Les tensions sur les taux d’intérêt ont eu raison de la surperformance des foncières cotées en début d’année. Pour les mois qui viennent, le marché devrait évoluer au rythme des annonces de la Fed qui a laissé craindre un arrêt prématuré de ses interventions sur les marchés obligataires. Les fondamentaux des SIIC restent bons.
Une fois n’est pas coutume ! Les foncières cotées ont fait moins bien lors du premier semestre 2013 que l’ensemble de la cote parisienne. L’indice IEIF SIIC France a terminé le semestre sur une note négative de 2,47 % alors que l’indice Euronext CAC Alltradable (ex SBF 250) a affiché un gain de 2,47 %. La différence est sensible : près de 5 points de pourcentage. Elle est en partie gommée, si on prend comme référence les indices coupons réinvestis, puisque les SIIC repassent alors dans le vert avec une avancé de 1,72 tandis que l’indice CAC Allatradable voit sa performance passer à 5,35 %. En effet, le rendement brut de 5,80 % en rythme annuel procuré par le dividende des Sociétés d’investissement immobilier cotées (SIIC), qui sont tenues par leur statut de transparence fiscale de distribuer 85 % de leur bénéfice, comble une partie de l’écart quoi que le rendement de l’ensemble de la cote soit aujourd’hui proche de son record historique à près de 4 %. C’est un pic historique si on compare ce dernier au rendement des emprunts d’Etat Français (OAT) à 10 ans, malgré sa vive remontée au cours des 3 derniers mois, à 2,32 %.
La faute à la Fed
C’est justement la brusque tension intervenue sur les emprunts d’Etat qui a motivé le renversement de tendance qui avait vu les SIIC surperformer le reste de la cote parisienne au cours des 3 premiers mois de 2013. Le rendement des OAT 10 ans a repris 66 points de base (0,66 %) depuis son plus bas du début du mois de mai. C’est Ben Bernanke le président de la banque centrale américaine qui a mis le feu aux poudres en instillant auprès des investisseurs le doute sur la fin prématurée de sa politique de « quantitative easing » par laquelle il intervient sur les marchés en maintenant les taux longs artificiellement bas. Sans passer encore à l’acte, le patron de la Fed a mis à mal la certitude dans laquelle se complaisaient les investisseurs sur une durée indéterminée mais à coup sûr à l’échéance lointaine de cette politique monétaire non orthodoxe. Peu importe, le mal est fait, la confiance des investisseurs en a pris un coup. Si Ben Bernanke a agi pour montrer aux membres du conseil de la Fed les plus récalcitrants à sa politique les effets que ne manquerait pas d’avoir un brutal arrêt de ses interventions sur les marchés obligataires, il a réussi son coup. Dans le genre « retenez moi ou je fais un malheur ! », ce paysan madré a peut-être réussi à faire taire les critiques dans son conseil, mais les taux d’intérêt et par un ample ricochet les actions en ont fait les frais. Peut-être à tort car les effets de la simple menace du retour à l’orthodoxie ayant été tellement nets, les investisseurs peuvent maintenant penser qu’avant de passer à l’acte la Réserve Fédérale se devra d’être convaincue qu’aucun risque de rechute de l’économie de l’oncle Sam n’est plus possible. Il faudra en effet que l’économie affiche une robustesse à toute épreuve pour pouvoir se désintoxiquer sans dommage de la puissante drogue qui lui a permis de tenir malgré l’aversion au risque des banques et des investisseurs apparus dans le sillage de la chute de la Banque Lehmann et la crise des subprimes.
Retour sur les fondamentaux des foncières
Cette cause du retour de la volatilité sur les marchés actions étant identifiée, on comprend bien pourquoi les SIIC ont été plus exposées que d’autres valeurs industrielles. Leur endettement rapporté à la valeur de leur patrimoine a certes baissé au cours des derniers exercices. Leur ratio « Loan to value » est revenu en moyenne sous les 45 %, mais leur sensibilité à l’égard du niveau des taux reste forte. D’autant que la valeur des immeubles de leur patrimoine dépend elle aussi, en fonction des taux d’actualisation retenus, du niveau des taux d’intérêt. La désillusion est d’autant plus grande que c’était la baisse des taux au cours des 18 mois précédents qui avait constitué, avec la baisse de l’aversion au risque des investisseurs, le principal booster de la remontée de leur cours de Bourse. Fort heureusement, il n’y a pas encore trop à craindre de ce côté-là tant les experts immobiliers ont fait montre de prudence dans leurs récents exercices de réévaluation des actifs nets réévalués. Dans ce contexte, les analystes financiers reviennent sur les fondamentaux. Et pour les foncières comme pour toutes les autres sociétés cotées, ils apprécient la capacité des foncières à croître en créant de la valeur pour les actionnaires. Track-record des dirigeants et pipelines de projets sont scrutés avec attention. Tout comme les restructurations de certains groupes et leur capacité à lever de l’argent à bon compte, soit sous forme d’actions, soit sur le marché obligataire, soit également en recourant à la démultiplication de leurs moyens que permet la gestion de fonds pour compte d’autrui, à l’image des initiatives prises par Icade, Foncière des Régions, Paref ou par Frey.
Le jeu de l’’indexation compense des renégociations de baux difficiles
Car pour le reste, l’évolution des fondamentaux des foncières cotées en Bourse reste solide. La vacance a peu augmenté car le stock d’immeubles reste contraint par la faiblesse des constructions nouvelles de ces dernières années. La prime des rendements des SIIC reste très confortable face à celui des OAT 10 ans, même après la remontée de celui-ci. Et qu’importent des renégociations de baux en baisse de 15 % lorsqu’ils arrivent à terme quand cela porte sur moins de 15 % du patrimoine et que le jeu des indexations des loyers permet une croissance des revenus de l’ensemble des autres baux entre 1,5 à 2,5 % par an. Dans l’immobilier commercial, Internet menace toujours. Cependant les enseignes ont compris qu’elles ne pouvaient se passer de flagship et de présence physique auprès de leurs clients. Quant au « mur de la dette » que certains observateurs agitaient tel un spectre pour douter des capacités de refinancement des SIIC, il s’est révélé un chiffon de papier. Ce vendredi 5 juillet encore Foncière Lyonnaise (SFL) a annoncé avoir signé un crédit revolving syndiqué de 400 millions d’euros d’une durée de cinq ans in fine. Ce nouvel emprunt, qui vient remplacer le crédit de 300 millions d’euros signé en octobre 2009 avec les mêmes banques, permet au groupe immobilier d’augmenter sa liquidité immédiatement disponible tout en allongeant la maturité moyenne de sa dette et en réduisant sensiblement sa marge de financement. L’accès au marché obligataire (6,5 milliards d’euros levés par les foncières françaises en 2012) est pour sa part venu contrer la frilosité des banques désireuses de moins s’exposer au crédit immobilier.
Le parachute des décotes
L’évolution récente des cours de Bourse a aussi mis en évidence la prise en compte par le marché des importantes décotes qui subsistent dans nombre de SIIC. Elles ont joué le rôle de parachute à la baisse. Comme le rappelait Laurent Gauville dans un entretien à Pierrepapier.fr (6 juin 2013), il faut se méfier des effets d’optique que crée notamment la surcote du leader européen Unibail-Rodamco. Selon le gérant du fonds immobilier 21 « une analyse concentrée sur un petit nombre de valeurs peut conduire à conclure que le secteur ne décote plus, mais si on prend l’ensemble du secteur immobilier zone euro (64 valeurs), la décote des cours de Bourse sur la valeur d’actif net réévalué (ANR) ressort encore à 13 % sur l’ANR de liquidation et de 23 % sur l’ANR de reconstitution. Mais si vous vous cantonnez aux dix plus grosses capitalisations boursières du secteur, la décote n’est plus de 1 % sur les ANR de liquidation et de 9 % sur les ANR de reconstitution. En revanche, les 54 valeurs qui suivent conservent une décote significative de 28 % sur leur ANR de liquidation ».
C’est ainsi que Paref n’a reperdu que 3 % sur son plus haut de l‘année et conserve un gain de 22,8 %, que Cegéreal n’a cédé que 7,5 % et s’adjuge encore 16,9 % depuis le 1er janvier. Bonne résistance également de SFL (-4,2% sur le record de l’année) en hausse de 11 % depuis le début 2013 et d’ARGAN qui après avoir reperdu 4,4 % garde un gain de 10,4%. A l’opposé, Unibail-Rodamco a reperdu 16 % depuis son pic de l’année, mais à 179,65 euros son titre conserve une surcote enviable sur sa valeur d’actif net réévalué (138,40 euros en triple net).
Tôle ondulée
Et maintenant que faut-il attendre ? On a vu que la Fed n’était pas encore prête à passer aux actes. Tout dépendra donc des mouvements dans la perception de ce risque sur les politiques monétaires. On a vu jeudi comment à l’aide quelques paroles de Mario Draghi le président de la Banque Centrale Européenne a redonné du cœur à l’ouvrage aux investisseurs (le CAC 40 a gagné 2,90 % le 4 juillet). Il a simplement expliqué que « le Conseil des gouverneurs s’attend à ce que les taux de la BCE restent à leur niveau actuel ou plus bas pendant une période de temps prolongée ». « Période de temps prolongée » : une formule magique dans le contexte actuel. On peut donc s’attendre à connaître des à-coups dans les deux sens pour les mois qui viennent. Les économistes de Primeview ont choisi la métaphore de la « tôle ondulée » pour caractériser les prochains mois. Jolie formule ! Pas très confortable malgré tout.
Christophe Tricaud
Rédacteur en chef – pierrepapier.fr