Le succès grandissant des SCPI et des autres véhicules de la pierre papier non cotés inquiète. Les autorités prudentielles viennent de rappeler à l’ordre producteurs et distributeurs. Mais n’oublions pas de faire le distingo entre le risque systémique, commun à tous ces produits, et leur risque spécifique, qui dépend de la manière dont ils sont gérés…
SCPI et autres véhicules de la pierre papier non cotés sont enfin sortis de l’ombre. Les collectes record enregistrées ces dernières années, les rendements insolents qu’ils continuent d’afficher (4,63%, encore, en 2016, pour les seules SCPI), leur notoriété croissante auprès des épargnants, font qu’ils « se sont installés dans le paysage des produits financiers », comme le constate un sondage réalisé dernièrement par Atland[1].
Mais leur succès inquiète… Il inquiète notamment le Haut Conseil de stabilité financière (HCSF) qui, à plusieurs reprises, s’est interrogé sur la situation de l’immobilier commercial français, encore principal territoire de jeu des SCPI et OPCI. Sa dernière évaluation, datée du 31 mars dernier, conclut à l’absence d’un risque systémique. Elle se double néanmoins, pour la 1ère fois, de deux communiqués publiés le même jour par l’Autorité des Marchés Financiers (AMF), conjointement dans un cas avec l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), conjointement dans l’autre avec l’Autorité des Normes Comptables (ANC), avec pour objectif de rappeler à l’ordre producteurs et distributeurs de « produits financiers investis dans l’immobilier ». Les messages sont clairs : soyez prudents en matière d’évaluation ; évitez de ne vanter que la performance passée ; et assurez-vous que les souscripteurs ont bien compris les risques inhérents à leur investissement.
L’invite à modérer la collecte est donc implicite… Les autorités prudentielles craignent surtout, peut-être à juste titre, que l’engouement actuel des investisseurs -jamais suffisamment ou correctement informés, à les en croire-, ne se transforme en moult réclamations en cas de retournement du marché. Car oui, le risque que la valeur des véhicules de la pierre papier baissent à l’avenir, ou que leurs rendements s’érodent massivement n’est pas à exclure. Ceux qui détenaient des parts de SCPI durant la dernière décennie du siècle dernier, et ont pu perdre jusqu’à 8% par an entre 1993 et 1998, peuvent témoigner de la faisabilité de la chose… A cette crise de valorisation s’était à l’époque ajoutée une crise de liquidité. La réforme du marché des parts, mise en place au début des années 2000, devrait éviter à l’avenir ce deuxième effet kiss cool. Surtout si le degré de compétence et de lucidité financière des actuels et futurs actionnaires de SCPI les incite à garder leur sang-froid et à attendre des jours meilleurs.
C’est en ce sens que la mise en garde des autorités de tutelle doit s’apprécier : s’assurer que les investisseurs ont bien intégré les avantages mais aussi les risques du produit souscrit. Et, pas de doute, l’achat de parts de SCPI est clairement un investissement à risque. Bien plus risqué, par exemple, que les fonds en euros auxquels on a parfois tendance à vouloir les substituer. Or, si le principal -voir le seul – argument à la commercialisation des parts de SCPI est un rendement supérieur à celui de ces formules sans risque autrefois rémunératrices, on comprend effectivement l’inquiétude des régulateurs. Mais mettre en garde contre un risque générique est une chose. Tenir compte de risques spécifiques en est une autre.
C’est sans doute ce qu’il conviendrait aussi de rappeler aux clients finaux, et donc à ceux qui les conseillent. Oui, il existe un risque « systémique » – un effondrement généralisé des valorisations, une chute massive des rendements -, provoqué par un phénomène de marché – du type remontée brutale des taux d’intérêts -, et qui toucherait avec la même brutalité l’ensemble des SCPI – et bon nombre d’ailleurs, d’autres produits financiers-. Mais, à supposer que cet effondrement généralisé ne survienne pas, ce sont alors des risques « personnalisés », propre à chaque SCPI, qui pourraient survenir. Les SCPI ont, elles aussi, des Alpha et des Béta. Toutes n’interviennent pas sur les mêmes marchés sous-jacents – bureaux, commerces, secteurs spécifiques, résidentiels, …- ou sur les mêmes zones géographiques : leurs Béta ne sont donc pas comparables. Toutes ont des gestionnaires, ou des stratégies de développement, différents ou différenciées : leurs Alpha, là encore, ne sont pas forcément de même ampleur. Il y a des prudents, des raisonnables, des aventureux… Vouloir regrouper toutes les SCPI dans la même case de risque ne semble donc pas nécessairement pertinent. Les placer sur une échelle de risque permettant réellement d’ajuster la solution proposée au profil de l’épargnant serait sans doute plus judicieux… Et ce d’autant plus que, majoritairement, les souscripteurs de SCPI font partie des investisseurs « avertis », donc plus réceptifs à ce type de discours.
Les sociétés de gestion d’actifs immobiliers, de leur côté, n’ont pas attendu les communiqués de leurs autorités de tutelle pour réagir. L’emballement du secteur de l’immobilier d’entreprise, la hausse des prix et la baisse des rendements qui en résulte, est évidemment un problème dont elles ont pris la mesure. Elles y répondent, là encore, en fonction de leur typicité de gestionnaires : en diversifiant la nature sectorielle ou la localisation géographique de leurs actifs – SCPI et OPCI sont désormais investis à hauteur de 4 Md€ hors de France – ; en gérant plus activement leurs portefeuilles, à l’instar des foncières ; en grossissant aussi, ce qui les placent au même niveau que les investisseurs institutionnels et leur permet de prendre position sur des actifs plus importants ; ou, à l’inverse, en limitant volontairement leur collecte, afin d’éviter un effet relutif sur les rendements et de s’assurer que leurs investissements seront bien en phase avec leurs critères de rentabilité ou de valorisation.
Frédéric Tixier
Pierre Papier
[1] Patrimoine : stratégie d’investissement immobilier des Français en 2017 – Etude exclusive Opinionway pour Atland – Avril 2017
SCPI : le trait grossit, mais reste dans l’épure
Les SCPI font désormais partie, pour 8% de personnes récemment[1] interrogées, des « placements les plus intéressants pour faire fructifier son épargne ». Mais intérêt n’est pas action. Même avec un rythme de croissance de leurs encours pour le moins exceptionnel (+30% en 2016), même si cette collecte (5,56 Md€) représente près de 15% de leur capitalisation de l’année précédente, et même si cette capitalisation frôle désormais les 45 Md€, les SCPI demeurent encore -et sans doute pour longtemps- « l’épure d’un trait » dans le grand livre de l’épargne financière nationale… Laquelle, au dernier pointage de la Banque de France, s’évaluait à 4 525 Md€. Peu ou prou, les SCPI n’en représentent donc aujourd’hui qu’à peine 1%. Il y a d’ailleurs peu de chance qu’elles deviennent un jour un véritable produit « mass market », à la différence des OPCI calibrés pour un développement plus industriel. Fin 2015, 640 812 épargnants détenaient au moins une part de SCPI. C’est sans doute beaucoup plus qu’il y a quelques années. Mais, là encore, ce nombre reste insignifiant comparé aux quelques 15,5 millions de détenteurs de contrats d’assurance vie. Une enveloppe qui sert effectivement de plus en plus souvent de réceptacle aux nouvelles souscriptions en parts de SCPI, mais plus encore à héberger la collecte des OPCI, « nativement conçus » pour y figurer.
[1] Patrimoine : stratégie d’investissement immobilier des Français en 2017 – Etude exclusive Opinionway pour Atland – Avril 2017