« Au-delà du rejet actuel des élites et de l’effondrement du mythe de l’homme de Davos, la résultante est que la civilisation de l’usage l’aura définitivement emporté sur celle de la propriété » ; « Cette civilisation de l’usage s’accompagnera inévitablement d’une refonte profonde du mode de propriété et d’usage de l’immobilier, qu’il s’agisse du tertiaire comme du résidentiel ». A partir d’une analyse économique et sociologique de la société contemporaine, Xavier Lépine, Président du Directoire de La Française, livre sa vision de l’avenir de la pierre-papier et de sa financiarisation inéluctable…
Créée, il y a à peine 55 ans, la pierre-papier n’a pas encore atteint l’âge de la maturité. N’oublions pas la règle d’or, jeunisme oblige, la maturité est égale à la racine carrée de l’âge multipliée par 10, soit dans quelque 25 ans pour la pierre-papier !
Cette maturité pour la pierre-papier se présente sous les meilleurs hospices quel que soit l’angle sous lequel on l’aborde. Sur le plan économique, l’urbanisation croissante associée au vieillissement de la population en Occident et aux progrès technologiques (« smart grid », véhicules 100% électriques sans conducteur, etc.) se traduira par une forte croissance des actifs immobiliers.
Parallèlement, les taux d’intérêts auront été maintenus à des niveaux très bas sous le poids conjugué de multiples facteurs. Bien évidemment la dette accumulée par les Etats les aura incités à rendre le service de la dette supportable alors même que la globalisation et surtout les nouveaux modèles économiques (économie de la connaissance, digitalisation, économie circulaire…) auront consacré l’avènement de l’essence même du capitalisme : produire plus pour moins cher ; l’information sera le bien le plus échangé et son coût marginal de production est faible et décroissant. Pour éviter une explosion sociale liée au vieillissement de la population et la problématique de son financement, l’âge de la retraite aura été repoussé à 70 ans et les services à la personne auront été considérablement développés. L’inflation n’aura été qu’une longue parenthèse du XXe siècle liée aux reconstructions et à l’énergie fossile.
Fin programmée du système social actuel – Dans une population en croissance démographique quasi nulle, on comprend bien intuitivement que la richesse (nette de sa consommation) créée par un individu doit couvrir les charges (éducation, santé, alimentation…) de ses phases d’inactivité (jeunesse et retraite). Le vieillissement de la population, la stabilité démographique, l’obsolescence rapide de l’individu face aux évolutions technologiques, l’impact de la mondialisation sur la disparition des métiers à faible valeur ajoutée, ces phénomènes ont bouleversé l’équilibre financier de la société et expliquent la fin programmée du système actuel, qu’il soit social ou qu’il concerne la pleine propriété de son logement. Concrètement, depuis déjà quatre décennies, le recours à la dette, qui correspond à reporter sur les générations futures la problématique de la dégradation du modèle social, a été le choix des politiques. Sous la contrainte, les modèles économiques évoluent.
La question de la répartition des richesses – Le deuxième point fondamental soulève la question de la répartition de la richesse au sein de la société et plus singulièrement son évolution. On sait pertinemment que, jusqu’en 1945, la richesse était fortement concentrée (les 200 familles !) et l’essentiel de la population se partageait le solde. L’avènement d’une classe moyenne en Occident, productrice et consommatrice, a entraîné de profondes modifications sociales. On ressent depuis la fin des années 80 que la richesse se concentre à nouveau et que les classes moyennes se paupérisent. Les ultra-riches bénéficient de la mondialisation et même s’ils ne prélèvent pas nécessairement leur richesse sur le dos de la classe moyenne nationale, il n’en demeure pas moins que l’écart se creuse de nouveau. C’est le coefficient de Gini qui suit cette évolution : à 1, il signifierait que l’intégralité de la richesse serait détenue par 1 personne, à 0, que la richesse serait répartie de manière égale entre tous les individus.
La question ici n’est pas celle du niveau de vie qui, en théorie, peut s’améliorer pour tout le monde, mais du sentiment d’injustice sociale. Cependant, si le PIB par habitant stagne et que le coefficient de Gini augmente, il s’agit bien dès lors d’une paupérisation d’une partie de la population au profit d’une autre (au moins sur le plan statistique car, une fois de plus, les ultra-riches peuvent avoir une partie de leur richesse créée hors de la communauté nationale).
D’une certaine manière, la situation actuelle de hausse des inégalités n’est peut-être qu’un simple retour à une moyenne historique, mais elle n’en traduit pas moins une dégradation du « progrès social », conséquence inéluctable de la globalisation et de l’allongement de la durée de la vie ; on assiste de fait à une tendance inverse dans nombre de pays émergents… Les deux mondes ayant tendance à converger vers des coefficients relativement élevés.
Au-delà du rejet actuel des élites et de l’effondrement du mythe de l’homme de Davos, la résultante est que la civilisation de l’usage l’aura définitivement emporté sur celle de la propriété. Sur le plan environnemental, nous agirons en pleine conscience du fait que nous sommes locataires de la planète et nous serons proches de la neutralité en termes de production de carbone : à New York, en 1900, une voiture sur cent était équipée de moteur à explosion, dix ans plus tard, il n’y avait plus qu’une voiture sur cent qui était à cheval !
Etat, tiers de confiance pour les nouveaux modèles – Le rôle de l’Etat se fera de moins en moins par apport de capitaux et de subventions de toutes natures mais comme organisateur, facilitateur et tiers de confiance des nouveaux modèles. Aujourd’hui, l’ensemble du parc automobile américain parcourt 5 000 milliards de kilomètres par an et, en l’état actuel de la technologie, un carré de 25 km de côté de panneaux solaires suffirait pour fournir l’intégralité de l’énergie ; l’ensemble de la surface des Wallmart représentant le quart de cette surface… Il y a fort à parier qu’en 2050, 99% des voitures qui circuleront seront électriques et que les villes seront propres, silencieuses, et le trafic autorégulé. A cet égard, le projet du Grand Paris, qui va doubler la surface habitable de la capitale (140 km²) sur des zones actuellement peu urbanisées, s’inscrit totalement dans cette logique de création de la ville durable.
Cette civilisation de l’usage s’accompagnera inévitablement d’une refonte profonde du mode de propriété et d’usage de l’immobilier, qu’il s’agisse du tertiaire comme du résidentiel :
- Le développement des espaces de co-working, de l’auto-entreprenariat, des TPE et PME va nécessiter de repenser la notion même de bail pour transformer une charge fixe (baux à 3, 6, 9 et 12 ans) en charge variable où le plug and work et le nomadisme deviendront la norme.
- Côté résidentiel, les évolutions seront vraisemblablement encore plus marquées. Après celles de la France de propriétaires et de la pierre-papier amorcées dans les années 60, l’allongement de la durée de la vie, la rareté (et donc la cherté du foncier) et d’une manière plus générale l’évolution vers une société de l’usage versus celle de la propriété, feront que le rapport au logement évoluera.
La baisse des taux d’intérêt et l’allongement de la durée des crédits comme soutien de la demande sont en bout de course et il est donc temps d’explorer de nouvelles voies.
Le contexte du Grand Paris et du rôle central européen que peut jouer demain la mégapole, est une opportunité unique d’accompagner les évolutions sociétales et financières profondes. L’enjeu est de taille : comment structurer financièrement et juridiquement le développement de 80 000 logements par an pendant 15 à 20 ans, soit un doublement du parc actuel de Paris intra-muros, alors que la capacité financière des Français ne permet plus d’envisager le développement d’une France de propriétaires « de plein exercice »… Sans compter que le « vivre ensemble » nous impose d’éviter la création de ghettos de riches et de pauvres.
Les anticipations ci-dessous s’articulent autour de plusieurs points et tournent toutes autour du même concept : la baisse des taux d’intérêt à quasiment zéro constitue une opportunité unique et d’ampleur à des d’évolutions majeures dans le mode de financement et d’intermédiation du financement de l’immobilier résidentiel. Cette approche peut aussi constituer un socle de repositionnement du système bancaire et de l’assurance dont la profitabilité est mise à mal par le contexte des taux d’intérêt et la demande atone de crédits.
De même, l’orientation de l’épargne des ménages se dirigera de plus en plus vers des produits de rente et comme en l’absence d’inflation les rendements seront de plus en plus faibles, il est probable que la quotité d’épargne augmentera afin de satisfaire les besoins de rente en valeur absolue.
D’une manière générale, le logement, besoin primaire aux côtés de la santé et de l’emploi, sera donc repensé à partir de sa fonction d’utilité. La séparation dans l’espace entre le foncier et le bâti comme dans le temps sera réalisée et répondra à des besoins différents entre les utilisateurs et les différentes catégories d’investisseurs que sont les banques, les assureurs, les collectivités locales, l’Etat, les personnes privées. Autrement dit, si l’achat du logement répond aux trois objectifs – le logement, une forme d’assurance-vieillesse et la constitution d’un patrimoine -, alors que la location ne répond qu’au besoin de logement, des notions comme le « bail à vie » peuvent répondre aux deux premiers objectifs et la location-accession, une visibilité financière à moyen/long terme.
Dans les années 60, le Crédit Foncier, agissant pour le compte de l’Etat, a développé le crédit à long terme à taux fixe, débloquant ainsi l’accès à la propriété de millions de primo-accédants.
Bail emphytéotique – Au XXIe siècle, le crédit à long terme est une « commodities » et l’enjeu n’est plus dans le taux d’intérêt ou la durée du crédit mais dans le prix de la pleine propriété en milieu urbain. Les méthodes permettant de rendre compatible le logement avec la capacité de paiement des ménages et des entreprises seront déployées. Séparation du foncier et du bâti dans le cadre de l’emphytéose, intermédiation différente du temps dans le cadre d’une acquisition optionnelle et différée dans le temps, maîtrise du foncier à long terme, intervention sans soutien financier mais en garantie de l’Etat comme réhausseur de crédit ou animateur de marché secondaire au même titre que la Banque de France le fait sur la dette française dans le cadre du Quantitative Easing.
Le développement d’une intermédiation différente du temps dans le cadre de l’accession en pleine propriété : la location-accession sera devenue monnaie courante. Le risque du propriétaire temporaire (investisseur) est correctement rémunéré par le loyer alors que le locataire-accédant ajuste dans le temps le coût de son acquisition qui devient optionnelle. Pendant une phase de 10 ou 15 ans, le locataire-accédant paye un loyer normal et verse un acompte qui lui donne l’option d’acheter au terme de la période au prix d’origine. Les acomptes versés permettent d’avoir un apport conséquent et la charge du crédit ultérieur est alors supportable. En cas de renonciation, l’essentiel de l’acompte est alors reversé au locataire-accédant. Produit de placement pour les assureurs-vie, comme produit de revenu indexé sur l’inflation pour les personnes physiques, la pierre-papier autour de ce concept sera une des offres proposées aux investisseurs.
La maîtrise du coût du foncier par la scission de la propriété dans l’espace : le foncier qui est loué pour une période de 40 (bail à construction) ou 50 ans, « le bail à vie » durée qui correspondrait à l’espérance de vie lors de l’acquisition, à un taux normal (i.e.: OAT +), et le bâti dont la propriété revient in fine au propriétaire du foncier qui conserve donc sa maîtrise sur le long terme.
Le propriétaire foncier, la municipalité, l’Etat ou l’investisseur privé, loue pendant 40 ou 50 années le foncier et reçoit un loyer normal (1 ou 2% indexés ou non) ; le propriétaire temporaire du bâti a la jouissance pendant la durée du bail et, à l’échéance, le propriétaire du foncier récupère le bien. C’est une solution qui s’adresse à des personnes voulant sécuriser leur habitation pendant la durée de vie qu’il leur reste sans avoir pour autant les moyens d’acheter en pleine propriété ; un système spécialement bien adapté dans les zones où le foncier est cher. C’est aussi un parfait produit de protection pour l’investisseur financier et de maîtrise à long terme du foncier pour une municipalité : il évite de transformer, comme c’est le cas actuellement, la rente que constitue le foncier en paiement immédiat et donc de maximiser le profit à court terme au bénéfice de l’accès sur des périodes longues à des logements à des coûts réduits. L’argent ainsi économisé par l’utilisateur pendant la durée de vie du bail (par rapport à une acquisition en pleine propriété) pourra ainsi être placé, par exemple, dans l’acquisition de droits à accéder à des résidences seniors.
Le viager mutualisé sera institutionnalisé comme moyen de transmettre à un âge raisonnable une partie de son patrimoine (le bouquet) et permettra d’éviter ainsi à la génération du 4e âge d’être à la charge de celle du 3e âge.
Sur toutes ces évolutions, la pierre-papier, par ses caractéristiques intrinsèques, sera extrêmement présente dans le financement de ces évolutions. La séparation dans l’espace et le temps permettra aux acteurs d’acquérir la partie du rendement et du risque qui les intéressent : le revenu immédiat ou différé, renoncer ou ne prendre que la plus-value, l’utilisation ou la propriété… Par exemple, une compagnie d’assurance peut être intéressée uniquement par l’acquisition des flux de loyers futurs sans être risque de prix sur le bien qui la pénalise en ratio de Solvabilité 2.
On peut également penser que la titrisation de portefeuilles permettra aussi de réduire les risques par la mutualisation qu’elle apporte et donc d’en abaisser le coût moyen pour l’ensemble des acteurs, que ce soient les promoteurs, les investisseurs comme les utilisateurs.
Enfin, la profondeur de ces marchés immobiliers qui sont actuellement étroits (25 Mds€ échangés annuellement sur l’immobilier tertiaire) aura augmenté et l’on peut espérer qu’à l’instar de l’Angleterre et des Etats-Unis, un marché de produits dérivés se développe et permette ainsi aux différents intervenants de se couvrir ou de s’exposer à des coûts réduits aux différents segments de l’immobilier sur l’ensemble des acteurs de la chaîne immobilière. Le Matif a permis un formidable essor de la gestion de la dette publique et a participé à la réduction de son coût pour l’Etat. Souhaitons que les acteurs immobiliers, peut-être à l’initiative de l’Etat, auront développé un marché de futures et d’options qui permettront, comme sur les matières premières, les actions ou les obligations d’optimiser la gestion des risques et donc d’en réduire le coût.
La financiarisation de l’immobilier, c’est-à-dire l’intermédiation du temps et des acteurs, aura trouvé son rythme et sera ainsi pleinement au service de l’Homme.
Xavier Lépine
Président du Directoire de La Française