A l’occasion de la publication de l’étude « Le crowdfunding immobilier : son fonctionnement, ses enjeux, ses défis »[1], leurs auteurs ont demandé à Guy Marty d’exprimer son avis sur les mutations du secteur. Le Directeur Général de l’IEIF, qui salue l’initiative de cette étude, fait notamment le parallèle entre l’émergence de cette nouvelle forme de financement innovante et celle, toute aussi innovante pour l’époque, introduite par les SCPI dans les années 60.
En leur temps, à savoir dans les années 1960, les SCPI (Sociétés Civiles de Placement Immobilier) qui s’appelaient encore les « Civiles » introduisirent une nouveauté importante dans le paysage de l’investissement immobilier : l’élargissement de la copropriété immobilière à des centaines, voire des milliers d’épargnants qui détenaient en commun un patrimoine et pouvaient ainsi accéder au placement immobilier avec une épargne relativement modeste.
Innovation avant l’heure – Cette innovation – même si l’usage courant n’avait pas encore consacré ce terme – suscita tout ensemble un enthousiasme certain des particuliers, une méfiance peut-être justifiée des acteurs établis et la perplexité du législateur.
Ce dernier eut pour préoccupation majeure de protéger les particuliers, dans ce monde de l’épargne où les dérapages quand ils existent, peuvent être dramatiques. La loi de 1970, qui préservait l’originalité du concept tout en situant clairement le produit dans le champ très réglementé de l’appel public à l’épargne, fut plutôt conçue pour brider et contenir.
Contraintes juridiques – Les SCPI se sont donc développées dans un cadre juridique contraignant : seulement l’acquisition d’immeubles (pas leur production), des possibilités de travaux ou d’arbitrages anormalement limitées pour des sociétés de cette nature, et l’impossibilité en pratique de constituer de véritables réserves. Mais l’essentiel était préservé. La détention immobilière se trouvait dotée des qualités de l’épargne financière que sont la mutualisation, la gestion professionnelle et la transparence, avec la couverture médiatique qui accompagne celle-ci. La dynamique initiale restait présente.
Puis au début des années 1990 le législateur, par nature porté vers la prudence, a de nouveau resserré son emprise en intervenant un peu maladroitement sur les questions de valeur de parts, au moment où le marché immobilier entrait dans une crise profonde : les difficultés des SCPI ont été plus sévères qu’elles n’auraient dû l’être, mais elles ont traversé la tempête et ont finalement renoué avec la croissance à l’approche de l’an 2000.
Le terrain mieux balisé de l’épargne financière – C’est le moment où les professionnels, ayant pris la mesure de l’inertie des réglementations, ont tenté de forcer l’avenir en proposant un produit nouveau, d’emblée intégré dans le terrain mieux balisé de l’épargne financière : ce fut la naissance de l’OPCI, procédant de la même innovation, mais arrimant la nouveauté à des pratiques bien ancrées.
Puis vint l’Europe et sa directive AIFM, offrant un cadre normalisé aux fonds immobiliers, celui de FIA (Fonds d’Investissement Alternatif) et donnant ainsi un statut tout neuf, pratiquement une nouvelle jeunesse, aux SCPI : nous sommes en 2015.
Telles furent les grandes étapes, rappelées de façon excessivement condensée, de la longue aventure de la pierre-papier – peut-être à l’heure d’internet et du cloud trouvera-t-on un terme plus geek ! –. Cette aventure fut riche en péripéties, embûches, rebondissements. Ce fut l’histoire mouvementée de la difficile intégration d’une innovation brillante et fertile, dans le monde compliqué de l’investissement.
De nombreux ingrédients réunis – De nombreux ingrédients sont réunis : une idée belle et simple, des entrepreneurs de talent, un accueil favorable voire enthousiaste des particuliers (c’est la persistance de cet accueil qui a finalement eu raison de l’incroyable série d’obstacles), une méfiance naturelle des systèmes et mécanismes en place, la perplexité du législateur y compris la possibilité de tâtonnements et d’erreur, la ténacité de quelques personnalités fortes, et au bout du compte la meilleure consécration qui soit, celle de l’appartenance naturelle au paysage.
Qui ne saurait voir dans ce récit, mutatis mutandis, le cadre logique, ou plus précisément la logique événementielle, de bien des grandes inventions du passé ? L’une des plus spectaculaires fut sans conteste le remplacement des chiffres romains par la numération à dix chiffres, qui simplifia radicalement toutes les opérations et permit à la science de s’élancer à la conquête de l’univers matériel : un siècle encore après l’introduction en Italie, en 1202, des chiffres dits à l’époque « arabes », alors qu’ils étaient en réalité plutôt indo-arabes, une législation rigoureuse intervint, par exemple à Florence, pour en interdire aux banques l’utilisation. Se souvient-on encore des conflits de l’époque ? Tous les lettrés ou savants durent se cacher pour utiliser ce système si puissant au regard du précédent. Il en demeure une trace dans le langage actuel, puisqu’on appelle encore services « du chiffre » les services secrets…
La banalisation, en quelques décennies – À l’échelle d’une invention bien entendu plus modeste, il n’aura fallu que quelques décennies aux SCPI pour connaître la banalisation… le temps s’est accéléré!
Il s’accélère encore. La chance des innovations d’aujourd’hui, c’est la naissance du paradigme de l’innovation : l’émergence du nouveau est partie intégrante de notre quotidien, la vague technologique apporte avec elle chaque année, chaque mois, pratiquement chaque jour une cohorte d’idées et d’initiatives nouvelles… et surtout, innover est devenu politiquement correct, ce qui fut très rarement le cas dans les sociétés humaines.
Si les esprits ont changé, si les résistances à la création ont perdu une part de leur puissance structurelle, le schéma dynamique reste semblable : le nouveau brille de ses atouts, mais inquiète et de toute façon soulève des questions légitimes qui ne se résolvent pas en un jour. La digestion par le corps économique et social est plus rapide, infiniment plus rapide, mais le processus d’intégration doit toujours se dérouler.
Les questions de la destruction créatrice – Dans le secteur financier, la longue expérience du risque, notamment en ce qui concerne les flux d’argent des particuliers, est aujourd’hui mise en question par l’apparition de nouveaux circuits. La destruction créatrice pose, ici comme ailleurs, de nombreuses questions : que pourraient ou que devraient faire les acteurs traditionnels, quelle sera la nouvelle répartition de la valeur ajoutée, comment préserver ce qui doit l’être en matière de sécurité pour les différents partenaires, quelle devrait être la best practice, comment équilibrer les contraintes réglementaires qui s’imposent aux acteurs établis et le champ de liberté qui s’ouvre aux nouveaux venus ?
La responsabilité du législateur n’en est que renforcée, en même temps que sa tâche est plus délicate entre maîtriser, ou du moins encadrer, les risques et garder ouvertes les voies de l’avenir.
A propos de IEIF(i)
L’IEIF, centre de recherche indépendant, est le lieu privilégié d’échanges et de réflexions pour les professionnels de l’immobilier et de l’investissement. Sa mission est de fournir de l’information, des analyses et des prévisions, et d’être un incubateur d’idées pour la profession. Guy Marty est Directeur Général de l’IEIF.
(i) Cette information est extraite d’un document officiel de la société.
[1] Etude réalisée en partenariat par CM Economics et Eden Finances