Le président de l’ASPIM, Jean-Marc Coly, répond aux questions de Guy Marty. A quels enjeux sont aujourd’hui confrontés les véhicules de la pierre-papier ? Quid de l’internationalisation de la distribution ? De l’impact environnemental ? De nouveaux marchés immobiliers sont-ils en train de voir le jour ? Interview.
Quelles sont les grandes lignes de l’avenir des SCPI ?
Jean-Marc Coly – Je rappelle que les SCPI s’inscrivent dans le marché plus global des fonds immobiliers représentés par l’ASPIM. Elles pèsent quelque 90 Md€ dans un ensemble qui, si on y ajoute les OPCI, les SCI et les fonds professionnels, représente plus de 314 Md€. Les fonds immobiliers français se situent au second rang européen, derrière les fonds allemands. Les gestionnaires français ont d’ailleurs l’ambition de davantage s’ouvrir à l’Europe. Ils y investissent déjà de manière importante. Plus de 30% de la collecte est déjà placée en actifs immobiliers européens. Il s’agit maintenant de développer, hors de France, la commercialisation des fonds français. Les autres gestionnaires européens partagent cette ambition, celle d’une commercialisation extranationale. C’est la raison pour laquelle est né un label européen, l’ELTIF[1], qui va permettre aux fonds qui en seront dotés d’être commercialisés partout en Europe…
Label ELTIF dont une nouvelle version a été adoptée récemment…
Jean-Marc Coly – Une version « ELTIF 2.0 » a effectivement été adoptée début 2023[2]. La mise en œuvre de ce label est à la fois un défi et une opportunité. Une opportunité, car il va permettre aux fonds immobiliers français d’être commercialisés hors de France. Et un défi, car les autres fonds immobiliers européens auront aussi la possibilité d’être commercialisés en France. Ce qui impose aux véhicules français d’être encore plus performants. Plus performants pour « attaquer » efficacement le marché européen. Plus performants pour résister à la concurrence des autres fonds européens. L’enjeu est d’autant plus important qu’il s’inscrit dans une évolution plus globale des modes de distribution, avec la montée en puissance des sites de vente en ligne…
Les fonds immobiliers français ne sont-ils pas défavorisés par une fiscalité plus pénalisante que dans d’autres pays européens ?
Jean-Marc Coly – Les pouvoirs publics français, et notamment la direction du Trésor, sont extrêmement moteurs dans l’implémentation du label ELTIF. Et ont bien compris que la « neutralité » fiscale serait un élément clef de son succès. Des dispositifs fiscaux spécifiques devraient, nous l’espérons, être introduits dans une prochaine loi de Finances. Afin de donner aux fonds immobiliers français cette neutralité fiscale. Et éviter, effectivement, un obstacle à leur distribution dans l’ensemble des marchés européens.
Parmi les différentes formules de la pierre-papier, les SCPI ont tiré le marché ces dernières années. Entraînant dans leur sillage d’abord les OPCI, puis, plus récemment, les sociétés civiles immobilières. Quel est l’équilibre souhaitable entre ces diverses formules ?
Jean-Marc Coly – Elles ont toutes vocation à se développer. Toutes méritent l’attention des épargnants. Les SCPI, parce qu’elles sont purement « immobilier ». Sachant, et c’est dommage, qu’elles ne peuvent pas facturer de services. L’OPCI, lui, est doté d’une poche de valeurs mobilières. Ce qui n’est pas nécessairement un avantage, en période de repli boursier. Il conviendrait d’ailleurs d’étudier une autre formule assurant sa nécessaire liquidité, tout en le rendant plus performant. Les sociétés civiles, enfin, seraient en quelque sorte le produit parfait. Sauf qu’elles ne peuvent communiquer, car ce sont des véhicules professionnels… En résumé, chaque formule a encore un petit inconvénient. Qu’il faut essayer de gommer, réglementairement. Afin que chacune trouve sa propre dynamique de développement.
Hormis l’internationalisation, que nous venons d’évoquer, y a-t-il une autre ligne d’avenir pour les produits de la pierre-papier ?
Jean-Marc Coly – Deux points à évoquer. Le premier, le sujet environnemental, me semble fondamental. L’immobilier a fait beaucoup d’efforts depuis 2007. Avec le Plan bâtiment durable, notamment. Puis, plus récemment, avec le label ISR. Qui a d’ailleurs connu un grand succès. Il faut aller encore plus loin. Peut-être en harmonisant la réglementation européenne sur ce sujet du label ISR. Peut-être en organisant une forme de contrôle des progrès réalisés. Je rappelle, par exemple, qu’il est aujourd’hui réglementairement impossible, pour un bailleur, d’obtenir directement des fournisseurs d’énergie la consommation énergétique de ses locataires. Comment voulez-vous alors mesurer l’impact des travaux que vous avez engagés pour améliorer le bilan énergétique de vos immeubles ? Ou l’effort accompli par vos locataires en matière de sobriété énergétique ?
Il y a aussi le sujet des investissements nécessaires à l’amélioration des dépenses énergétiques…
Jean-Marc Coly – Ce sont effectivement des milliards d’euros qui devront être investis pour isoler les immeubles. Particulièrement en matière de logement. La question est : comment fait-on ? L’Etat peut-il nous aider ? Et comment ? La piste de la sobriété est intéressante. Il y a, à mon sens, plus à gagner dans l’optimisation de l’utilisation des immeubles que dans leur isolation. Regardez comment, suite à l’alerte gouvernementale sur une possible pénurie d’électricité, nous avons été capables de réduire drastiquement la consommation électrique du pays… Si l’on applique ce même principe, en agissant sur tous les postes d’un bâtiment -climatisation, chauffage, ordinateurs…-, la sobriété « immédiate » peut être considérable…
Premier sujet, donc, l’impact environnemental. Second sujet ?
Jean-Marc Coly – Le second sujet, qui va progressivement s’imposer, est celui de la dette immobilière. Des fonds de fonds vont se créer. Avec pour objectif de prêter pour financer des « objets immobiliers ». Une première phase s’est déjà enclenchée, avec le crowdfunding immobilier. Qu’est-ce que le crowdfunding immobilier ? Sinon de l’argent prêté par des particuliers pour financer des opérations créatrices de valeur ajoutée, de promotion pour l’essentiel. Mais d’autres « objets immobiliers » vont aussi devoir être financés. L’un des sujets, aujourd’hui, est par exemple le financement des copropriétés. Pour les aider à mettre en œuvre des travaux d’isolation. Qui coûtent très chers. Et que tous les copropriétaires n’auront pas les moyens de financer sans une forme de recours au crédit… Il y aura aussi la problématique de la mobilisation de l’épargne immobilière des seniors.
Viager ?
Jean-Marc Coly – Viager. Ou prêt hypothécaire. En fait, c’est toute une mécanique, autour de la valeur immobilière, qui va se mettre en œuvre. Afin de mobiliser, de transformer cette valeur, cette épargne immobilière, pour qu’elle vienne alimenter plus rapidement l’économie dans son ensemble. C’est un nouveau marché à connotation immobilière…
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A propos de l’ASPIM(i)
L’Association française des Sociétés de Placement Immobilier (ASPIM) représente et défend les intérêts de ses adhérents, les gestionnaires de fonds d’investissement alternatif (FIA) en immobilier (SCPI, OPCI et autres FIA « par objet »). Créée en 1975, l’ASPIM est une association à but non lucratif qui réunit tous les acteurs du métier de la gestion des fonds immobiliers non cotés. En France, au 31 décembre 2022, les FIA en immobilier représentaient une capitalisation totale de 314 milliards € et 4 millions d’épargnants.
Le nombre total des membres de l’ASPIM s’élève à 133, dont 106 Sociétés de Gestion de Portefeuille (SGP) agréées par l’AMF, filiales de groupes bancaires, d’assurance, de gestion immobilière étrangère ou entrepreneuriales, et 27 experts correspondants qui sont des professionnels de l’écosystème immobilier et financier (avocats, consultants, auditeurs et experts).
(i) Information extraite d’un document officiel de la société
[1] Les fonds européens d’investissement de long terme (FEILT ou ELTIF selon le sigle anglais) ont été introduits par le règlement européen 2015/760 qui est entré en application le 9 décembre 2015.
[2] Le Parlement européen a adopté le 15 février 2023 le règlement dit « ELTIF 2.0 ». Ce texte révisé comporte de nombreuses avancées notables par rapport au régime ELTIF initial :
- simplification de la distribution des ELTIF aux investisseurs de détail, avec notamment la suppression du ticket d’entrée de 10 000€ ;
- assouplissements des règles d’investissement de l’ELTIF, avec notamment un élargissement du périmètre des actifs éligibles, l’abaissement de 70% à 55% du quota minimum investi en actifs éligibles, de plus larges possibilités de structurer un ELTIF fonds de fonds, l’assouplissement des ratios de diversification, etc. ;
- évolutions du cadre dérogatoire permettant d’offrir des possibilités de rachat avant la fin de vie du fonds.