Le crowdfunding connaît un beau développement. Il représente encore très peu par rapport aux grands circuits de financement de l’économie ou de l’immobilier. Mais il est porté par la vague du digital et des réseaux sociaux.
Pour le lancement de son émission mensuelle « On n’arrête pas l’immo », sur les ondes de Radio Immo, Céline Mahinc avait reçu Guy Marty, le fondateur de pierrepapier.fr, pour mettre le crowdfunding immobilier en perspective. Dans l’histoire et la dynamique des innovations. Et par rapport aux autres types de placements immobiliers, comme par exemple les SCPI.
Voici quelques extraits de cet entretien.
Le crowdfunding immobilier s’inscrit dans le courant de la financiarisation de l’immobilier. Mais à quand remonte précisément la première grande innovation dans ce domaine ?
L’immobilier est une industrie « capitalistique ». En effet il faut beaucoup d’argent pour construire des immeubles, et aussi pour les adapter, les rénover ou les transformer. Il y a toujours eu pour l’immobilier un besoin de financement. C’est ce problème qui a donné lieu à de nombreuses innovations.
Le premier circuit moderne, la première innovation, ce sont les Foncières cotées. À partir des années 1850 il y avait les grands chantiers du baron Haussmann. Problème de financement ! Les emprunts émis par l’État ne suffisaient pas à répondre à la hauteur des enjeux. Il s’agissait de refaire les grandes villes de France, à commencer par Paris, Lyon et Marseille ! Les frères Pereire ont eu l’idée de s’adresser à la Bourse, non pas pour des aventures industrielles, mais pour une grande aventure immobilière. Ils proposaient de construire des immeubles, et de les conserver.
En se faisant financer par la Bourse, ils se tournaient en fait vers le grand public de l’époque. Il faut se souvenir qu’avant la première guerre mondiale il y avait en France 10 millions d’actionnaires. Et qu’il n’y avait que la Bourse pour « placer » son argent. Du « crowdfundibng » avant qu’on connaisse le mot ?
Historiquement, les Foncières cotées sont le premier élément de la pierre papier. Ensuite, au XXème siècle, dans les années 1960, il y a eu plein d’initiatives, une grande vague d’innovations
Avec, notamment la création des premières SCPI…
Il y a eu effectivement d’abord les fameuses « Civiles » qui deviendraient plus tard les SCPI. On allait chercher l’argent, par des publicités dans la presse, ou par démarchage direct, pour constituer des grands patrimoines avec de la petite épargne. Une sorte de « crowdfunding » de l’époque. Le problème de financement qu’il fallait résoudre alors était de proposer des bureaux en location, pour des entreprises qui ne pouvaient pas acheter.
Ensuite, l’appel à l’épargne n’était pas réglementé comme aujourd’hui, des petits cabinets ou des « conseillers financiers » rassemblaient de l’argent pour des projets. C’est l’un d’eux d’ailleurs, qui, tout en constituant une « Civile » devenue ensuite SCPI, a financé avec quelques clients les deux premiers immeubles de messieurs Dubrule et Pélisson. Eh oui, les tout débuts du groupe Accor !
En 1967, il y a eu une autre initiative, on dirait aujourd’hui innovation, les SICOMI (Sociétés immobilières pour le commerce et l’industrie). Vendues par démarchage au début, elles aussi auprès de la petite épargne, elles ont peu à peu été cotées. Le problème était que les banques ne prêtaient pas à long terme. Les entreprises ne pouvaient donc acheter ou construire leurs locaux, que si elles avaient un capital important. On a inventé les Sicomi, qui faisaient du crédit-bail, une sorte de location / acquisition progressive pour les entreprises.
Puis plus récemment, les OPCI…
Les OPCI, c’est plutôt le retour de la finance dans un secteur qu’elle n’aurait jamais dû laisser lui échapper. Il y avait les OPCVM, une belle innovation financière, mais ceux-ci n’achetaient que des titres, donc des obligations ou des actions. Avec les OPCI, on a enfin une sorte d’OPCVM qui achète des immeubles. Non plus OPCVM (avec VM pour valeurs mobilières) mais OPCI (avec I pour immobilier).
Quel est le point commun entre toutes ces innovations ?
Aujourd’hui on a donc les SIIC (qui viennent des Foncières et des Sicomi), les SCPI et les OPCI. Il y avait eu aussi entre-temps des Foncières spécialisées en logement, qui sont aussi devenues les SIIC, mais ce n’était pas une innovation, c’était une solution venue d’en haut, par des textes et des avantages fiscaux.
Les différentes innovations en termes de rencontre entre l »épargne et l’immobilier partagent toutes trois points :
- Une utilité économique forte
- Un besoin de financement, quand les circuits traditionnels n’y répondent pas suffisamment ou pas parfaitement
- Le recours à l’épargne du grand public… et d’ailleurs, celle-ci a bien suivi !
Le crowdfunding immobilier s’inscrit donc bien dans cette lignée. Peut-on dire qu’il est l’avenir des SCPI ?
Le crowdfunding comme successeur des SCPI, la question est énergique ! Mais il faut savoir de quoi on parle. Si le crowdfunding, c’est le nouveau mot pour collecte d’épargne auprès du grand public, et par les circuits du jour, alors les Foncières et les SCPI sont du crowdfunding dans la réalité, sinon dans l’appellation. Pourquoi pas ?
Mais vous voulez parler d’internet et des réseaux sociaux… Les SCPI ont déjà commencé à prendre le virage de la collecte en ligne et du « tout digital ». Elles progressent très vite dans cette voie. La partie du crowdfunding, au sens consacré, qui correspondrait aux SCPI, c’est le crowdinvesting. C’est bien la détention directe d’un immeuble, qu’on garde et dont on perçoit des revenus locatifs. Cependant, il n’y a pas encore la mutualisation sur de nombreux immeubles, qui est une caractéristique essentielle des SCPI.
En fait, les SCPI et le crowdfunding ne jouent pas dans la même cours de récréation en termes de placements. Avec la SCPI, on constitue progressivement un patrimoine, ou on l’optimise, ou on organise ses revenus pour la retraite. C’est du long, voire du très long terme. Avec le crowdfunding, on parle généralement de rentabilité sur 24 mois. C’est pour des investisseurs actifs. Les deux approches ne sont pas exclusives l’un de l’autre, mais les objectifs ne sont pas les mêmes. Et puis, la grille d’analyse rentabilité – sécurité – disponibilité ne donne pas des profils similaires.
Mais le crowdfunding immobilier reste une belle innovation…
En fait, je crois que la force profonde du crowdfunding, c’est de réaliser un vieux rêve, souvent formulé, et qui n’avait jamais marché jusqu’à présent. On parlait autrefois de « l’épargne de voisinage » qui aurait évidemment constitué une solution très efficace pour l’économie. Aujourd’hui, avec le « cloud » du « village mondial » on a peut-être enfin les moyens de réaliser un circuit court entre l’épargne et l’économie. Là, il y aurait un saut fantastique de productivité du capital ! Donc un soutien indéniable à une meilleure prospérité. Il y a effectivement une flamme nouvelle. De grandes espérances.
Curieusement, pour l’instant les arguments sont plutôt à l’ancienne, c’est-à-dire qu’on entend surtout parler de rentabilité. J’aimerais qu’on bascule vers la qualité, la performance énergétique, le verdissement et puis surtout la qualité de vie pour ceux qui vivront ou travailleront dans les immeubles. Ce serait une façon d’aller vraiment vers l’avenir avec une formule d’investissement nouvelle.
Voir aussi
L’avenir de l’immobilier… vu par Jules Verne
L’avenir de l’immobilier, un essai de prospective 2020 – 2050