Le Portugal vient de mettre en place un régime analogue à celui des SIIC françaises. Ces nouvelles foncières ont vocation à rééquilibrer offre et demande locatives sur le marché résidentiel, en surchauffe depuis plusieurs années. Explications, avec Béatrice Guedj, directrice de la Recherche et de l’Innovation chez Swiss Life Asset Managers, et Senior Advisor à l’IEIF.
Le gouvernement portugais vient de mettre en place un régime analogue à celui des SIIC françaises. Dans quel objectif ?
Béatrice Guedj – 2019 marque un tournant majeur pour l’immobilier portugais. Depuis le 1er février dernier, le gouvernement a mis en place un régime dit « SIGI », effectivement analogue à celui des SIIC françaises et, plus généralement, à celui des REIT dans le monde. Le dispositif vise à faire émerger une offre privée de logements autour des bassins d’emplois, dont Lisbonne, afin de favoriser la croissance de l’économie portugaise. L’enjeu majeur, à court terme, est en réalité de maintenir une compétitivité-prix dans certaines branches du secteur extérieur, pour attirer, à moyen et long terme, plus d’investissements directs étrangers. Avec un coût unitaire du travail en moyenne de 11,5 euros, le Portugal est quasiment aussi compétitif que certaines économies de l’Est. Toutefois, la hausse des dépenses en logement que l’on a pu observer ces dernières années entame le revenu disponible, freine la consommation domestique des ménages, et donc pèse sur la croissance. En rééquilibrant, via l’émergence de nouveaux acteurs, l’offre et la demande locatives, le gouvernement espère modérer l’évolution du poste logement, et ainsi libérer du revenu et maintenir la compétitivité de l’économie portugaise.
Vous évoquez la hausse des prix du résidentiel au Portugal. Mais de quel ordre de grandeur parle-t-on ?
Béatrice Guedj – Aujourd’hui, les prix sont de quasiment 30% supérieurs à leur niveau de 2009 dans l’ancien, et de 15% dans le neuf. Cette dynamique ascendante des prix touche, depuis 2013, l’ensemble du territoire portugais. Elle est essentiellement liée à la demande des investisseurs étrangers. Un rapide calcul entre les transactions sur le marché résidentiel ancien et l’investissement direct en immobilier des non-résidents donne un taux de corrélation de 0,75 depuis 2009… En réalité, tout investisseur positionné sur le marché portugais depuis 2013, au lendemain de la crise de la dette souveraine, aura vu la valeur de son patrimoine augmenté de plus de 50% dans l’ancien et 29% dans le neuf. Sans surprise, c’est Lisbonne qui concentre l’essentiel des transactions (33%, contre 29% pour Porto). En moyenne, les prix y ont augmenté de plus de 23% sur un an, ce qui rend l’accession à la propriété quasi impossible pour un salarié moyen résident, mais également pour les jeunes talents du monde entier…
A qui va profiter la mise en place des REIT portugaises ?
Béatrice Guedj – L’objectif est évidemment de favoriser l’accès au logement des ménages portugais, en rééquilibrant offre et demande locatives. Lisbonne, par exemple, compte un parc de près de 1,5 million de logements, soit 1,3 logement par ménage. Mais ce chiffre passe en dessous de 0,9 une fois corrigé des résidences secondaires… La détention et la gestion d’un parc locatif par ces nouvelles REIT portugaises vont permettre d’atteindre cet objectif, tout en bénéficiant d’économies d’échelle. Elles devraient attirer des investisseurs, institutionnels ou petits épargnants, et conduire à la mise en place d’un nouvel équilibre immobilier socialement responsable. En favorisant, notamment, la mobilité des salariés, la hausse de la productivité du travail, et la sécurisation des rendements pour les institutionnels engagés dans une démarche ESG et en quête de stabilité de leurs revenus courants. Les SIGI portugaises sont donc potentiellement des candidates idéales pour la poche immobilier coté des OPCI grand public, mais pas seulement !
Propos recueillis par Frédéric Tixier
A propos de Béatrice Guedj
Titulaire d’un doctorat en économie mathématique, Béatrice Guedj a été chercheur au CREST et membre du laboratoire d’économétrie du Cnam, en charge de la modélisation pour le secteur de la construction et des marchés immobiliers au sein de Rexecode (2000-2003), puis Managing Director de la recherche chez Grosvenor pour l’Europe, de 2004 à 2016. Elle a ensuite occupé le poste de Directrice de la recherche et des études à l’IEIF, puis a rejoint Swiss Life Asset Managers en tant que Directrice de la recherche et de l’innovation, en mars 2018. Béatrice Guedj est également Senior Advisor pour l’IEIF..
A propos de l’IEIF
Créé en 1986, l’IEIF est un centre d’études, de recherche et de prospective indépendant spécialisé en immobilier. Son objectif est de soutenir les acteurs de l’immobilier et de l’investissement dans leur activité et leur réflexion stratégique, en leur proposant des études, notes d’analyses, synthèses et clubs de réflexion. L’approche de l’IEIF intègre l’immobilier à la fois dans l’économie et dans l’allocation d’actifs. Elle est transversale, l’IEIF suivant à la fois les marchés (immobilier d’entreprise, logement) et les fonds immobiliers (cotés : SIIC, REIT ; non cotés : SCPI, OPCI, autres FIA).
L’IEIF compte aujourd’hui plus de 120 sociétés membres (2/3 d’investisseurs, 1/3 d’autres acteurs : promoteurs, banques, experts immobiliers, conseils en immobilier, etc.). Le patrimoine immobilier des membres investisseurs représente une valeur globale de près de 300 milliards d’euros. L’IEIF s’appuie sur une équipe de 20 personnes issues à la fois des mondes de la finance et de l’immobilier, dont 6 chercheurs associés. Il dispose de nombreuses bases de données économiques, financières et immobilières, dont certaines ont plus de 30 ans d’historique.