Ce nouveau texte a pour objectif de faciliter la cession de logements sociaux aux investisseurs privés. Sur le sujet de la privatisation du parc social, la France est loin d’être précurseur en Europe. Etat des lieux avec Charles-Henri de Marignan, analyste senior à l’IEIF.
En quoi la loi ELAN peut-elle s’avérer une opportunité pour les investisseurs en actifs immobiliers ?
Charles-Henri de Marignan – Le projet de loi ELAN (Evolution du Logement, de l’Aménagement et du Numérique), adopté par l’Assemblée le 12 juin dernier, a notamment pour objectif de quintupler les ventes annuelles de logements sociaux, dans le but de permettre aux bailleurs sociaux de construire davantage. Afin de faciliter les cessions des actifs qu’ils détiennent, le texte les dispense d’autorisation préfectorale et supprime le droit de préemption des communes. Il permet également aux bailleurs sociaux de fixer librement le prix de vente si le logement est cédé à un autre organisme. L’objectif est de permettre la cession de 40 000 logements par an (contre 8 000 aujourd’hui) sur un parc de 4,8 millions de logements sociaux. Ces nouvelles règles sont susceptibles d’attirer sur ce marché des investisseurs privés qui pourraient acheter en bloc les immeubles les mieux situés, une hypothèse d’ailleurs dénoncée par la Confédération nationale du logement(CNL).
La question de la privatisation du parc des logements sociaux est une problématique qui se décline à l’échelle européenne. Où en sont les principaux pays européens sur ce sujet ?
Charles-Henri de Marignan – Le Royaume-Unidispose de 5 millions de logements sociaux, ce qui en fait le premier parc européen. Mais le pays s’est engagé depuis le début des années 1980 dans une politique de privatisation qui s’est traduite par la vente de 2,5 millions de logements sociaux. Ces derniers ont peu à peu laissé la place aux logements « abordables » (dont les loyers représentent 80% des loyers du secteur privé). Aux Pays-Bas, le parc social est composé de 2,5 millions de logement, soit 75 % du parc locatif global. Mais les principaux bailleurs sociaux sont des acteurs privés qui bénéficient de conditions d’investissements favorables. A tel point que les fonds de placement et les fonds de capital-investissement représentent 75 % de l’investissement total en logements sociaux depuis 2014. En Allemagne, enfin, le parc de logement social est le plus faible d’Europe : 1,5 million de logements en 2017, dans lesquels seuls 4 % des ménages germaniques sont logés. Depuis les années 2000, les règles du logement social sont alignées sur celles du secteur privé : le statut de logement social est temporaire et rattaché au bien immobilier. Et à ce jour, une part importante du parc social a été cédée à des investisseurs. Ainsi, Vonovia, premier bailleur allemand coté en Bourse, dispose de 355 000 logements.
Et en France ?
Charles-Henri de Marignan – La France dispose du deuxième parc HLM d’Europe : 4,8 millions de logements sociaux, dans lesquels résideun ménage sur six. L’arbitrage des logements sociaux entre acteurs publics et privés reste marginal. Mais, pour certains bailleurs sociaux, financer la construction de nouveaux logements en vendant une petite fraction du patrimoine fait déjà partie de leur politique. En cédant 4 100 logements en 2017, la CDC Habitat (ex SNI), volontariste en la matière, a pu lancer la construction de 15 300 logements. Et la signature d’un accord de partenariat entre cet organisme public et la foncière allemande Vonovia, l’an dernier, est un signal fort lancé aux acteurs du marché…
Propos recueillis par Frédéric Tixier
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