L’explosion du télétravail change la donne : logements, bureaux, il faudra changer de modèle.
Comme toujours quand il se passe quelque chose d’inattendu, on peut se rendre intéressant en annonçant des catastrophes et des malheurs. Ou défendre ce en quoi on a toujours cru. Ces deux attitudes permettent d’alimenter les débats d’aujourd’hui. Mais à quoi ressemblera l’avenir ?
Essayons d’y voir clair.
- Que signifie en pratique le développement du télétravail ?
- Comment et dans quelle mesure le marché des bureaux est-il menacé ?
Quelques surprises nous attendent…
Le coronavirus a enfanté le télétravail
La formule est un peu lapidaire. Pourtant, l’activité à distance est soudain devenue une réalité majeure, alors qu’elle était une pratique relativement marginale dans le « monde d’avant ».
Ce qui s’est passé est compréhensible. Près de la moitié de la population de la planète a été confinée pendant quelques semaines. Il a bien fallu vivre et travailler dans ces conditions exceptionnelles.
Or le digital était là. Tout le monde y a plongé.
Auparavant, on se demandait si telle catégorie d’employés pourrait, dans telles circonstances, évoluer vers une activité à distance plus ou moins complète… Et soudain, même les dirigeants et cadres supérieurs ne pouvaient être que chez eux, jour après jour !
Le travail chez soi était déjà vécu par quelques-uns, mais il était encore vague et potentiel pour la grande majorité des gens. Il s’est transformé en expérience pratique pour tous, le temps d’un stage intensif à la maison…
Le télétravail aurait pu prendre de nombreuses années pour s’intégrer dans la vie économique. Notre société aurait évolué d’une certaine façon. Mais le choc inouï que nous venons de connaitre a tout changé. Ce n’est pas le monde d’hier qui va évoluer plus vite, c’est un monde différent qui est né.
Pris en otage par les media !
Mais « avant » ou « après », il y a quelque chose qui ne change pas : la multiplicité des canaux d’information.
Media traditionnels, chaînes d’information en continu, internet, réseaux sociaux, sont sans cesse à la recherche de nouveaux sujets « d’actualité ».
De quel thème la vorace machine à communications pourrait-elle s’occuper ? Ah, voici un morceau de choix : le digital contre l’immobilier ! Et c’est parti ! Émissions, débats, posts, tweets, articles, interviews, rivalisent de formules brillantes, d’analyses intelligentes et d’opinions fortes.
« Le télétravail va tuer les bureaux. Pour ? Contre ? »
Aujourd’hui ou demain ?
C’est le propre de l’actualité de grossir l’instant présent. Ce qui se passe juste aujourd’hui conditionne les analyses et les débats.
Pour l’instant, notre société est encore sous le choc. L’épidémie est sur le déclin, mais elle marque encore les esprits. On ne sait pas encore s’il y aura ou non une deuxième vague. La vie reprend progressivement. Peut-on vraiment anticiper les équilibres futurs à partir de ce que nous avons sous les yeux dans ce moment transitoire ?
Personne ne sait encore comment va se passer la reprise, quels comportements individuels auront durablement changé, à quoi ressemblera la vie, économique, sociale ou internationale, après cette expérience inouïe que nous venons de vivre.
Le rôle croissant du digital est mis sous les feux de l’actualité, ce qui favorise les prises de position simples, voire simplistes. Le séduisant l’emporte sur le pertinent. Alors qu’il est nécessaire de prendre en compte les tendances longues et les forces à l’œuvre.
Nous allons donc examiner successivement :
- L’évolution de l’emploi en France
- Ce que l’expérience du confinement a introduit de nouveau.
- Les conséquences à attendre pour le marché immobilier.
Comprendre les chiffres de l’emploi
On sait que l’économie, surtout agricole et industrielle au milieu du 20ème siècle, est aujourd’hui majoritairement composée de services.
Cela veut dire, ni plus ni moins, qu’un nombre extraordinaire d’emplois ont été détruits. Et qu’un nombre non moins extraordinaire, mais différents, ont été créés.
Le confinement, lié à l’épidémie du Covid-19, ne modifie rien de fondamental à ce qui est une vague de fond : la mutation constamment renouvelée de l’emploi.
Primaire, secondaire et tertiaire
En 1962 l’agriculture, l’industrie et la construction occupaient plus de 57 % de la population active en France. En 2019, le pourcentage était de 22 %. Le reste des emplois, donc moins de la moitié au début des années soixante et près de 80 % aujourd’hui, sont dits « tertiaires ».
Encore faut-il s’entendre sur cette appellation bien curieuse de « secteur tertiaire ». La classification en trois grands secteurs date du lendemain de la seconde guerre mondiale. La vision de l’époque distinguait en effet trois catégories d’activités :
- Celles dont les gains de productivité étaient achevées.
- Les activités qui recelaient des progrès de productivité, donc qui portaient tous les espoirs d’enrichissement de la société et d’élévation du niveau de vie.
- Enfin celles qui par nature n’avaient aucun lien avec la notion de productivité. On citait pour l’exemple une symphonie de Mozart et le coiffeur : dans les deux cas, il n’était ni possible ni souhaitable d’aller plus vite pour la même prestation !
Ce principe de classification était intelligent. On l’utilisa pour construire l’appareil statistique.
- Dans le primaire, avec l’idée qu’il n’y aurait plus de gains de productivité, on mit l’exploitation des ressources de la terre : agriculture et extraction minières.
- Le secondaire était le secteur d’avenir. On y mit la transformation des matières en biens consommables, où le progrès technique soufflait en permanence : l’industrie.
- Et puis le reste, tout le reste, dont on supposait l’absence d’amélioration possible. Le commerce, l’enseignement, la banque et l’assurance, les transports, la restauration, les soins médicaux, l’administration, les loisirs…
Et l’on pensait que si le secteur secondaire utilisait majoritairement des usines, le secteur tertiaire occupait toutes sortes de locaux : écoles, murs de magasins, hôpitaux, salles de cinéma… Simple.
L’économie a déjoué les prévisions
On sait aujourd’hui que l’on avait tout faux !
C’est le secteur tertiaire, pensé par définition comme inerte, qui a finalement véhiculé les avancées les plus marquantes.
L’essentiel de l’économie d’aujourd’hui, près de 80 %, appartient à ce qui était conçu au départ comme un fourre-tout négligeable pour la prospérité !
La distinction entre primaire, secondaire et tertiaire n’est donc plus adaptée. La distinction entre agriculture, industrie et services non plus ! Par exemple, nombre d’usines ont été délocalisées hors de France, et les sociétés industrielles ont renforcé leur sièges sociaux pour les nombreuses fonctions de supervision des productions et livraisons, de conception, de marketing. Moins d’usines, plus de bureaux… dans le secteur industriel !
Surtout, les emplois mis en statistiques comme « secondaires » ou « industriels » désignent des postes que l’on trouve aussi bien dans le secteur « tertiaire ». Les départements de comptabilité se ressemblent étrangement quel que soit le « secteur », tout comme les départements de marketing ou des relations humaines.
Oublions donc les secteurs, et intéressons-nous aux emplois « de bureau », ceux justement qui peuvent être partiellement transférés au domicile. On en dénombrait 3,9 millions en 1970, soit 18% de l’emploi total. En 2019, ces chiffres étaient de 8,6 millions… et 31 % [1] !
Ce que le confinement a appris aux salariés et aux entreprises
Cet évènement inouï, que personne n’avait imaginé, a imposé d’un seul coup et à grande échelle une façon différente de vivre et de travailler.
Salariés : travailler chez soi
Pour mieux comprendre ce qui s’est passé, prenons l’exemple du e-commerce. Une révolution ! Oui, mais on a eu le temps de s’y accoutumer. Personne n’y était obligé, on pouvait garder ses anciennes habitudes tout en goûtant un peu, de temps en temps, puis de plus en plus, à cette nouvelle possibilité. Aujourd’hui le e-commerce est entré dans les pratiques. Chose intéressante, s’il a déstabilisé le commerce traditionnel et l’a forcé à se renouveler, il ne l’a pas tué. Mutation profonde, rapide, mais sur plusieurs années.
Il en va différemment avec le digital comme moyen essentiel de communication. Pendant le confinement, on ne pouvait faire autrement ! Pas d’alternative.
Les deux mois d’interdiction de déplacement, donc de proximité dans les échanges, ont été vécus de différentes façons.
- Certaines personnes ont trouvé cela formidable. Finies les longues heures de transport, plus de repas à la cantine ou dans les brasseries, adieu les horaires imposés. Pour les chanceux, c’était même le bonheur à la campagne.
- D’autres ont vécu cela comme une expérience pénible, voire un drame. Le logement ne s’y prêtait pas, ou les conditions familiales. Ou bien, ils ne pouvaient pas supporter de ne pas rencontrer leurs collègues ou de ne pas travailler en équipe.
- Enfin, un certain nombre de salariés ou indépendants ont apprécié cette parenthèse, tout en souhaitant reprendre, à des degrés divers, une vie moins éloignée de celle d’avant.
La psychologie personnelle et les conditions matérielles ont évidemment joué pour une large part dans ces différentes réactions.
Ce qui est néanmoins fascinant, c’est que nous avons tous été plongés dans une sorte de stage intensif. Nous sommes tous de brillants diplômés en télétravail ! Chacun sait ce que c’est, en connait les avantages et les inconvénients pour lui-même, et a un avis sérieux sur ce qu’il souhaite en fin de compte.
Les entreprises : ce qui va changer
Pour elles aussi, le confinement a été une expérience. Dont elles ont tiré plusieurs leçons.
- D’abord, le digital est plus opérationnel qu’on ne le pensait. De nombreuses réunions ont pu se tenir alors que chacun était chez soi. Bien des dossiers urgents ont pu être traités, puis transmis à qui il fallait. Les allers et retours sur des questions importantes n’ont finalement pas été plus difficiles par internet et téléphone qu’ils ne l’auraient été si tous les salariés avaient été « en présentiel ».
- Ensuite, oui, les échanges directs gardent une valeur précieuse. Les visio-conférences n’ont pas la spontanéité, l’ambiance, la réactivité, des réunions en réel. Mais le point de vue sur les réunions et rencontres a considérablement évolué. Les gens peuvent rester assez souvent chez eux, en tout cas bien plus qu’on ne l’imaginait.
- Par ailleurs, on aperçoit des avantages éventuels. Si des salariés peuvent effectuer une partie de leurs missions chez eux, il sera plus facile pour une entreprise de gérer une phase de développement. Déménager est compliqué. Pouvoir croître en personnel avec le même nombre de mètres carrés est une souplesse précieuse.
- Enfin, la réduction des coûts a vu s’ouvrir devant elle de nouveaux horizons… Imaginez une grande société qui a mis au chômage partiel ses employés, par exemple de la comptabilité ou des relations humaines. Surprise. Une partie du travail a quand même pu être faite ! Certains logiciels ont pris le relais. Ils étaient là, ils assumaient habituellement une partie des tâches, mais ils n’avaient pas été sollicités au plein de leurs capacités. La tendance à l’utilisation du digital et de l’intelligence artificielle était bien connue. À la suite de l’expérience du confinement, on peut s’attendre à une vive accélération de cette tendance.
Le télétravail à temps partiel sera le grand gagnant
Une évidence s’impose. L’activité à distance va connaître un développement fantastique, sous la forme d’une partie du temps à la maison et d’une autre partie dans l’entreprise.
Améliorer les conditions de travail
Les avantages apparaissent clairement à nombre de salariés. Le terrible trajet domicile-travail devient moins pénalisant. Mises bout à bout, toutes les heures gagnées représentent un temps considérable. La vie de famille ne peut qu’en bénéficier. L’organisation avec les enfants peut se trouver facilitée. On passe plus de temps chez soi, et on maintient les contacts, la vie et les échanges avec les autres. Psychologiquement, il est plus facile pour certains de travailler à la maison… si ce n’est pas en permanence.
Rien n’est jamais parfait, mais après le tout bureau, après le tout à la maison, le télétravail partiel correspond sans nul doute à un meilleur équilibre de vie.
Préserver la dynamique
Pour les sociétés petites ou grandes, le digital et le virtuel se présentent aussi comme une solution intéressante. Pourquoi demander à tous les employés d’être présents en permanence ? Pour quelques réunions importantes, oui. Mais pour d’autres, peut-être plus fréquentes, une visio-conférence est parfaitement suffisante.
Le management reste possible même si une grande partie des tâches réalisées par les collaborateurs ne se font pas sur place. L’alternance présentiel / virtuel permet de maintenir l’ambiance et les échanges, laisse toute sa place au leadership quand il est souhaitable, et préserve la qualité des relations humaines.
Et quelle réduction de coûts en perspective ! Pour une fois sans réduire le personnel…
Défendre l’environnement et la santé
Une certaine généralisation du travail à distance est intéressante aussi pour les enjeux de la collectivité. Moins de transports ? La consommation de carbone va diminuer. Moins de temps passé dans les transports ? Assurément moins de fatigue, moins de stress, donc un atout pour la santé. Quelques pas dans la bonne direction.
Le « tout télétravail » n’est pas l’avenir
Quant au « tout chez soi », il n’est pas généralement souhaité par bien des salariés. Pour des raisons très diverses selon les hommes ou les femmes à qui l’on pose la question.
Et je vais être très brutal : c’est l’antichambre du chômage. Comment pensez-vous qu’une personne sera armée, après trois ou quatre ans de « vie professionnelle » chez elle, si les conditions changent et qu’elle doit chercher un nouveau « job » ? Quels seront ses contacts, ses relations, comment sera-t-elle « branchée » sur la vie des sociétés qui pourraient à nouveau l’employer ?
Dans certaines métiers, cela peut s’envisager. Mais le risque est grand, pour une raison qu’il ne faudrait pas perdre de vue. On met des années pour s’intégrer dans la vie professionnelle. Ensuite, il est facile de modifier l’équilibre, de quitter la vie avec les collègues et de travailler chez soi. Mais une fois à la maison pendant des années ? Cela pourrait correspondre à la définition d’un piège : facile d’y entrer, difficile d’en sortir.
Et puis, soyons réaliste. Une startup peut-elle se créer par quelques visio-conférences ? Une petite entreprise peut-elle vraiment fonctionner s’il n’y a pas des échanges, des contradictions apportées, de l’enrichissement par le dialogue, au fur et à mesure des situations qui se présentent ?
Or il ne faut pas oublier que la très grande majorité des nouveaux postes sont créés dans les sociétés petites ou de taille relativement modeste. Les très grandes occupent l’attention des media, mais elles sont plutôt du côté de la réduction du nombre d’employés. Alors, si le télétravail dans tel ou tel grand groupe fait la une, n’en déduisons surtout pas que l’avenir de l’emploi est dans cette direction…
Donc l’activité à distance, en complément de celle effectuée sur place, va se développer dans des proportions importantes.
Que vont devenir les bureaux ?
La location de bureaux date du début des années soixante. Auparavant les emplois « de bureau » étaient le plus souvent dans l’atelier ou dans l’usine, ou dans les locaux de l’administration. Dans les banques aussi. Mais il fallait généralement être propriétaire.
Informatique, publicité, organisation des ventes, conseils, l’économie penchait doucement vers les services, et vers la société de consommation. De nouvelles sociétés se créaient. Or, les crédits à long terme n’existaient pas, le crédit-bail pas encore. Seul un marché locatif pouvait accompagner les nouvelles activités qui ne demandaient qu’à se développer.
Les investisseurs sont entrés dans le jeu, les promoteurs aussi. Un cercle vertueux s’est mis en place entre création de plus en plus d’emplois « de bureau » et les nouveaux immeubles proposés pour y répondre.
Déjà cinq crises…
Ce qui devait arriver arriva, on se mit à construire avec enthousiasme. Quand le choc pétrolier de 1974 frappa l’économie mondiale, on se retrouva soudain avec des constructions toutes neuves, vides. Première crise. Il fallut plusieurs années pour retrouver l’équilibre. Puis il y eut l’élection de François Mitterrand en 1981 qui fut suivie dans les premiers temps par un ralentissement économique. De nouveau une crise des bureaux au début des années quatre-vingt. La deuxième.
Mais la transformation de l’économie poussait. Les immeubles se sont à nouveau remplis, puis de nouveau les entreprises, d’ailleurs de plus en plus nombreuses, ont eu besoin de plus de surfaces adaptées à leurs activités. Le rythme de construction n’arrivait pas à suivre la demande. Pour une raison bien française : toute construction était soumise à des autorisations administratives préalables et relativement lentes.
Et puis, en 1985, la procédure d’agrément préalable a été purement et simplement supprimée. Les promoteurs pouvaient construire plus libéralement. Ils s’en donnèrent à cœur joie. Plus ils construisaient de bureaux, plus ceux-ci étaient pris d’assaut. De nouveau ce qui devait arriver arriva, on construisit beaucoup trop, comme d’ailleurs partout dans le monde dans ces années, préparant une gigantesque crise immobilière. Celle-ci, démarrée en 1989 aux États-Unis, fit le tour du planète et arriva en France en 1991. Elle devait durer six longues années. C’était la troisième crise.
En 1997, au moment où l’économie française redémarrait, le bilan pour ce qui concernait l’immobilier était remarquable. Non seulement bien des bureaux étaient d’une qualité très supérieure à ceux des années quatre-vingt, mais de nouveau on en manquait ! Et l’on recommença à construire… jusqu’au double choc de l’éclatement de la bulle internet et des attentats du 11 septembre 2001. Nouvelle crise immobilière. La quatrième.
Redémarrage en 2005, puis faillite de Lehmann Brothers en 2008 et catastrophe économique et monétaire mondiale. Cinquième crise du secteur. Baisse des loyers. Mais les jeux étaient faits. L’économie demandait des bureaux, encore et encore. Le marché est rapidement reparti, et a vécu de très belles années jusqu’au début 2020. A cette date, les emplois de bureau en France occupaient une surface totale de… 130 millions de mètres carrés !
La situation à la veille du choc de début 2020
Les constructions et les aménagements ne ressemblent plus du tout à ceux d’il y a une quinzaine ou même une dizaine d’années.
- Les critères de bien-être se sont imposés : hauteur de plafond, climatisation, qualité de l’air, lumière du jour, plantes.
- De même les critères de consommation énergétique ont gagné en importance, et sont désormais sanctionnés par des labels. La différence de valorisation entre les bâtiments qui sont performants et les autres, se fait de plus en plus sentir.
- Un basculement complet vers moins d’espaces individuels et plus de lieux de réunions, de convivialité, voire de détente. Le nombre de mètres carrés par poste a été progressivement réduit. Un certain nombre de gens n’ont même plus d’endroit fixe, réservé. Cette évolution correspond d’ailleurs à la tendance à mesurer le coût immobilier non plus par mètre carré mais par personne.
- Autre basculement, l’importance donnée à deux fonctions autrefois secondaires :
- Le property management, autrement dit l’entretien et le soin de l’immeuble, la relation avec le ou les locataires.
- Le facility management, c’est à dire les services apportés sur place. Dans la pratique, on paie de moins en moins un loyer, et on achète de plus en plus un service global. Ainsi peut-on déléguer la réception, la décoration, la gestion des repas et boissons, la maintenance informatique, et cette liste n’a pas de limite précise.
Amélioration de la qualité, réduction des coûts immobiliers par personne, développement des services. Ces évolutions étaient largement engagées. Elles ne représentaient pas encore la majorité des immeubles existants, mais la tendance était forte dans ce sens, et en accélération.
Puis, surprise, sidération. En réponse à l’épidémie du covid-19, toute la planète s’est arrêtée.
Les bureaux vont s’adapter, comme à chaque mutation
Aujourd’hui l’économie est sous le choc. Comme un boxeur « sonné ». Entre les faillites d’entreprises et les licenciements d’une part, les efforts de grande ampleur des gouvernements et des banques centrales d’autre part, il est difficile d’anticiper le déroulement exact de la reprise. Difficile de savoir où nous en serons exactement dans six mois, un an, deux ans.
Ce que les crises nous apprennent
Mécaniquement, les bureaux vont subir la crise. La sixième de leur brève histoire ! Voici ce qu’on peut retenir des précédentes :
- D’abord, ce secteur a une indéniable « résilience ». Son secret ? Sa proximité naturelle avec les acteurs économiques. Cela peut sembler une lapalissade, mais il n’est que l’extension de l’économie, sa matérialisation dans les espaces de travail. Chaque crise a donné lieu à des constructions différentes ou à d’autres aménagements de l’espace, à des contractions ou extensions des lieux selon leurs usages.
- Ensuite, le service apporté n’a cessé de diminuer en coût. Sait-on que les immeubles aux meilleures normes aujourd’hui, et parfaitement situés, ont un loyer moins élevé que ceux des années quatre-vingt dans lesquels plus personne aujourd’hui n’aurait l’idée de venir travailler ? Cette évolution ne s’est pas faite sans quelques douleurs parfois, mais elle s’est faite. On peut parler de « productivité ».
- Enfin, chaque crise a laissé sur le côté un certain nombre d’immeubles. On les appelle les stranded assets (actifs échoués, comme des navires). Parfois pour des raisons de types de construction qui ne sont plus à l’ordre du jour, toujours pour des questions de localisation. Le lieu, si important en immobilier, se redéfinit à chaque mutation.
Où va le marché des bureaux ?
Il va faire face à deux défis.
Le premier, classique, supporter le cycle conjoncturel. Les difficultés des entreprises et la montée du chômage font baisser la demande. Donc baisser les loyers. Rien de nouveau. Le marché a connu ce type de retournements conjoncturels, souvent difficiles pour les professionnels du secteur et inconfortables pour les investisseurs. Il a chaque fois mis ces difficultés à profit pour se renouveler, mieux s’ajuster à l’évolution de la demande. Il est chaque fois reparti de plus belle, à la faveur de la reprise économique et des transformations qu’il s’était imposé.
Et c’est le second défi : il va devoir se transformer pour accompagner la mutation vers plus de télétravail partiel.
La grande mutation
Le coworking avait donné un avant-goût de l’évolution vers un choix immobilier plus souple. Lui aussi va devoir s’adapter.
De même, il y a déjà eu quelques expériences de « tiers-lieux », des locaux mis en commun pour des activités de même type, avec optimisation de l’utilisation de surfaces selon les besoins, et apport de nombreux services assumés en commun.
Enfin, quelques entreprises avaient déjà opéré la transition vers des espaces de travail très souples, sans poste fixe, avec des endroits plutôt réservés à tel ou tel département, en privilégiant les lieux de réunion et de convivialité.
Toutes ces expériences vont nourrir la transformation des espaces de travail. Si les employés sont chez eux une partie du temps, si leur présence sur place signifie des moments importants ou des évènements particuliers, on se dirige clairement vers une conception différente du lieu de travail.
Un peu comme la place du village autrefois…
Moins de murs, plus de souplesse, et l’ajout de nombreux services. Autrement dit, les tendances qui étaient déjà à l’œuvre. Avec une rupture de rythme : il ne s’agit plus d’une évolution, mais d’une mutation.
Et bien entendu moins de mètres carrés.
Moins de mètres carrés ? N’en faisons pas un épouvantail pour faire sensation. C’est la tendance majeure des trente dernières années, celle qui s’accélérait de plus en plus ! Le nombre de mètres carrés par personne n’a cessé de diminuer, tandis que la transformation de l’économie a de toute façon demandé de plus en plus de surfaces.
L’activité à distance n’est pas un drame pour l’immobilier
Le monde change. Mais le télétravail n’est pas le coronavirus ! Surtout, il sera majoritairement partiel. Les entreprises sauront le gérer. Les acteurs de l’immobilier aussi.
Les cartes de la « localisation » vont changer. Certains immeubles, heureusement très rares chez les grands investisseurs que sont les compagnies d’assurances, les SCPI, les OPCI et les Foncières cotées, seront « naufragés ». Des quartiers vont perdre de leur attrait, d’autres vont trouver une nouvelle jeunesse. Certaines villes vont être dynamisées.
Et puis, je ne peux m’empêcher de relever un aspect à la fois anecdotique et symbolique. Quels sont les immeubles de bureau qui finalement auront traversé le temps, et qui cette fois-ci encore n’ont rien à craindre des évolutions à venir ? Eh bien… les « haussmanniens ». Construits il y a donc très longtemps, avec de grands volumes, et situés au cœur des villes.
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[1] L’IEIF, centre de statistiques et d’études sur les fonds (SCPI, OPCI, Foncières cotées – SIIC) et sur les marchés immobiliers. À partir des données publiées par l’INSEE, il suit année après année le nombre d’emplois qui s’exercent dans des bureaux, autrement dit la « demande ». L’IEIF a aussi effectué une plongée dans les statistiques passées, sorte de mission de scaphandrier, jusqu’en 1970.