L’une des annonces du chef de l’Etat, la « suspension des loyers » versés par les PME « en difficulté », peut inquiéter les propriétaires d’actifs immobiliers. Et par voie de conséquence, les porteurs de parts de SCPI. Que faut-il en penser ?
Les faits : un dispositif exceptionnel de soutien à l’économie
L’allocation du chef de l’Etat, lundi 16 mars au soir, avait notamment pour objectif d’annoncer les mesures destinées à limiter, autant que faire se peut, les conséquences économiques et financières de la crise sanitaire sans précédent qui frappe aujourd’hui. Pour soutenir les entreprises, les mesures proposées sont, on le sait, totalement inédites. «Aucune entreprise ne sera livrée au risque de faillite. Nous mettons en place un dispositif exceptionnel», a martelé Emmanuel Macron. Outre l’extension du chômage partiel, le report des échéances sociales et fiscales, ou celui des remboursements des emprunts bancaires, ce dispositif prévoit également la mise en place d’une enveloppe sans précédent de 300 milliards d’euros, destinée à garantir tous les nouveaux prêts que les entreprises solliciteraient auprès de leurs banques. Du jamais vu.
La mesure qui impacterait les SCPI et les autres véhicules investis en immobilier d’entreprise
Une mesure, en revanche, pourrait inquiéter les propriétaires de fonds de commerce, ou d’actifs d’immobilier d’entreprise. Et, par voie d’extension, tous les porteurs de parts de SCPI. Ou autres véhicules investis dans ce type d’actifs. Celle qui prévoit la « suspension » des loyers versés par les PME « en difficulté » aux bailleurs de leurs locaux d’exploitation. « Les factures d’eau, de gaz, d’électricité ainsi que les loyers devront être suspendus » pour les PME « qui font face à des difficultés », a en effet demandé le chef de l’Etat. Faut-il y voir, comme certains commentateurs, une rupture temporaire du contrat qui pourrait permettre aux entreprises, à toutes celles qui se considéreraient en difficulté, de cesser de payer leur loyer ? Avec, comme conséquence attendue, des pertes importantes à prévoir du côté des bailleurs?
SCPI : quels seraient les effets d’une suspension temporaire des loyers ?
Si tel était le cas, les SCPI, au même titre que n’importe quel propriétaire, pourraient en être affectées. Moins de loyers, c’est moins de recettes. Et donc des rendements révisés à la baisse. Qu’en disent les sociétés de gestion d’actifs immobiliers ? Celles que nous avons interrogées avouent ne pas être en mesure, pour l’instant, d’en évaluer l’impact. Il faut déjà attendre, selon elles, quelle sera la définition retenue d’une « entreprise en difficulté ». Et rappellent que, pour l’heure, ce sont essentiellement les PME agissant dans le secteur du commerce non alimentaire qui sont en première ligne. Certains acteurs ont d’ailleurs pris les devants. Compagnie de Phalsbourg, une foncière active dans tous les compartiments de l’immobilier (promotion, construction, investissement, gestion d’actifs), a fait mardi matin une annonce choc.
Une initiative choc de plusieurs foncières
« Nous avons décidé d’annuler purement et simplement tous les loyers dus par nos clients enseignes non alimentaires pendant les fermetures administratives, soit à ce jour entre le 15 mars et le 15 avril 2020 », a en effet déclaré Philippe Journo, son président-fondateur. Une mesure généreuse que la foncière Ceetrus, propriété du groupe français Auchan Holding, a également adoptée au profit des locataires de ses centres commerciaux. Et qui tendrait à prouver que les gestionnaires d’actifs immobilier, tout du moins certains d’entre eux, peuvent se permettre de renoncer temporairement à une partie de leurs recettes. D’ailleurs, fait-on remarquer du côté des sociétés de gestion de SCPI, il existe une pratique dans le secteur des bureaux. Consistant à concéder, lors de la signature d’un nouveau bail, une franchise de loyer de plusieurs mois. Mais qui n’a pas empêché les véhicules spécialisés dans ce domaine d’afficher des rendements conséquents.
Une question de solidarité
Sa déclinaison -temporaire- au secteur du commerce n’aurait donc rien de dramatique. « Il ne faut pas oublier », souligne le porte-parole d’une société de gestion, « que les SCPI, comme n’importe quel propriétaire, ont intérêt à garder leurs locataires en place ». Des annulations, ou des reports de loyers, pourraient donc être accordés. C’est aussi une question de solidarité. Mais avec des effets somme toute assez marginaux sur la rentabilité des SCPI. Ils seront d’ailleurs d’autant moins sensibles que le patrimoine détenu par le véhicule est plus largement diversifié. Et réparti sur une multitude d’actifs occupés par des locataires agissant dans différents secteurs économiques… Si risque il y a, c’est plutôt un risque de sortie de crise qu’il faudrait prendre en compte. Quid, en effet, de la situation des bailleurs si la conjoncture post-pandémie conduisaient nombre de leurs locataires à déposer le bilan ? A qui relouer, et à quel niveau de loyers ?
Des effets de plus long terme sur la valeur des actifs immobiliers ?
Si le taux de vacance -ou de défaut de paiement- augmente durablement, il conduira nécessairement à une baisse des rendements. Et donc à celle de la valeur des actifs qui les génèrent. Sans compter que l’effondrement des bourses mondiales, et la perte de richesse qui en résulte, auront nécessairement des répercutions sur la valeur des actifs réels. Les grands investisseurs institutionnels mondiaux, qui se sont rués sur les actifs immobiliers ces dernières années, seront peut-être amenés à réduire le niveau de leurs investissements dédiés à cette classe d’actifs. D’autant que les gouvernements et les organisations supranationales vont sans doute les inciter, via des évolutions réglementaires, à soutenir en priorité les places financières… Une hypothèse qui, si elle se confirmait, aurait pour effet de « sortir du marché » des acteurs qui contribuaient jusqu’alors à entretenir l’inflation des actifs immobiliers.
Des opportunités pour les acteurs historiques
Mais une hypothèse qui ne jouerait pas nécessairement en défaveur des « acteurs historiques » de l’investissement dans l’immobilier. Plusieurs sociétés de gestion reconnaissent que ces grands fonds d’investissement sont assez peu regardants sur les prix d’acquisitions. Au point que beaucoup de gestionnaires de SCPI préfèrent se retirer d’appels d’offre où les valorisations proposées par ces concurrents atteignent des niveaux qu’ils jugent « déraisonnables ». Si ces acteurs devaient être moins présents, ce serait donc plus d’opportunités pour les gestionnaires de SCPI. Il est donc largement trop tôt pour tirer des conclusions sur la rentabilité future des placements en SCPI. Leurs rendements de demain dépendront certes de l’état global de l’économie post-crise. Tout comme la valeur des actifs qu’elles détiennent. Et le risque de dépréciation est réel. Quoique d’une ampleur, à priori, limitée.
Un placement de long terme
Les épargnants qui détiennent des SCPI depuis plusieurs années, et ont déjà perçu plusieurs générations de dividendes, sont toutefois déjà assurés de rester en territoire positif. Ce qui devrait aussi se produire pour les nouveaux entrants. Des revenus, même en baisse, restent des revenus. Bien supérieurs à ceux aujourd’hui, et sans doute demain, délivrés par d’autres classes d’actifs. Dans tous les cas, les variations de valeurs des parts seront aussi bien moins brutales que celles des véhicules investis sur les marchés financiers. Surtout sur le long terme. Et sous réserve du risque de liquidité, qui n’est pas encore d’actualité. Ce qui est sûr, c’est que la notion de couple rendement/risque, appliquée au secteur immobilier, demandera à être revisitée. Car, quelles que soient l’ampleur de la crise, et sa durée, toutes les SCPI ne seront pas touchées, à supposer qu’elles le soient, dans les mêmes proportions.
Des risques différents d’une SCPI à l’autre
Les mieux armées, à court terme, sont à priori celles qui cumulent au moins deux caractéristiques. En premier lieu, des patrimoines de qualité, bien sûr. Mais, surtout, très largement diversifiés. Par secteur (bureaux, commerce, logistique…), par typologie de locataire, et par zone géographique. Et, deuxièmement, le fait qu’une large partie de ce patrimoine ait été constituée depuis un certain nombre d’années. Ce qui signifie à la fois des actifs acquis à des prix moins élevés que ceux pratiqués ces derniers mois. Et la possibilité de s’être doté des réserves qui permettront de compenser d’éventuelles pertes de recettes…
Frédéric Tixier
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