Les plateformes de crowdfunding pourront désormais lever jusqu’à 8 millions d’euros par projet, contre 2,5 précédemment. Cette mesure, prévue par la loi Pacte, est officielle depuis le 30 octobre. Quel impact pour le marché du crowdfunding immobilier ?
Le décret d’application instaurant le rehaussement du seuil d’éligibilité des projets de financement participatif a été publié le mercredi 30 octobre. Désormais, les plateformes de crowdfunding pourront lever jusqu’à 8 millions d’euros[1]par projet[2], contre 2,5 millions précédemment[3]. Le décret met également en œuvre une autre des dispositions prévues par la loi Pacte : les sociétés coopératives constituées sous la forme de société anonyme peuvent dorénavant faire appel au public via les plateformes de crowdfunding.
Crowdfunding : pourquoi porter le plafond à 8 millions d’euros par projet ?
Le rehaussement du plafond de collecte était vivement souhaité par les professionnels du secteur. Mais pourquoi le relever, pourrait-on s’interroger, quand on sait que le montant moyen levé par projet, en crowdequity, dépasse à peine les 360 000 €[4] ? «La mesure intéresse surtout le secteur du crowdfunding immobilier, où le niveau moyen des montants collectés est en moyenne plus élevé -536 000 € en 2018 -, et où de plus en plus d’opérations sont effectivement capées par le seuil des 2,5 M€ », répond Céline Mahinc, gérante fondatrice du cabinet Eden Finances, et auteure de plusieurs études sur le crowdfunding immobilier. Le relèvement du plafond va de fait permettre aux plateformes de crowdfunding immobilier de répondre aux attentes d’acteurs de plus grande taille, et d’ajouter à leur cible d’opérateurs les gros promoteurs dont les besoins de financement par opération peuvent atteindre, voire dépasser, les 10 M€. Un élargissement qui signifie également, pour les plateformes, une meilleure maîtrise des risques, car désormais en partie adossés à des entreprises plus solides sur le plan financier.
Crowdfunding immobilier: favoriser la montée en puissance des investisseurs institutionnels
La mesure vise également un autre objectif : satisfaire les attentes des investisseurs institutionnels, dont la part dans les apporteurs de fonds est en progression constante. « En 2018, les investisseurs institutionnels représentaient environ 30% des montants levés en crowdfunding immobilier », précise Céline Mahinc. Pour s’adapter aux besoins de cette catégorie d’investisseurs, qui déversent plus de capitaux, sur des tickets de versement plus élevés et plus récurrents, les plateformes doivent disposer d’un « pipe » d’investissements d’une taille plus conséquente, et régulièrement renouvelé. D’où l’intérêt d’entrée en relation avec les gros promoteurs, dont le flux et la nature des opérations correspondent précisément à ces critères. Car, pour l’heure, le niveau des besoins de financement des 429 promoteurs recensés par la dernière étude de Céline Mahinc, réalisée conjointement avec l’IEIF[5], est pour le moins hétérogène. Si certains promoteurs ont pu faire financer par le crowfunding, en cumulant plusieurs opérations sur les 5 dernières années, jusqu’à 16 M€, d’autres n’ont pas dépassé le seuil des 37 000 €…
Crowdfunding immobilier: vers une concentration des acteurs ?
Cette montée en puissance, à la fois dans le sourcing des opérations et dans le profil des investisseurs, risque toutefois d’avoir des conséquences sur la structure du marché du crowfunding immobilier. Une quarantaine d’acteurs y sont aujourd’hui actifs. Mais déjà, les 5 premières plateformes, dont la hiérarchie change d’ailleurs d’une année à l’autre[6], trustent plus de 50% des levées de fonds. « La course à la taille pourrait ouvrir la voie à de nouvelles restructurations », prédit Céline Mahinc, qui rappelle que deux des plus importants acteurs, Homunity et Fundimmo, sont déjà passés dans le giron de grands opérateurs du capital investissement ou de l’investissement en immobilier[7]. Homunity annonce d’ailleurs l’ouverture imminente de la première opération d’un montant unitaire supérieur à 2,5 millions d’euros. Il s’agirait du financement de l’acquisition de la galerie commerciale de Bois Sénart, située à Cesson (77), pour un montant à financer de 4,4 M€, et un objectif de rendement à 6 mois de 9% annualisé.
Loi Pacte : les autres mesures attendues
En attendant, le secteur est toujours dans l’attente de la mise en application de deux autres mesures phares prévues par la loi Pacte : l’éligibilité du financement participatif aux produits d’épargne-retraite et à l’enveloppe assurance-vie, ainsi que l’ouverture de cette forme d’investissement aux PEA-PME. A suivre.
Frédéric Tixier
A propos de l’IEIF
Créé en 1986, l’IEIF est un centre d’études, de recherche et de prospective indépendant spécialisé en immobilier. Son objectif est de soutenir les acteurs de l’immobilier et de l’investissement dans leur activité et leur réflexion stratégique, en leur proposant des études, notes d’analyses, synthèses et clubs de réflexion. L’approche de l’IEIF intègre l’immobilier à la fois dans l’économie et dans l’allocation d’actifs. Elle est transversale, l’IEIF suivant à la fois les marchés (immobilier d’entreprise, logement) et les fonds immobiliers (cotés : SIIC, REIT ; non cotés : SCPI, OPCI, autres FIA). L’IEIF compte aujourd’hui plus de 120 sociétés membres (2/3 d’investisseurs, 1/3 d’autres acteurs : promoteurs, banques, experts immobiliers, conseils en immobilier, etc.). Le patrimoine immobilier des membres investisseurs représente une valeur globale de près de 300 milliards d’euros. L’IEIF s’appuie sur une équipe de 20 personnes issues à la fois des mondes de la finance et de l’immobilier, dont 6 chercheurs associés. Il dispose de nombreuses bases de données économiques, financières et immobilières, dont certaines ont plus de 30 ans d’historique.
[1] Limite maximale autorisée par l’Union européenne.[2] Pour l’ensemble des titres levés par les plateformes, actions, obligations, obligations convertibles, minibons ou titres participatifs.
[3] La mesure ne s’applique qu’aux plateformes dotées du statut de CIP (conseiller en investissement participatif) ou de PSI (prestataire de services d’investissement). Le plafond par projet reste fixé à 1 million d’euros pour les plateformes dotées du statut d’IFP (intermédiaire en financement participatif).
[4] Source : Baromètre du crowdfunding en France 2018 réalisé par KPMG pour Financement Participatif France.
[5] L’étude complète sera disponible en décembre prochain.
[6] En 2018, le quinté de tête comprenait Homunity, Anaxago, Wiseed, Clubfunding, Fundimmo.
[7] Homunity a été racheté, début 2019, par credit.fr, une plateforme détenue par Tikehau Capital, également actionnaire majoritaire de la société de gestion d’actifs immobiliers Sofidy. Et la Foncière Atland, actionnaire majoritaire de la société de gestion de SCPI Voisin, a pris une participation de 60% au capital de Fundimmo en juillet dernier.