Paris, ville d’histoire ! On pourrait se promener dans Paris et, au seul nom des rues, évoquer des pages ordinaires, merveilleuses ou terribles de l’histoire de France. Mais il y a une rue qui n’existe pas…
Consultez un plan de Paris. En multipliant le nombre de rues dans une page, par le nombre de pages dans le livret, vous verrez qu’il existe près de 6.000 rues. Il y a suffisamment de place pour honorer les grands et les moins grands personnages qui ont marqué la France au long des siècles.
Mais il y a une rue qui n’existe pas à Paris. Celle qui porterait le nom d’un homme qui, il y a plus de trois siècles, marqua aussi bien l’esprit de ses contemporains que le déroulement de l’histoire.
Homme de pouvoir et de finance, il soutint loyalement Mazarin (rue, 6e arrondissement) pendant la Fronde, cette révolte des princes dont les plus célèbres furent Condé (rue, 6e arrondissement) et Conti (quai, 6e arrondissement). C’est assurément grâce à son habileté financière et à sa fidélité sans faille que la royauté put résister pendant l’enfance de Louis XIV et que celui-ci put accéder au trône pour devenir ensuite « Louis le Grand » (rue, 2e arrondissement).
Du temps de sa splendeur, ce personnage fut l’ami de Madame de Sévigné (rue, 4e et 3e arrondissement), le protecteur de Molière (avenue, 16e arrondissement ; passage, 3e arrondissement ; rue, 1er arrondissement), et de La Fontaine (rue, hameau, square, 16e arrondissement).
Madeleine de Scudéry (jardin, 3ème arrondissement) avait pour lui une admiration sans bornes. Il rendit plus agréables les dernières années du poète Scarron (rue, 11ème arrondissement) dont la veuve, Madame de Maintenon (allée, 6e arrondissement) devait devenir bien plus tard la dernière épouse de Louis XIV. C’est lui aussi qui encouragea Corneille (rue, 6e arrondissement) à reprendre son activité de dramaturge.
Il construisit un château, en réunissant les grands artistes Le Vau (rue, 20e arrondissement), Le Brun (rue, 1er arrondissement), Girardon (rue, impasse, 18e arrondissement) et Le Nôtre (rue, 16e arrondissement). Les mêmes qui, plus tard, allaient réaliser le château de Versailles destiné, notamment, à faire oublier le château construit par notre personnage.
C’est d’ailleurs pour lui que Le Brun (rue, 13e arrondissement) réalisa l’emblème du soleil, qui plus tard allait devenir l’emblème de Louis XIV.
Le grand oublié de l’histoire
Nicolas Fouquet, homme brillant et cultivé, politique habile et efficace, surintendant des finances et constructeur du château de Vaux le Vicomte, disparut brutalement de la scène du pouvoir. Il fut arrêté en 1661 par d’Artagnan (rue, 12e arrondissement) qui y gagna d’un coup la célébrité. L’ordre venait du jeune Louis XIV, à peine âgé de 20 ans, inspiré secrètement par Colbert (rue, passage, galerie, 2e arrondissement) qui convoitait les plus hautes responsabilités.
Fouquet séjourna notamment à la Bastille (place, 11e et 12e arrondissements ; boulevard, 12e arrondissement ; rue, 4e arrondissement). Son procès se déroula au Palais de justice de Paris (1er arrondissement) et dura trois ans et demi. Tous les historiens s’accordent à reconnaître ce procès comme manipulé d’un bout à l’autre. Les juges furent d’abord le Chancelier Séguier (rue, 6e arrondissement) puis Olivier d’Ormesson (rue, 4e arrondissement) qui paya d’une lourde disgrâce d’avoir refusé les consignes de condamnation à mort.
Nicolas Fouquet finit ses jours en prison, pendant que ses ennemis – essentiellement Colbert (rue, passage, galerie, 2e arrondissement) et Louvois (rue, square, 2e arrondissement) – s’acharnaient, année après année, à ternir sa mémoire et à effacer les traces de son action. Les livres d’histoire ont longtemps véhiculé l’image d’un financier peu scrupuleux, alors même que les témoignages de l’époque révèlent une personnalité hors du commun qui sut, dans une période politiquement et économiquement très troublée, être le symbole de la confiance. Les recherches historiques récentes mettent en lumière une réalité simple, celle d’un homme riche qui mit sa fortune personnelle au service de la royauté, mais dont la réputation et le talent étaient un obstacle à l’ascension de ses ennemis.
Une autre histoire
Le surintendant avait des ambitions de réforme fiscale, il investit dans la marine et créa des manufactures… autant d’efforts que s’attribuèrent ensuite ses successeurs (un exemple parmi d’autres, les ateliers de Maincy, près du Château de Vaux, furent simplement déplacés, machines et hommes, pour la « création » de la manufacture des Gobelins – 13e arrondissement).
Nicolas Fouquet croyait à l’avenir des Amériques, sa politique ne futpas prolongée. Il voulait des provinces dynamiques et puissantes, le pays s’engagea dans une centralisation farouche. Il était à la fois profondément religieux (catholique dévot) et tolérant (plusieurs de ses collaborateurs furent de grands protestants), après sa chute le pays bascula progressivement vers la reprise des guerres de religion et la révocation de l’Édit de Nantes.
Des artistes que Fouquet a lancés, protégés ou aidés, des puissants auxquels il fut loyal avec une efficacité brillante, de ses amis fidèles et de ses ennemis acharnés, un très grand nombre ont une rue à Paris. Mais vous pouvez vous promener dans ce Paris qu’il connaissait si bien et où il vécut, selon sa propre expression, « le cœur au-dessus des périls », vous ne trouverez pas de rue Nicolas Fouquet.
Qui raconte l’histoire ?
Il suffit d’avoir été un jour sur les rives du Mississipi. D’avoir vu cette masse formidable d’eau paisible glisser doucement avec une puissance totale. On comprend alors la phrase de Voltaire : « L’histoire est un Mississipi de mensonges ».
Les historiens font de leur mieux. Mais l’histoire est racontée par les vainqueurs. Bons ou méchants. Et les légendes ont la vie dure.
Dans l’histoire Fouquet, le scénario est assez simple. Au moment où les grands princes du royaume de France ont voulu abattre la royauté, il a tenu bon. Même quand Mazarin a dû fuir, lui, Nicolas Fouquet, a protégé le jeune Louis XIV et son futur trône et financé et organisé la contre-attaque. Alors, quand la paix est revenue, tous les plus grands personnages de France lui en voulaient…
Un ennemi, encore dans l’ombre, le guettait : Colbert. On sait que Mazarin profita sans scrupules de son immense pouvoir pour se constituer une fortune également immense. Et qui était celui chargé des affaires personnelles de Mazarin ? Colbert. Il avait une ambition farouche. Et il s’allia avec Le Tellier, le père de Louvois, pour s’emparer du pouvoir. L’étape indispensable était l’élimination du surintendant.
Gagnants et perdants
Le « coup d’état » réussit. Les familles Le Tellier et Colbert ont pris le pouvoir, dans une pièce appelée « Roi soleil ».
Si l’on regarde froidement les comptes, on s’aperçoit que le sieur Colbert a constitué, à partir de 1661, donc après l’arrestation de Fouquet, une fortune véritablement colossale. Un Steve Jobs ou un Bill Gates avant l’heure, mais par la politique, donc par le mélange entre affaires publiques et affaires privées. Mais voilà, celui qui a raconté l’histoire avait tout le loisir d’accuser son ennemi vaincu… qui, lui, avait pourtant mis sa propre fortune en garantie des emprunts du Roi, attitude quelque peu différente.
On peut regretter que le procès de Nicolas Fouquet ait été, selon l’expression de Marcel Pagnol, « la honte du règne de Louis XIV ». On peut regretter que le flot d’accusations développées pour les besoins de la cause ait imprégné son parfum dans un abondante littérature jusqu’à nos jours. Mais on ne change pas le cours des événements. Le destin a tranché : dans la dure vie politique, il y a des gagnants et des perdants.
Voir aussi : Réussite économique et popularité