Les plateformes françaises de crowdfunding immobilier vont sans doute être concurrencées par une myriade de jeunes entreprises étrangères qui, à la différence de nos acteurs nationaux, combinent plusieurs nouvelles briques technologiques et proposent de nouveaux modèles économiques. N’est-ce pas le moment, pour nos plateformes hexagonales, de devenir de véritables acteurs de la Real Estech[¹] ?
Les statistiques sont formelles : le crowdfunding immobilier a le vent en poupe… Les montants levés par les acteurs de ce marché en pleine croissance sont clairement en augmentation. Pourtant, selon les sources, la collecte aurait progressé de +72%[2]au 1er semestre 2018 (versus le 1er semestre 2017) ou, chiffre moins favorable, de seulement 16%[3]… Le nombre de projets financés s’embellit également, mais dans une mesure plus limitée que la collecte : +48% pour les uns, +12% pour les autres.
Développement plus limité qu’attendu
S’il semble que l’on puisse retenir les chiffres d’environ 120 projets financés et d’une collecte d’environ 60 M€ sur le 1er semestre 2018, ces résultats soulèvent des interrogations : ce nouveau mode de financement alternatif se développe, certes, mais dans des proportions plus limitées qu’attendues ou espérées. Avec une levée moyenne d’environ 500 000 € par projet sur les six derniers mois, un chiffre qui n’a guère progressé depuis 2016, le crowdfunding immobilier reste bien en deçà des plafonds autorisés (2,5 M€ en crowdequity, 1 M€ en crowdlending). Comment alors expliquer cet engouement limité ? Faut-il chercher la réponse du côté des investisseurs, des projets, de la réglementation, de la fiscalité ? N’est-ce pas, plus largement, le business modeldu crowdfunding immobilier qu’il faut repenser et ne faut-il pas s’interroger sur une éventuelle évolution nécessaire ?
Contexte réglementaire favorable
Les « messages » envoyés sont globalement positifs. Certes, le gouvernement s’oppose à l’abattement forfaitaire de 3 000 € sur les revenus perçus via les plateformes en ligne. Mais le projet PACTE pense à autoriser la détention de titres « issus » du crowdfunding dans le PEA-PME. Et, sans pour l’instant lui conférer une fiscalité particulièrement incitative, la nouvelle loi de finances semble clémente avec le crowdequity, en le faisant bénéficier de la flat tax[4] et en ne le soumettant pas à l’IFI, alors même que le sous-jacent du placement est, ici, immobilier. Enfin, les régulateurs ont récemment fait un pas supplémentaire dans le sens d’une plus grande reconnaissance du crowdfunding en cheminant, lentement, vers la validation du crowdinvesting. Le « problème » serait alors peut-être à rechercher ailleurs…
Séduisant, mais toujours risqué
Force en effet est de constater que l’ADN du financement participatif – financement par la « foule » – ne s’est pas encore profondément greffé sur les gênes des investisseurs français. Environ 2% de nos concitoyens ont aujourd’hui participé au financement d’un projet immobilier lancé par une plateforme[5]. La « foule » a beau être séduite par ce type d’investissement immobilier, grâce à son accessibilité (souscription en ligne, faible ticket d’entrée), son horizon de placement (moins de 20 mois), et sa rémunération attractive (+9,6%, en moyenne[6]), celui-ci reste un placement « risqué ». Et les Français continuent globalement d’avoir de l’aversion pour le risque… Pourtant – alors qu’aujourd’hui plus que jamais, le législateur veut orienter l’épargne des Français vers l’économie réelle – les intermédiaires, courtiers, ou conseils pourraient tenir un rôle plus actif en termes d’accompagnement de l’épargne vers cette économie réelle et concrète, qui, de plus, est recherchée par les particuliers. Encore faudrait-il que législateurs et régulateurs confortent les intermédiaires dans cette voie, en leur confirmant la faisabilité légale d’apport d’affaires.
Des porteurs de projet encore à convaincre ?
Le financement participatif a su séduire certains promoteurs immobiliers, essentiellement via des opérations de refinancement de fonds propres[7] et donc via une possibilité d’accroissement de la vitesse de mise en œuvre de nouvelles promotions. Mais les plateformes semblent encore avoir trop peu de projets à soumettre. Pourtant, dès 2016, on a pu constater une évolution dans la typologie de projets[8] : à la promotion résidentielle se sont ajoutées des opérations de marchand de biens, d’aménagement, de commerce, d’hôtellerie, de logistique ou de bureaux… Un élargissement qui n’a visiblement pas suffi à couvrir les besoins d’une demande en progression, notamment en raison de l’entrée sur le marché des investisseurs institutionnels, enà la recherche de rendement. Si cette intrusion revêt certains avantages, car elle est de nature à rassurer et à sécuriser les investisseurs particuliers, on peut déplorer un manque de transparence de la majorité des plateformes en ce qui concerne le niveau réel de la participation des investisseurs professionnels dans les projets financés…
En tout état de cause, cela pourrait expliquer tout l’enthousiasme à vouloir relever le plafond des levées de fonds à 8 M€[9], et ainsi à donner accès au financement de nouvelles catégories de projets immobiliers.
Un objectif de collecte de 200 M€ sur 2018 ?
Ainsi le crowdfunding, peut-être à marche forcée, semble s’écarter de sa définition originelle, et profiter de nouvelles typologies d’investisseurs et de projets. Cependant, d’autres éléments peuvent venir contrarier le développement du nombre de projets financés : les contraintes du marché de l’immobilier. Car il faut également tenir compte de ce point essentiel qu’est le dynamisme du sous-jacent. Or, selon le ministère de la Cohésion des territoires, le 1er semestre 2018 est marqué par un assèchement de l’offre, avec une baisse des mises en chantier et une diminution des constructions autorisées. Un climat qui n’est pas de nature à résoudre la problématique du sourcing des projets à financer… On peut en revanche espérer que la diversification des typologies de projets continue à œuvrer. De ce point de vue, le projet de loi ELAN représente une opportunité pour les marchands de biens puisqu’il prévoit (i) d’ajuster les normes techniques pour faciliter les opérations de reconversion de bureaux en logements, (ii) de remplacer la demande de permis de construire par une autorisation de travaux, (iii) d’introduire un bonus de constructibilité de +30% pour assurer l’équilibre économique de l’opération, et enfin, suivant les cas (iv) de ne pas rendre nécessaire la quote-part de 25% de logements sociaux.
Une nouvelle concurrence
D’autres facteurs, au-delà du cadre national, doivent également être pris en compte : le plan d’action FinTech de la Commission européenne, qui prévoit la création d’un statut pan-européen. Cette nouvelle réglementation pourrait permettre l’arrivée sur le marché français des Contech – start-ups technologiques liées à la conception, au chantier de construction ou de rénovation d’un bien immobilier – et des Proptech – start-ups liées à la commercialisation, gestion et utilisation d’un bien immobilier – étrangères, beaucoup plus développées que les plateformes françaises. Ce qui constituerait pour ces dernières – qui souffrent d’une surcapacité, d’une fragmentation de l’offre, et se différencient actuellement très peu les unes des autres – un danger immédiat mais sans doute salvateur à terme. Les plateformes françaises decrowdfundingimmobilier, qui ont certes bouleversé la chaîne de valeur du secteur de l’immobilier, vont donc désormais être concurrencées par une myriade de jeunes entreprises qui, à la différence de nos acteurs nationaux, combinent plusieurs nouvelles briques technologiques (du BIM ou building invesment modeling, à la blockchain, en passant par les asset back token) et proposent de nouveaux modèles économiques. N’est-ce pas le moment, pour nos plateformes de crowdfunding, de devenir de véritables acteurs de la Real Estech ?
[1]Ensemble de la chaîne de valeur du secteur immobilier, du financement à la construction en passant par la gestion (property) comme l’occupation.
[2]Source Fundimmo : 85 projets financés au S1 2017 avec 36 M€ de collecte, versus 126 projets/62 M€ au S1 2018.
[3]Source Hellocrowdfunding : 108 projets financés au S1 2017 avec 50M€ de collecte, versus 120 projets/58 M€ au S1 2018.
[4]30% = 17,2% + 12,8% de prélèvements sociaux.
[5]Enquête Financement Participatif France, le Crédit municipal de Paris et la Banque postale, réalisée par l’agence GMV Conseil (2018) : 70% des Français ont déjà entendu parler de financement participatif, mais seulement 36% de crowdfunding ; seuls 16% des sondés répondent avoir déjà contribué à un projet de crowdfunding, dont 82% en dons. Et selon le baromètre KPMG pour Financement Participatif France (2018) : 261 millions d’euros ont été récoltés pour des projets à caractère économique (immobilier, commerce et services, environnement (soit environ 77% des montants collectés, NDRL).
[6]Sources: hellocrowdfunding.com et etudecrowdimmo.fr.
[7]Etude « Le crowdfunding immobilier : son fonctionnement, ses enjeux, ses défis », C. Magnier-C. Mahinc, déc. 2015.
[8]Etude « Entre attractivité et risques : quel avenir pour le crowdfunding immobilier ? », C. Magnier-C. Mahinc, juin 2017.
[9]Nouveau règlement Prospectus : projet d’un relèvement à 8 millions d’euros du seuil national en dessous duquel une offre de titres financiers ne donnerait pas lieu d’établir un prospectus européen.