La transposition du volet « reporting des transactions » de la directive MIF 2 et le déploiement de la nouvelle plateforme de surveillance de l’AMF « ouvrent une nouvelle ère dans la lutte contre les abus de marché », explique maître Silvestre Tandeau de Marsac, qui détaille, dans sa Chronique Juridique du conseil en investissements immobiliers, la nature et l’étendue des outils dont dispose désormais l’Autorité des marchés financiers.
Depuis le début de l’année 2018, l’Autorité des marchés financiers (AMF) a renforcé sa plateforme de surveillance en intégrant des outils innovants capables de scanner quasi instantanément les ordres passés en Bourse et de traiter des millions de données relatives à des informations issues de la presse, d’internet, ou encore des réseaux sociaux afin de pouvoir traquer les auteurs d’abus de marchés. L’extension de l’obligation de reporting des transactions, prévue par la directive MIF 2 transposée récemment en droit français, a permis le déploiement de cette nouvelle plateforme qui ouvre une nouvelle ère dans la lutte contre les abus de marché.
Une nouvelle plateforme de surveillance reposant sur des outils innovants – A la faveur de l’augmentation de la volumétrie des transactions générée par le développement du trading algorithmique et à haute fréquence, les fraudeurs des marchés financiers utilisent des techniques de plus en plus sophistiquées pour manipuler les cours ou réaliser des opérations d’initiés. Afin de lutter fermement contre ces abus qui perturbent le fonctionnement des marchés, l’Autorité des marchés financiers se dote de moyens performants. Le régulateur a déployé depuis le début d’année une nouvelle plateforme de surveillance reposant sur des outils innovants, capables de traiter massivement les données transmises par les acteurs financiers en exécution de l’obligation de reporting des transactions, élargie par la directive MIF 2.
Le volet « Reporting des transactions » de MIF 2 ou la collecte massive de données par le régulateur – La directive MIF entrée en vigueur en 2007 avait instauré une obligation de déclaration au régulateur des transactions portant sur certains types d’instruments financiers. L’objectif était double : il s’agissait de renforcer le suivi de l’activité des entreprises d’investissement en vue de leur offrir un meilleur accompagnement d’une part, et de permettre une détection plus efficace des abus de marché d’autre part. L’ensemble réglementaire composé du règlement MiFIR[1] et de la directive MIF 2[2] entrée en vigueur le 3 janvier dernier vise à accroître encore plus la transparence des marchés financiers pour améliorer la protection des investisseurs.
Extension du périmètre d’obligations – Ainsi le premier article du titre IV du Règlement fait obligation aux autorités nationales compétentes de « préserver l’intégrité des marchés » en surveillant l’activité des entreprises d’investissement en vue de s’assurer qu’elles agissent « de manière honnête, équitable et professionnelle »[3]. Pour permettre cette surveillance, le dispositif déployé prévoit une obligation pour les entreprises d’investissement de conserver pendant cinq ans les données pertinentes relatives à tous les ordres et transactions sur instruments financiers qu’elles ont exécutés[4]. Par ailleurs, le bloc MIF2/MiFIR a étendu le périmètre de l’obligation de déclaration des transactions qui leur incombe : les instruments financiers concernés sont plus nombreux, et les informations à fournir, pour chaque transaction, plus détaillées.
Déclarations détaillées – Ainsi, les entreprises d’investissement qui exécutent des transactions sur instruments financiers ont l’obligation de faire une déclaration détaillée, complète et exacte de ces transactions à l’AMF au plus tard au terme du jour ouvrable suivant concernant :
- les instruments financiers qui sont admis à la négociation ou négociés sur une plateforme de négociation ou pour lesquels une demande d’admission à la négociation a été présentée ;
- ceux dont le sous-jacent est un instrument financier négocié sur une plateforme de négociation ; et
- ceux dont le sous-jacent est un indice ou un panier composé d’instruments financiers négociés sur une plateforme de négociation.
Davantage d’informations – En outre, la déclaration au régulateur doit comporter davantage d’informations. Le règlement MiFIR[5] précise que les déclarations doivent notamment comporter les noms et numéros des instruments financiers achetés ou vendus ; la quantité, la date et l’heure d’exécution ; le prix de la transaction ; une mention permettant d’identifier les clients pour le compte desquels l’entreprise d’investissement a exécuté la transaction ; ainsi qu’une mention permettant d’identifier, au sein de l’entreprise d’investissement, les personnes et algorithmes informatiques responsables de la décision d’investissement et de l’exécution de la transaction.
Détecter des variations statistiquement anormales – Dans le cadre de l’application de MIF2 et de ses règlements d’application, l’obligation de déclaration concerne les entreprises d’investissement au sens de la directive, c’est-à-dire les entités qui fournissent des services d’investissement et n’exercent pas d’activité de gestion collective. Par leur intermédiaire, l’AMF procède donc à une vaste collecte de données qui font l’objet, grâce aux nouveaux moyens technologiques dont s’est doté le régulateur, d’une analyse approfondie aux fins de surveillance du marché et de suivi des acteurs. La collecte d’informations issue de l’obligation de déclaration des transactions vise notamment à « détecter les abus de marché au travers de tests génériques détectant des variations statistiquement anormales (notamment sur les cours, les volumes échangés ou les parts de marché des intervenants), et des tests spécifiques détectant des scénarii particuliers (ex : front-running) »[6].
Plus d’un million de transactions en provenance d’une cinquantaine de déclarants – Si l’objectif affiché par l’AMF peut sembler très ambitieux au regard de la masse d’informations visées (l’institution reçoit en moyenne 1,6 milliard de comptes rendus de transactions par an[7]), force est de constater qu’elle se donne désormais les moyens pour servir la lutte contre les abus de marché en se dotant d’outils à la pointe de la technologie. Le gendarme des marchés financiers a fait savoir par voie de communiqué de presse publié sur son site internet le 2 janvier dernier[8] avoir « franchi un nouveau cap en matière de détection des abus de marché » en déployant une plateforme de surveillance capable de traiter quotidiennement une masse de données considérables dénommée ICY, dont notamment celles provenant des déclarations de transaction rendues obligatoires par la directive MIF2. Ainsi, le jour de son entrée en service, la nouvelle plateforme de surveillance de l’AMF a « reçu et intégré plus d’un million de transactions d’une cinquantaine de déclarants »[9].
Big Data et intelligence artificielle – Mais la collecte de données ne se cantonne pas seulement aux informations transmises par les entreprises d’investissement, la plateforme étant en mesure de recevoir et de recouper des informations et data provenant de sources diverses et variées : la presse, internet et les réseaux sociaux ou encore les signalements auprès de l’AMF. L’ensemble de ces informations est passé au peigne fin, brassé et traité par ICY aux fins notamment de détection de transactions suspectes. Pour fonctionner, ICY repose sur des outils innovants tel que le « Big Data » et l’intelligence artificielle : grâce notamment au machine learning (« apprentissage automatique ») la plateforme peut ajuster automatiquement les modèles de détection des transactions anormales et potentiellement constitutives d’abus de marché.
Par le recours à des technologies de pointe pour lutter contre les abus de marché, l’AMF fait preuve d’une capacité d’adaptation. Le message du régulateur se veut très clair : le Big Bang de la lutte contre les abus de marchés est lancé. Grâce au Big Data, Big Brother is watching you…
[1] Règlement (UE) n° 600/2014 du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 concernant les marchés d’instruments financiers et modifiant le règlement (UE) n° 648/2012.[2] Directive 2014/65/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 concernant les marchés d’instruments financiers et modifiant la directive 2002/92/CE et la directive 2011/61/UE.
[3] Règlement (UE) n° 600/2014, article 24.
[4] Règlement (UE) n°600/2014, article 25.
[5] Règlement (UE) n°600/2014, article 26 3°.
[6] Communiqué AMF, Le système de reporting direct des transactions, publié le 3 mai 2013.
[7] Communiqué AMF, L’AMF modernise son outil de surveillance pour des marchés sûrs et transparents, publié le 25 janvier 2017.
[8] Communiqué AMF, ICY, la nouvelle plateforme de surveillance de l’AMF, est opérationnelle, publié le 2 janvier 2018.[9] Communiqué AMF, Reporting MIF 2 : une entrée en service sans incident majeur, publié le 5 janvier 2018.
A propos de Silvestre Tandeau de Marsac
Silvestre Tandeau de Marsac est avocat associé du cabinet Fischer, Tandeau de Marsac, Sur & Associés dont il dirige le pôle Banque-Finance-International (www.ftms-a.com). Titulaire d’une maîtrise de droit des affaires et fiscalité (Université de Paris II Assas), d’un DEA de droit privé général (Université de Paris II Assas), il est inscrit au barreau de Paris depuis 1984. Il intervient pour les acteurs de la finance, les conseille et les assiste dans le cadre de leurs activités comme de leurs litiges. Premier secrétaire de la Conférence (1987), membre du Conseil de l’Ordre (2001-2003), de la formation disciplinaire du barreau de Paris (2008-2011) et président de l’Association des médiateurs européens (2008-2010), il enseigne le droit de la réglementation financière et de la responsabilité des conseils en gestion de patrimoine à Financia Business School ainsi qu’à l’Université de Paris II Assas et intervient régulièrement dans des manifestations et conférences sur ce thème. Il est vice-président de la Compagnie des conseils et experts financiers (CCEF), membre de l‘International Arbitration Institute (IAI), et du Comité français de l’arbitrage. Il est inscrit comme arbitre auprès du Centre de médiation et d’arbitrage de paris (CMAP), du comité français de la Chambre de commerce international (CCI), ainsi que de l’Association suisse d’arbitrage (ASA).