La juridiction considère que le coût des dépenses fiscales en faveur de l’investissement locatif – les dispositifs Pinel et autres Scellier – est trop élevé. Elle met en doute leur efficacité et en recommande la suppression progressive, au profit de mécanismes « visant à renforcer la place des investisseurs institutionnels dans la construction et la location de logements privés »…
Le dernier référé de la Cour des comptes, rendu public le 10 avril, n’est pas tendre avec les dispositifs fiscaux en faveur de l’investissement locatif… Didier Migaud, le premier président de la juridiction, a adressé le 17 janvier dernier une missive au premier ministre Edouard Philippe dans laquelle il lui « recommande » la suppression « progressive » -mais totale- du mécanisme Pinel reconduit par la dernière loi de finances.
Des dépenses fiscales trop coûteuses… – La Cour des comptes s’est en effet penchée sur le coût passé et futur des dépenses fiscales en faveur de l’investissement locatif. Le montant annuel des réductions d’impôt sur le revenu accordées aux bénéficiaires de ces dispositifs est en progression constante, passant de 606 M€ en 2009 à 1,7 Md€ en 2015. Leur coût « générationnel » – c’est-à-dire le montant cumulé des réductions d’impôts consenties sur la durée de mise en location (de 6 à 15 ans) ouvrant droit à l’avantage fiscal – est encore plus élevé. Selon les calculs de la Cour des comptes, le coût générationnel du Scellier devrait atteindre 3,9 Md€ à l’horizon 2024. Celui du Pinel, 1,6 Md€, et jusqu’à 7,4 Md€ à l’horizon 2035 si ce dernier dispositif est reconduit en l’état, comme le prévoit la loi de finances 2018.
… à l’efficacité contestée – Surtout, la juridiction met en cause l’efficacité de ces dispositifs. Même si elle reconnaît qu’ils ont pu avoir un effet contracyclique durant certaines périodes (2009-2010), leur impact sur l’activité de construction – environ 10% de la production annuelle – est selon elle loin d’être avéré, « en l’absence de travaux économiques réellement conclusifs ». Scellier et Pinel n’auraient pas non plus l’effet escompté sur l’augmentation de l’offre locative et la modération des loyers, notamment parce que les logements construits sous leur égide ne sont pas situés dans les zones où les besoins sont les plus criants. Comparant ces dispositifs à d’autres aides fiscales de l’Etat, la Cour des comptes en arrive à la conclusion que le coût annuel d’un « logement Pinel » serait de deux à trois fois plus élevé pour les finances publiques que celui d’un logement social comparable, alors même que la durée de location de ce dernier est « bien supérieure à 40 ans ».
Des recommandations radicales– Enfin, last but not least,la juridiction achève son procès à charge en constatant que les avantages fiscaux incriminés sont « accordés sans contrôle satisfaisant », et que leur gestion ne repose pas « sur une connaissance des résultats de ces dispositifs ». La cause étant entendue, le premier président Didier Migaud formule en conséquence deux « recommandations » précises et lapidaires. Il demande, d’une part, la mise en œuvre de « dispositions transitoires permettant une sortie progressive et sécurisée des dispositifs récemment reconduits ». Et suggère la mise en place « de mesures visant à renforcer la place des investisseurs institutionnels dans la construction et la location de logements privés ». Une recommandation qui ne manquera pas d’être entendue par ces investisseurs dont la part dans ce type d’actif « alternatif » est déjà en progression ces deux dernières années (2 Md€ en 2016, 2,5 Md€ en 2017, selon Cushman & Wakefield), en raison notamment d’une remontée des taux de rendement du résidentiel depuis 2015.
Frédéric Tixier