Ce projet illustre les difficultés des « pure players » de l’internet à parvenir à rentabiliser leur trafic sur la toile. Il manifeste l’impérieuse nécessité pour les grandes enseignes de maintenir et de développer leur présence physique quoi qu’elles aient elles-mêmes apprivoisé l’e-commerce.
En marge de la présentation de ses résultats semestriels, Darty, l’enseigne phare de l’électroménager a annoncé un projet d’acquisition du site marchand Mistergooddeal.com. Le groupe qui a construit son succès sur son service après-vente et la diffusion de gammes larges dans le gros électroménager blanc et brun est déjà l’un des groupes qui a le mieux mis en œuvre une distribution multicanal associant son site internet et ses nombreux magasins. Il est parvenu au cours des six premiers mois de son exercice commencé en mai dernier à faire mieux que le marché dans l’Hexagone avec une croissance de ses ventes de 2,7 % quand les ventes de ces produits en France ont reculé de 2,8 % sur cette période. Darty semble donc avoir réussi à combattre une conjoncture difficile pour la consommation française tout autant qu’il s’est affranchi de la menace internet. Son site lui permet d’offrir déjà des modèles low cost achetables uniquement sur internet pour contrer les sites dont le seul mérite aux yeux des consommateurs est le prix.
Croissance externe à bas prix
Cependant Darty veut pousser plus loin l’offensive sur la toile et c’est bien le sens à donner à son projet de rachat de Mistergooddeal qui demeurera une offre low cost dénuée de services. Le prix à payer est encore inconnu. Tout juste sait-on dans le communiqué diffusé par M6, le propriétaire du site d’e-commerce depuis 2005, que « les deux parties visent notamment à ce que l’accord n’ait pas d’impact en matière de trésorerie et les négociations devraient être finalisées dans les prochains mois ». On l’aura compris cette opération de croissance externe ne va pas coûter bien cher à Darty. M6 semble surtout soucieuse de se séparer à bon compte d’un foyer de pertes. Mistergooddeal.com a enregistré en 2012 un chiffre d’affaires de 128 millions d’euros pour des pertes évaluées entre 6 et 8 millions d’euros.
Pour le deuxième trimestre 2013, la croissance des ventes sur Internet est estimée par la Fédération du e-commerce et de la vente à distance (Fevad) à + 16 %. Toutefois, les ventes d’électroménager qui avaient fait les beaux jours des sites spécialisés lorsque le e-commerce a pris son essor dans l’Hexagone, ont fortement ralenti leur progression sur ce canal de distribution avec un rythme de croissance annuelle ramené à 7 %. Dans ces conditions, l’horizon d’un retour au profit de Mistergooddeal s’est éloigné. Sa capacité à créer du trafic, entre 2 et 4 millions de visiteurs uniques chaque mois, et une offre plus de 10.000 produits n’ont pas suffi à engendrer un business model pérenne pour ce site créé il y a 13 ans et qui emploie aujourd’hui 170 personnes.
La disparition programmée des « pure players »
Son rachat vient consacrer la disparition programmée des « pure players » de l’e-commerce qui n’ont pas atteint la taille critique à laquelle sont parvenus les mastodontes tel que Amazon (dont la profitabilité doit beaucoup à son optimisation fiscale !), après la procédure collective dont a été victime le site Pixmania et ses fondateurs, les frères Rosenblum qui se sont reconvertis dans la création d’une chaîne d’accessoire pour téléphone sous l’enseigne The Kase qui multiplie les ouvertures en France depuis quelques mois. Pourtant un regard amère sur leur expérience sur Internet Jean-Emile Rosenblum déclarait à notre confère Challenge en novembre dernier : « Ce que je n’ai pas aimé sur internet, c’est que l’on passe du jour au lendemain des Champs-Elysées à un trou perdu. C’est-à-dire de la deuxième position sur Google à la troisième page, parce qu’un rival a surenchéri sur les mots-clés, faisant grimper le coût d’acquisition des clients. A ce jeu-là, Amazon sera toujours le plus fort. Dans le retail, vous avez tous les jours votre emplacement sur les Champs-Elysées. Et c’est mieux pour construire une marque que d’acheter des Adwords (les mots-clés de Google, ndlr). »
La présence physique des enseignes booste les ventes
Internet a donc perdu la guerre face au commerce physique, ou du moins, pas plus que la vente par correspondance, la toile n’a-t-elle pas étouffé le commerce physique, car les enseignes présentes dans les rues commerçantes et les centres commerciaux ont su l’apprivoiser et en tirer le meilleur, à en faire un allié plutôt qu’un concurrent. Plus que jamais, les clients ont besoin de la proximité et de l’empathie des vendeurs qu’ils trouvent dans les magasins. Darty le sait bien ! Le groupe a pu récemment le mesurer en ouvrant une implantation à Rodez où ses ventes ont fait un bond de plus de 30% par rapport à celles qu’il réalisait sur son site…D’ailleurs, parallèlement à l’annonce du projet de rachat de Mistergooddeal, l’enseigne au « contrat de confiance » a affirmé son intention d’ouvrir 100 à 150 magasins en France pour couvrir les 30 % de la population qui résident actuellement à plus d’une demi-heure d’un de ses magasins. Pour cela, il compte séduire des indépendants ou des enseignes appartenant déjà à un petit réseau (sous les enseignes Connexion, Gitem ou Expert ) et en faire ses franchisés. Il en existe près de 2 000 dans l’Hexagone, et plus de 400 qui répondent aux critères de Darty.
Des boutiques non, des flagship oui !
Une stratégie qui a de quoi faire taire les Cassandre sur l’avenir des surfaces commerciales. Ce credo du commerce physique a de quoi rassurer les actionnaires des Sociétés d’investissement immobilier cotées comme Gecina qui vient d’accueillir la réouverture d’un magasin Darty dans le Centre Beaugrenelle qui a ouvert ses portes il y a un mois dans le quinzième arrondissement en attirant des enseignes comme Guerlain qui snobaient traditionnellement les galeries. Mais aussi de quoi rasséréner les associés des SCPI telle que Fructipierre qui loue à Darty son magasin du boulevard Saint-Germain dans le quartier latin. Les professionnels de l’immobilier ont bien compris que les enseignes jouaient gros avec leur présence physique. Le nouveau centre commercial Aéroville ouvert par Unibail-Rodamco dans la zone aéroportuaire de Roissy leur a offert un espace à même de jouer pleinement leur partition avec des hauteurs de vitrines dignes d’un centre-ville pour que leur présence dans ces galeries leur tienne lieu de flagship.
Christophe Tricaud
pierrepapier.fr