choc est d’une brutalité inouïe. De l’autre, il existe deux facteurs que nous connaissons bien mais dont nous n’avons pas encore l’expérience, dont l’impact est difficile à évaluer, qui pourraient agir positivement sur la traversée de la crise et sur ses lendemains.
Il n’y a pas que des mauvaises nouvelles.
Comment le digital est devenu un élément majeur de l’économie
D’abord l’éclatement de la bulle internet en 2000-2001
L’histoire des crises est souvent complexe. L’éclatement de la bulle internet a entraîné de nombreuses conséquences économiques fâcheuses, en fait une véritable récession économique. Pour éviter cela il aurait fallu empêcher la bulle ? Elle fut utile, pourtant.
En effet parmi les financements enthousiastes et désordonnés de cette période d’exubérance irrationnelle, certains ont permis la naissance et le développement des technologies qui ont amené internet. Il y eut beaucoup d’argent gaspillé, mais après l’éclatement de la bulle, la planète était équipée. Et c’est en direct que nombre d’habitants de la Terre ont assisté aux attentats du 11 septembre 2001, véritable acte de naissance du « web » dans notre société.
Donc nous avons internet.
Ensuite l’après-crise de 2008
Complexité des crises économiques. Après la chute de Lehmann Brothers en octobre 2008, de nombreux secteurs économiques étaient durement touchés. Certains des experts les plus réputés ont évoqué la crise de 1929, et ont craint l’effondrement global de l’économie. Je ne citerai pas de noms, car ce qui s’est passé ensuite ne pouvait pas être prévu.
Pendant que gouvernements et Banques Centrales tentaient désespérément de sauver le monde, la technologie a créé des îlots puis des zones entières de croissance. Se souvient-on que c’est seulement fin 2007 que l’iPhone d’Apple est arrivé en France ? Que c’est cette même année qu’Amazon a introduit la liseuse électronique Kindle ? Que c’est en 2011 qu’Apple a lancé sa « tablette » ? Ou encore, que Facebook n’a été introduit en Bourse qu’en 2012 ? En fait, le développement inouï de l’usage de la technologie par tout un chacun a été un moteur de croissance qui a compensé la panne de plusieurs autres moteurs. Entre 2008 et aujourd’hui, le quotidien des habitants de la planète Terre, les pratiques et les usages ont été transformés radicalement.
Donc nous sommes connectés.
L’économie sans boussole
Voilà qui est paradoxal. Le digital est partout. Dans les communications à l’intérieur des entreprises ou entre entreprises. Dans les échanges avec la famille, les amis. Pour des achats. Pour les loisirs. Mais les statistiques ne savent pas mesurer son impact économique !
Autrefois, quand vous écriviez une lettre, vous participiez à la formation du PIB. Du papier, une enveloppe, un timbre. Tous les courriers additionnés, cela se mesure. Mais les e-mails ? Que vous en fassiez un, ou dix, ou cent, que des milliers, des millions de personnes fassent de même, aucune différence pour le PIB. Pas de mesure. À l’échelle de millions de personnes, de centaines de milliers d’entreprises, dans tous les pays du monde, ce sont bien des échanges. C’est bien la respiration de l’économie. Mais cela ne se mesure pas. Donc cela ne compte pas ?
Combien pèse l’immatériel dans l’économie ?
Imagine-t-on que les mesures de confinement auraient été possibles s’il n’y avait toutes ces communications sans support matériel ?
Ou bien, si confinement il avait fallu de toute façon, imagine-t-on combien d’entreprises seraient déjà mortes s’il n’y avait pas l’organisation très généralisée du télétravail ?
Certes, si je commande mes courses par internet, il faudra bien un livreur, et avant cela il faudra bien que les produits aient été récoltés ou fabriqués. Il reste des interventions physiques et des choses matérielles. La production concrète des biens et marchandises, leur transport et livraison jusqu’aux consommateurs, restent une partie indéniable de l’activité économique.
Mais l’immatériel a pris une part considérable. De plus en plus de choses se passent « online ».Les entreprises se sont digitalisées, les banques et les compagnies d’assurance, les administrations, et bien entendu le commerce, les transports, l’hôtellerie, les loisirs. C’est devenu aussi évident que l’air que l’on respire, mais ce n’en est pas moins une évolution considérable. Cela pourrait nous donner l’illusion que nous avons déjà tout vu, alors que nous ne sommes qu’au début de cette transformation profonde de l’économie.
Le fait que ce soit si difficile à mesurer est doublement intéressant.
- D’abord, revenons à la simple anatomie d’une crise économique : la réduction des échanges et communications. Dans le cas présent c’est la partie matérielle des échanges qui a été gravement pénalisée par les mesures pour lutter contre l’épidémie. On s’aperçoit déjà que le télétravail peut remplacer beaucoup de présence physique dans les bureaux, bien au-delà de nos habitudes. Que la scolarité des enfants peut être accompagnée, plus que nous ne le faisions, par des cours en ligne. Nous n’avons ni expérience passée, ni capacité de mesure au présent, pour savoir de combien les dégâts sont diminués par la présence du digital.
- Ensuite, envisageons la sortie de crise. Sait-on comment le digital changera les scénarios que l’on peut imaginer ?
Il faut parfois secouer un peu et faire parler les évidences. S’il est bien une chose évidente, c’est l’internet et tout l’univers du digital. Mais justement, quelle est son poids, quelle est sa force potentielle dans l’économie ?
C’est la première fois dans l’histoire qu’une perturbation économique grave se produit alors que la planète est connectée. Ce qui est sûr, c’est que le digital est d’ores et déjà, et sera, un facteur positif.
Pour sauver l’économie, l’erreur qui ne sera plus commise
Un autre facteur pourrait se révéler d’une importance capitale. Je suis d’ailleurs très surpris qu’il ne soit pas évoqué dans les nombreuses analyses qui foisonnent actuellement, tellement il pourrait être déterminant.
Il s’agit de la pertinence de la gestion de la crise.
Lors d’un choc économique, les gouvernements et les autorités monétaires tentent de limiter deux risques. D’abord l’ampleur de récession, ensuite l’importance des dégâts plus ou moins irrémédiables. Or nous avons connu trois récessions particulièrement importantes depuis le milieu du XXème siècle. 1974, 1993, 2008. Comment les dirigeants de l’époque ont-ils géré ces chocs ?
Trois crises économiques, trois fois la même erreur
- En 1974, suite au premier choc pétrolier, le monde entre en crise grave. La solution française de l’époque est de protéger les salariés, par des mesures exceptionnelles d’indemnisation du chômage. Et de laisser les entreprises se débattre comme elles le pouvaient. En conséquence, nous avons perdu sur les deux tableaux : d’abord les entreprises, puis l’emploi.Protéger les personnes était une initiative qu’on ne saurait critiquer. Mais ne pas protéger en même temps les entreprises était une bien pauvre stratégie. Les difficultés des entreprises se sont transformées en destruction d’emplois. Même actuellement, une partie de notre chômage structurel provient encore de la solution, ou plutôt de la non-solution adoptée pendant la crise de 1974. Le chômage des jeunes en particulier aurait été depuis lors bien différent.
C’était une erreur.
- En 1993, la Banque de France de l’époque, pour des raisons qui étaient les siennes à l’égard de la stabilité monétaire, décide de maintenir des taux d’intérêt très élevés. Des taux meurtriers pour les entreprises.
Une partie du chômage plus élevé en France que dans les pays européens s’explique par la vague de destruction d’entreprises dans les années 1993-1996.
La même erreur, une seconde fois.
- En 2008, sous le choc de la faillite de la banque Lehmann Brothers, toutes les banque centrales du monde prennent des mesures pour sauver les banques. L’économie vacille, et les banques centrales utilisent des moyens toujours plus extraordinaires pour sauver le monde…mais dans cette intention, sauvent les banques et les soutiennent par des taux bas, dans l’espoir que cela se transmettrait à l’économie.Résultat ? Des taux toujours plus bas. Les marchés d’actifs (actions, obligations, immobilier) qui s’envolent. L’endettement massif des États qui ne se résorbe pas. Le chômage qui se maintient dans certains pays dont la France. Une partie des classes moyennes rejetée vers la paupérisation. Et l’économie mondiale qui ne retrouve toujours pas son souffle. Les moyens gigantesques mis en œuvre par les Banques Centrales n’ont que modestement atteint les entreprises.
La même erreur, une troisième fois.
Coronavirus 2020, leçon retenue
La différence entre les crises précédentes et celle-ci est majeure. Les dirigeants et autorités monétaires ont eu le temps d’apprendre. Ils ont compris qu’il fallait aller très vite et protéger à tout prix les entreprises.
À ceux qui diront qu’une telle réaction tombe sous le sens, je rappellerai que les dirigeants français, aussi intelligents puissent-ils être, ne l’ont fait ni en 1974, ni en 1993. Et que nous en payons encore aujourd’hui les conséquences dans notre pays. Par un chômage structurellement élevé, et par une diminution du niveau de vie plus importante qu’elle n’aurait dû être pour une partie de la population.
La leçon de la crise de 2008 et de la période qui a suivi jusque très récemment, a aussi été retenue : si l’on veut avoir un impact sur l’économie, il faut atteindre les entreprises de façon immédiate et directe. Sans compter sur des mécanismes intermédiaires.
Cette fois-ci, ceux qui nous dirigent ne passent pas à côté de l’essentiel comme leurs prédécesseurs. C’est un facteur nouveau.
On peut ajouter que pour notre pays il y a une nouveauté au cœur de la nouveauté. Nos dirigeants en effet, ont pensé de temps à autre à aider les entreprises. Mais quand ils le faisaient, les mesures qu’ils adoptaient étaient relativement intéressantes pour les grandes entreprises, beaucoup moins pour les moyennes, et très peu ou pas du tout pour les petites. Et rien pour les indépendants, de plus en plus nombreux dans l’économie telle qu’elle se transforme. Ce qui était d’ailleurs maladroit puisque l’on sait que ce sont les moyennes ou petites entreprises qui sont le creuset de la création d’emplois, et que l’activité dépend aussi de plus en plus des indépendants. Or cette fois-ci, les mesures d’urgence s’adressent aussi, directement et sans trop de complexités administratives, aux toutes petites entreprises et aux travailleurs indépendants. Leçon retenue, donc.
Il est vrai qu’il y a toute une distance à franchir entre l’intention et les résultats concrets ! Il est vrai aussi que l’ampleur de cette crise est inédite.
Mais le pragmatisme des dirigeants du monde est un phénomène nouveau, inédit lui aussi. Positif.
Coronavirus et prévisions économiques
L’épidémie du coronavirus et les mesures adoptées pour y faire face ont pour conséquence inévitable un choc économique de grande ampleur. Cela, on en est sûr.
Mais les deux facteurs radicalement nouveaux que sont le poids du digital et le pragmatisme des gouvernements et autorités monétaires, introduisent un triple mystère :
- Pendant la lutte sanitaire contre l’épidémie, à quel point le tissu économique des entreprises sera-t-il préservé ? On imagine aisément que c’est ce paramètre que déterminera la gravité ou non des problèmes économiques qui suivront.
- À l’issue des mesures sanitaires, quand la vie reprendra son cours, quelle sera la rapidité de la reprise ? Car si les installations, les entreprises, les activités, les compétences n’ont pas été détruites, on imagine bien que l’économie pourrait reprendre assez rapidement son souffle.Quelle sera la conséquence des décisions de soutien prises par les gouvernements et autorités monétaires ?
- Aujourd’hui les financements mobilisés donnent le vertige. Saura-t-on ensuite gérer aussi bien l’après-incendie que l’incendie lui-même ?
On peut, par inclination ou par choix, être plus ou moins pessimiste, plus ou moins optimiste. Mais en toute objectivité, il faut bien reconnaitre que le choc présent est extrêmement brutal, et en ce sens est inquiétant. Mais il pourrait aussi, un jour, n’être qu’un mauvais souvenir et, pourquoi pas, une expérience. Pour nombre d’entre nous, et pour nos sociétés.
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