L’activité du crowdfunding – y compris immobilier – dispose désormais d’un cadre réglementaire structuré. Il n’en reste pas moins que, compte tenu des multiples formes de montage possibles, et de l’hétérogénéité des projets finançables, l’investisseur a parfois du mal à comprendre dans quoi – et comment – il investit véritablement. Première grille d’analyse possible : où sont réellement investis les fonds collectés ?
D’année en année, l’industrie du crowdfunding immobilier s’est considérablement élargie. A la fois en raison de la multiplication du nombre de plateformes et des montants levés, mais aussi de la diversité des projets et de la nature des montages juridiques proposés.
La réglementation du crowdfunding
On pourrait croire l’activité du crowdfunding clairement définie et encadrée. Effectivement, deux évolutions réglementaires apportées fin 2014 et en 2016 ont très largement posé les cadres d’exercice et d’exemptions de la finance participative. Pourtant il existe, du fait des différents statuts – CIP/IFP/PSI¹, mais pas seulement -, plusieurs possibilités de « montage ». Et, donc, autant de solutions d’investissement. Plusieurs grilles d’analyse permettent d’en comprendre les tenants et aboutissants pour les investisseurs. La nature des projets financés, le mode de financement – direct ou indirect -, le statut juridique du support – qui seront traités dans de prochains articles – en font partie. Mais une première approche consiste déjà à examiner la destination des fonds levés auprès des investisseurs.
Le financement d’un promoteur immobilier…
Certaines plateformes, sans toujours le préciser de façon claire, proposent ce qu’on appelle du « financement corporate ». En effet, les plus grosses structures peuvent avoir des besoins différents, axés sur un développement global du promoteur plutôt que sur une opération en particulier. L’étude d’éligibilité mise en ligne sur la plateforme se réalise alors sur le groupe dans sa globalité, et pas seulement sur la structure –SCICV² et/ou la SAS – créée de façon spécifique. Fort de l’enseignement de « l’affaire Terlat » – seul défaut à ce jour dans l’histoire française du crowdfunding immobilier -, on pourrait penser cette situation bien plus rassurante que le simple investissement dans une opération spécifique et isolée, puisque l’investisseur souscrit un titre sur la « maison-mère », sur laquelle porte l’éligibilité du financement participatif. Pourtant, le risque n’est alors plus seulement cantonné à une seule opération immobilière. Il faut en effet tenir compte de l’intégralité des projets du promoteur, en cours et futurs ! Le risque est également de perdre la lisibilité nécessaire sur l’usage et la remontée des fonds investis, sauf à mettre en place la gouvernance et le dispositif juridique permettant, en théorie, de rendre étanche l’adossement des fonds investis à des opérations identifiées. On comprend ainsi les difficultés qui peuvent naître d’une analyse prospective du développement d’un opérateur, car le cycle d’affaires est long…
… ou le financement d’un projet immobilier ?
En revanche, lorsque l’épargnant investit dans une opération spécifique, il investit un périmètre de risque qui est d’abord celui de ce projet immobilier. Il n’en reste pas moins que les rendements et les risques qui en découlent vont par définition être impactés par les risques spécifiques à l’immobilier en général. Ces risques diffèrent : ils peuvent être d’ordre microéconomique selon le type de projet financé (résidentiel, rénovation, bureau, commerces…), ou d’ordre macroéconomique, et liés à l’environnement, économique, social, réglementaire et juridique dans lequel le projet est mis en place (permis invalidé, retard des artisans, logements qui trouvent difficilement preneurs…). La matérialisation d’un de ces risques va inévitablement conduire à un retard. Et donc, côté promoteur, à une réduction de la rentabilité du projet et à l’augmentation du risque porté, susceptible, dans les cas extrêmes, de le conduire à la faillite. Mais paradoxalement, le seul retard peut être bénéfique à l’investisseur puisque le rendement (sur emprunt obligataire ou dette), déjà attractif, est servi pendant plus longtemps…
Crowdfunding : une question de transparence
L’une des 10 réflexions majeures qui ressortait de notre étude approfondie sur le crowdfunding immobilier, dès 2015, était liée à la – non – transparence des opérations vis-à-vis du porteur de projet réel. En effet, le régulateur imposait alors le détail des offres au double niveau de la société interposée et du porteur de l’offre. L’interposition d’une société holding ne devait en effet pas faire obstacle à la délivrance des informations³. Or, dans la plupart des montages d’investissement en crowdfunding immobilier, nous constations non pas 2, mais 3 niveaux d’interposition : la société interposée, la société de construction-vente dédiée au programme immobilier et le promoteur lui-même. Ainsi, la réglementation n’obligeait pas la plateforme à donner des informations sur le porteur réel qu’est le promoteur immobilier – la « maison-mère » -, qui est pourtant à la source de l’opération de construction, et sur lequel repose effectivement l’opération de promotion.
Evolution de principe de l’AMF et de l’ACPR
A la lecture du guide d’information sur le cadre applicable au financement participatif réalisé par l’AMF et l’ACPR du 9 mai 2017, leurs recommandations semblent aller dans notre sens : « lorsque l’investissement est réalisé à travers une société holding, la plateforme s’assure que le souscripteur reçoit les informations relatives au projet qu’il soutient. Pour ce faire, la plateforme doit transmettre au client, par l’intermédiaire de son site, préalablement à toute souscription, les informations mentionnées à l’article 217-1 du règlement général de l’AMF. Ces informations sont relatives à la société qui réalise le projet et, le cas échéant, aux sociétés s’interposant entre la société qui réalise le projet et celle qui réalise l’offre. Une information doit être donnée sur les accords contractuels entre les sociétés susvisées lorsque de tels accords existent ». Ainsi, dorénavant, financement « corporate » ou financement « spécifique » doit assurer la même profondeur d’analyse. Et ce d’autant plus que l’AMF semble également dorénavant mettre en œuvre une modification des usages au niveau des montages juridiques recevant et/ou utilisant les fonds. En attendant de revenir sur ce sujet4, le prochain article sera consacré à l’étude des différents types de projets immobiliers proposés.
[1] Conseiller en investissement participatif (CIP),intermédiaire en financement participatif (IFP),prestataire en services d’investissement(PSI).
[2] SCI de construction-vente.
[3] Cf Document d’informations réglementaires synthétiques.
[4] Cet aspect sera traité dans un article à paraître : « Crowdfunding immobilier, comprendre comment – et dans quoi – vous investissez. Acte III : financement direct ou indirect ? »