Jean-Marc Coly, directeur général d’Amundi Immobilier, répond aux questions de pierrepapier.fr. Comment le leader de la gestion d’actifs immobiliers vit-il la crise ? A combien estime-t-il les pertes locatives potentielles de ses véhicules sous gestion ? Et, surtout, à quoi doivent s’attendre, en termes de rendement, les associés de ses SCPI ? Interview.
Que peut-on dire, aujourd’hui, de l’état des marchés immobiliers, côté gestionnaires d’actifs ?
Jean-Marc Coly – Ils sont, globalement, à l’arrêt. Mais toute activité n’a pas cessé. Les investissements que nous avions initiés, avant la crise, sont toujours en cours de traitement. Ils sont d’ailleurs, pour la plupart, en voie de finalisation. Nous devrions avoir bouclé, d’ici la fin du confinement, au moins 3 ou 4 opérations d’envergure. En France, mais également en Europe. C’est important, car nous restons ainsi en mesure de déployer les capitaux collectés. Côté arbitrages, c’est-à-dire cessions de certains de nos actifs, là encore, et plus étonnement, nous n’enregistrons pas de rétractations. Ni, d’ailleurs, de renégociations sur les prix convenus avant la crise. L’attentisme, que nous avons pu observer au cours de la première semaine de confinement, résulte plus d’interrogations sur les modalités de financement que de remise en cause du bien fondé de l’opération, côté acheteurs. Ce qui est plutôt positif…
Quid de la gestion locative ?
Jean-Marc Coly – La partie commercialisation des actifs existants auprès de nouveaux locataires est beaucoup plus « calme ». La situation actuelle ne pousse pas les entreprises à rechercher de nouveaux locaux. Et les visites sont impossibles. En revanche, les relations avec les locataires existants sont intenses. Beaucoup nous interrogent sur de possibles aménagements. Les demandes de report -ou d’annulation – proviennent majoritairement des locataires d’actifs de commerces ou d’hôtels. Mais aussi de certains locataires de bureaux, dont l’activité est fortement impactée par la crise. Nous étudions toutes les demandes, au cas par cas, en vertu d’une approche à la fois solidaire envers les entreprises, et respectueuse de l’intérêt des actionnaires de nos fonds.
Envisagez-vous l’annulation pure et simple de certains loyers ?
Jean-Marc Coly – Nous nous sommes engagés à suspendre le recouvrement des loyers et des charges des TPE/PME les plus fragiles. Et serons sans doute amenés à consentir des reports de loyers, voire même des franchises supplémentaires, à certains autres locataires. Mais moins enclins à envisager des annulations pures et simples… C’est en fait en sortie de crise, lorsque chacun aura une vision plus précise de l’impact sur son activité, que s’engageront des discussions posées et réalistes. Il faudra faire le tri entre ceux qui ont réellement souffert. Et ceux qui ont cherché à profiter de la situation… Bien que, là encore, se posera la question des indicateurs à prendre en compte…
Etes-vous déjà capable d’estimer le niveau des pertes locatives potentielles ?
Jean-Marc Coly – La réalité, c’est que personne, aujourd’hui, n’est réellement en mesure d’établir un chiffre. Son niveau dépend de facteurs -et notamment la durée des confinements- qui vont nécessairement varier au cours des prochaines semaines. Nous avons donc décidé de retenir une approche « maximaliste ». En prenant les hypothèses les plus extrêmes. Ce scénario du risque maximal conduirait à la perte totale des revenus locatifs versés par nos locataires des secteurs commerces et hôtellerie[1]. Et à la perte d’environ 20% des loyers du secteur bureaux[2]. Pertes auxquelles il faudrait ajouter les charges des immeubles que nous serions obligés de régler en lieu et place des locataires…Dans l’hypothèse où ces pertes se matérialiseraient sur l’ensemble des 2e et 3e trimestres, seuls 40% des loyers théoriques seraient donc recouvrés durant cette période de 6 mois. Soit, sur l’ensemble de l’année 2020, un taux de recouvrement d’environ 70%.
Donc, environ 30% de pertes locatives sur l’ensemble de l’année 2020 ?
Jean-Marc Coly – Ce ne sont pas des loyers « perdus ». Ils seront, à terme, récupérés. Sans doute, il est vrai, pas entièrement. Mais, encore une fois, il s’agit d’un scénario extrême. Nous ne pensons pas qu’il se réalisera dans de telles proportions. En outre, si l’on raisonne en trésorerie sur 2020, nous estimons également que nous serons en mesure, dès le 4e trimestre, d’encaisser une partie des loyers qui n’auraient pas été perçus aux 2e et 3e trimestres précédents.
Quel impact sur la distribution de vos SCPI ?
Jean-Marc Coly – Pour être totalement transparent, la décision n’est pas encore arrêtée. Nous nous demandons si ce « pire anticipé » ne doit pas, d’ores et déjà, être matérialisé dans les acomptes prévisionnels. Et dès le prochain versement, qui doit intervenir avant la fin du mois d’avril. Si cette décision est prise, elle conduirait à réduire d’environ 30% l’acompte versé. Ce qui, en termes de rendement moyen, reviendrait à passer d’un rendement prévisionnel de l’ordre d’un peu plus de 4% à un peu plus de 3%. Nos conseils de surveillance, que nous avons interrogés, ne trouvent pas cette hypothèse aberrante. D’autant plus qu’il s’agirait d’une minoration temporaire. Si la situation s’améliore aux 2e et au 3e trimestre, les acomptes prévisionnels pourraient être revus à la hausse. Et plus encore au 4e trimestre, où la visibilité se sera, nous l’espérons, grandement améliorée.
Pourquoi ne pas utiliser les reports à nouveau qui, pour vos SCPI, sont pourtant à des niveaux extrêmement élevés ?
Jean-Marc Coly – Cette hypothèse est bien entendu envisagée. Ces réserves ont été constituées dans cet objectif : pallier des pertes de revenus temporaires. Le degré d’utilisation de ces reports à nouveau, destinés à conforter le niveau de distribution annuelle, dépendra, là encore, de la situation qui aura prévalu durant la crise. Il sera décidé en fin d’année. Encore une fois, notre logique est une logique de prudence. Nous envisageons la situation du pire. Pour mieux reconstruire la situation du meilleur.
En sortie de crise se posera toujours la question de la résilience des locataires. Mais aussi celle de la valorisation -dévalorisation- des actifs immobiliers ? Que peut-on dire aujourd’hui ?
Jean-Marc Coly – Personne n’a de boule de cristal… Ce que je constate, c’est qu’ayant déjà vécu plusieurs crises, celle-ci intervient à un moment où les marchés immobiliers étaient finalement assez « raisonnables ». Certes, les prix ont augmenté ces dernières années. Certes, les taux de rendement ont baissé. Mais nous étions, avant le début de la crise, à des niveaux de primes de risque encore historiquement très élevés. De l’ordre de 250 à 350 points de base, pour les actifs prime, au-dessus des taux de long terme. Ce qui laisse une marge de manœuvre importante. En supposant que les taux de rendement baissent de 10 à 30 points de base, l’impact sur nos portefeuilles d’actifs existants sera marginal. Par ailleurs, côté loyers, des facteurs de soutien sont toujours présents. Les actifs d’immobilier d’entreprise ne sont pas en situation de sur-vacance ou de surproduction.
Qu’en pensent les experts immobiliers ?
Jean-Marc Coly – Ils cherchent, eux aussi, des références… A court terme, comme nous, ils considèrent que ce n’est pas quelques mois de loyers reportés qui vont changer la valeur d’un actif. En revanche, à plus long terme, les valorisateurs vont intégrer l’impact de la crise économique sur le niveau des loyers, et donc sur les niveaux de valorisation. Car il est clair que la tendance haussière qui prévalait en début d’année n’est plus d’actualité. La hausse des loyers peut se poursuivre, mais beaucoup plus modérément. Ou s’arrêter purement et simplement. C’est sans doute ce facteur loyer, plus que le facteur taux, qui fera « bouger » les valeurs d’expertises au cours des prochains mois…
Nous avons évoqué le risque loyers, le risque valorisation. Quid du risque sur la liquidité des SCPI ?
Jean-Marc Coly – C’est effectivement une crainte qui est régulièrement évoquée. A tort, pour l’instant. Car les données que nous avons compilées, chez Amundi Immobilier, et croisées avec d’autres gestionnaires, montrent que pour l’heure les souscriptions sont toujours très largement supérieures aux rachats. Les demandes de rachats n’ont pas augmenté. Il y en a, comme toujours. Mais elles n’augmentent pas. Ce qui tendrait à prouver que les épargnants ont bien compris que l’immobilier pouvait jouer ce rôle d’amortisseur qu’on lui attribue.
Qu’en est-il de la collecte ?
Jean-Marc Coly – Nous avons fait le point à fin mars. Ce qui inclut les 15 premiers jours du confinement. Et bien la collecte demeure, chez Amundi Immobilier en tout cas, très significative. Le chiffre n’est pas encore définitivement arrêté, mais il est clairement supérieur à celui constaté en mars 2019. Et le niveau de collecte est relativement homogène dans tous nos réseaux. Il faut bien sûr attendre les chiffres d’avril. Mais nous n’anticipons pas de fléchissement significatif sur la collecte en SCPI. Ni d’ailleurs sur celle dirigée vers notre OPCI phare, Opcimmo, qui a connu une collecte nette positive sur la dernière quinzaine du mois de mars.
Votre scénario de sortie de crise ?
Jean-Marc Coly – Amundi a déjà livré sa vision. Nous espérons voir les premiers effets de la reprise à partir du 4e trimestre. La reprise sera progressive, et peut être ponctuée de rechutes. La reprise sera plus ou moins forte selon les secteurs. Dans l’immobilier, elle produira les mêmes effets que les crises précédentes. Ce sont les actifs de qualité, ceux qui sont d’ailleurs les moins impactés, qui se rétabliront le plus rapidement…
Propos recueillis par Frédéric Tixier
[1] Deux secteurs qui représentent environ 20% du patrimoine géré par les principaux véhicules d’investissement collectif d’Amundi Immobilier
[2] Secteur qui représente environ 80% du patrimoine géré par les principaux véhicules d’investissement collectif d’Amundi Immobilier
Toutes les communications de crise d’Amundi Immobilier
Flash infos Amundi Immobilier du 20 mars
Communication spécifique sur Opcimmo
Flash Covid-19 du 6 mars
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A propos d’Amundi Immobilier(i)
Amundi Immobilier, filiale dédiée dans la gestion d’actifs immobiliers d’Amundi (N°1 de l’asset management en Europe et dans le top 10 mondial), est spécialisée dans le développement, la structuration et la gestion de fonds immobiliers axés sur le marché européen. Avec 37,6 Mds d’euros sous gestion fin 2019, elle est n°1 en France en collecte et en capitalisation pour les SCPI et OPCI grand public.
(i) Information extraite d’un document officiel de la société