L’immobilier, pourtant composante majeure de l’économie mondiale, a pour l’instant peu été impacté par la « disruption » digitale. Mais les choses pourraient changer rapidement. Il est déjà possible d’acheter un appartement en bitcoin. Et « une autre forme d’investissement en immobilier semble vouloir voir le jour : l’asset-backed token »,
À l’ère du digital, certaines industries s’emparent des crypto-monnaies[1] et de la technologie blockchain[2] – dispositif d’enregistrement électronique partagé – pour réduire leurs coûts structurels et être plus efficaces. A l’instar des banques souhaitant partager leurs données « KYC[3] » d’identification de leurs clients, à des fins de lutte contre le blanchiment.
ICO, nouveau mode de financement ?
Mais une autre vague disruptive est en train d’arriver, susceptible de bouleverser la manière dont les start-ups de demain se financeront : les « Initial Coin Offerings » ou ICO (« offres initiales de jetons »). Le principe emprunte au fonctionnement d’une introduction en bourse (IPO). Les start-ups de l’écosystème blockchain lèvent déjà aujourd’hui davantage de fonds par des ICOs que par le truchement du capital-risque traditionnel[4]. En à peine 4 ans, ce nouveau mode de financement a déjà dépassé les 700 milliards de dollars levés ! Sur la seule année 2017, il a progressé de 150%, avec près de 600 levées de fonds constatées…
Dans certain cas, une ICO ressemble à une campagne de crowdfunding. Elle propose alors de préacheter, non pas un produit, mais des jetons digitaux (tokens) lesquels donnent des droits d’utiliser en primeur la plateforme ou l’application que l’ICO doit financer – on parle alors d’utility token -. Dans d’autres, l’ICO s’apparente davantage à une offre de titres à des fins d’investissement. Les jetons peuvent alors être vendus – contre des bitcoins ou des ethers, par exemple – via une blockchain et non via un site de crowdfunding. Ils peuvent « représenter » des parts ou des actions de sociétés, ou des droits de vote. Les jetons créés sont en général « listés » par les plateformes d’échange de cryptomonnaies (Coinbase, ZeBitcoin, par exemple), créant ainsi une sorte de marché secondaire de ces tokens. Seulement voilà : ces cryptomonnaies, dont la 1ère fut créée en 2009, ne sont régies par aucune banque centrale. Elles n’étaient jusqu’alors adossées à aucun actif, donc sans valeur intrinsèque…
Quel(s) impact(s) sur l’immobilier ?
L’immobilier, évalué à 217 trillions de dollars[5], est le composant le plus important de l’économie mondiale. Il n’a pourtant, à ce jour, que peu été impacté par la récente (r)évolution technologique. Il est donc possible d’imaginer que la blockchain, dans un avenir pas si lointain, viendra disrupter les transactions, à l’instar d’internet avec les communications, et ainsi réduire les intermédiaires et les coûts associés. Ne favorisera-t-elle pas, par exemple, l’enregistrement du transfert de propriété, comme c’est déjà le cas dans plusieurs Etats américains ? Mais cela ne semble pas être le seul impact possible. Rappelons qu’investir dans l’immobilier peut prendre différentes formes :
- L’achat direct d’un bien, pour l’habiter ou le louer
- L’investissement via des SCPI ou des OPCI
- Le placement dans de l’immobilier coté (type SIIC, OPCVM immobilier)
- L’investissement via du crowdfunding immobilier : en crowdequity (actions, obligations, minibons) ; ou en crowdlending (prêt rémunéré ou non) ; et peut être bientôt en crowdinvesting…
L’émergence des « asset-backed tokens »
La cryptomonnaie a d’ailleurs déjà fait son entrée dans ces domaines traditionnels. Il est désormais possible d’acheter, en bitcoin, un appartement à Dubaï ! Un projet destiné aux investisseurs qui ont profité de l’explosion du bitcoin, et veulent transformer leur monnaie virtuelle en actif physique. Et une autre forme d’investissement en immobilier semble vouloir voir le jour : « l’asset-backed token ». Elle donnerait par là même une nouvelle dimension et légitimité aux jetons, et ainsi une nouvelle dimension à la technologie blockchain. En pratique, « l’asset-backed token » est un jeton adossé à un actif. Et, plus précisément, à un actif immobilier. Ils se nomment, par exemple, « Brickcoin », « Real Estate Asset Ledger », « LAToken », « Brickblock ».
Seront-ils les OPCI du futur ?
Chaque coin ou token, qui peut être acheté avec des devises ou cryptomonnaies, représente un investissement dans un bien immobilier – sans hypothèque -, détenu par exemple dans le cadre d’un REIT[6] – véhicule d’investissement réglementé, comme les SIIC en France -. En soutenant une crypto-monnaie avec une classe d’actifs dominante, stable comme l’immobilier commercial notamment, le but recherché est de proposer une protection aux clients contre les risques liés à la fluctuation des crypto-monnaies non garanties par des actifs traditionnels.
De plus, la blockchain permet l’inclusion de smart contrats – un contrat intelligent qui permet d’enregistrer les données clés du contrat et s’exécute de lui-même lorsque les conditions idoines sont réunies -, par programmation effectuée en amont dans le processus de transaction. Ces derniers offrent ainsi une autre dimension. En effet, peuvent être inclues des exécutions de programmes telles que la définition des droits de vote (voting token), le pourcentage de rétrocession de profits (equity token), ou le fonctionnement du prêt (debt token).
En l’attente d’une réglementation adhoc
Alors qu’aux Etats-Unis la question d’un assujettissement à la régulation est prégnante, dans l’attente d’une position officielle de la Securities and Exchange Commission (SEC), la question commence à peine à être débattue en Europe. En l’état actuel, il semble peu probable qu’une ICO, unité de valorisation, ne soit pas soumise à la réglementation de l’offre au public de titres financiers. Alors même qu’en facial les jetons vendus ne représentent pas des titres financiers (actions, titres de créance de sociétés) à proprement parler. Une réglementation ad hoc sera probablement nécessaire, dans le but de protéger les investisseurs non aguerris, et afin de rattacher cette unité de valorisation soit à la sphère financière, soit à la sphère monétaire.
La France est là encore une fois pionnière avec son ordonnance, début décembre 2017, qui adapte son cadre législatif à la blockchain : titres non cotés, titres de créances négociables (billets de trésorerie, certificats de dépôts) et parts de fonds, dont le transfert de propriété pourra donc être matérialisé via la blockchain. Et l’AMF a également lancé une consultation sur les ICOs…
Pour l’heure, la question prégnante est « bassement » matérielle : quid du traitement fiscal ?
Mais quelles écritures comptables appliquer à une opération financière qui n’a encore aucune existence légale ? Un commissaire aux comptes qui a audité une entreprise française en 2017, en attente d’une position officielle de l’administration fiscale, semble avoir pris le parti de considérer la levée de fonds comme du chiffre d’affaires. Et donc de la faire apparaître sur l’exercice comme un super bénéfice (en l’occurrence de plusieurs millions d’euros), qui serait alors taxé automatiquement à un taux normal d’impôt sur les bénéfices de 33,33%… Pour le particulier qui réalise des plus-values sur la vente de tokens, celles-ci sont imposées à l’impôt sur le revenu, soit dans la catégorie des BNC (bénéfices non commerciaux) lorsque les gains enregistrés sont occasionnels, soit dans la catégorie des BIC (bénéfices industriels et commerciaux) lorsque l’activité d’achat/revente est exercée de manière habituelle.
Ces nouvelles cryptomonnaies, et la technologie qui permet leur fonctionnement, sont-elles en passe de bouleverser toute notre économie et de faire surgir un monde nouveau ? A peine arrivé, le crowdfunding se fera-t-il dépasser ? La finance traditionnelle pourra-t-elle faire face à ces nouveaux défis ? A suivre donc !
Lire aussi : Crowdfunding immobilier, entre attractivité et risques
[1] Wikipédia : Une crypto-monnaie, dite aussi crypto-devise ou monnaie cryptographique, est une monnaie virtuelle utilisable sur un réseau informatique décentralisé, de pair à pair. Elle est fondée sur les principes de la cryptographie et intègre l’utilisateur dans les processus d’émission et de règlement des transactions
[2] Registre partagé, permettant de garantir une « version unique et inviolable de la réalité », grâce à un dispositif d’enregistrement électronique décentralisé et mutualisé
[3] KYC (Know Your Customer) : processus permettant de vérifier l’identité et les informations des clients
[4] Source Goldman Sachs via CNBC
[5] Barnes Y. et al., (2016) Around the World in Dollars and Cents http://pdf.euro.savills.co.uk/globalresearch/around-the-world-in-dollars-and-cents-2016.pdf
[6] Real Estate Investment Trusts