Les pistes envisagées par les régulateurs bancaires mondiaux et européens – Comité de Bâle et BCE – pour sécuriser les bilans bancaires pourraient conduire à une remise en cause du modèle français de production et de distribution de crédits immobiliers. Sont notamment envisagés un renforcement des fonds propres affectés aux crédits à taux fixe et une méthode de calcul du montant des prêts octroyés, fondée sur la valeur des biens à financer. La résistance s’organise.
« Les travaux de Bâle ne doivent pas plus conduire à une remise en cause des spécificités nationales vertueuses » : François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France et Président de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), s’exprimant le 16 juin dernier à la conférence annuelle de l’ACPR, s’est clairement engagé à veiller à ce que « les nouvelles règles relatives au financement de l’habitat soient compatibles avec notre marché national ».
Haro sur les prêts à taux fixe – Une intervention qui fait suite aux diverses réactions exprimées tant par les professionnels du secteur que par bon nombre de parlementaires français face aux pistes envisagées par le Comité de Bâle – l’instance de régulation financière mondiale – pour davantage sécuriser les bilans et l’activité bancaires. Pour ces sages internationaux – majoritairement anglo-saxons –, plusieurs risques menacent les banques mondiales. Dont celui qui pèserait, en cas de remontée des taux d’intérêt, sur celles proposant des crédits immobiliers à taux fixes. En prêtant à long terme une ressource essentiellement refinancée à court terme, ces établissements subiraient de plein fouet le renchérissement des taux interbancaires, ce qui pourrait avoir des effets désastreux sur leur rentabilité et leur solvabilité. D’où l’idée avancée par les régulateurs d’imposer aux banques qui distribuent des taux fixes d’accroître la part des fonds propres affectée à cette activité ou d’imposer le référentiel des taux variables. Les banques françaises sont particulièrement visées par cette proposition : sur les quelque 873 Md€ de crédits immobiliers aux ménages qui figurent à leurs actifs[1], plus de 85% sont à taux fixe. Contrairement aux établissements anglo-saxons, notamment américains, où la pratique du taux variable est majoritaire et où, surtout, le principe de la désintermédiation est poussé à son paroxysme : plus de 80% des crédits distribués – toutes catégories confondues – sont refinancés sur les marchés et ne figurent donc pas dans les bilans bancaires…
Des pratiques d’inspiration anglo-saxonne – Favoriser les taux variables aux dépens des taux fixes n’est pas la seule des propositions qui font bondir les opérateurs français. Parmi les autres « innovations » réglementaires envisagées, la suppression du système de cautionnement – qui concerne la quasi-totalité des garanties de prêts en France –, et la mise en place d’une méthode de calcul du montant des prêts accordés fondée non plus sur la solvabilité des emprunteurs, mais sur la valeur des biens à financer. Des techniques clairement issues du monde anglo-saxon, et que leurs détracteurs considèrent comme étant à l’origine de la création de la bulle immobilière (subprimes) ayant engendré les crises financières de la fin des années 2 000. Si elle était appliquée, cette méthode du « loan to value » – valeur des prêts fondée sur celle des actifs sous-jacents – viendrait en outre pénaliser les primo-accédants et l’investissement en immobilier locatif. Plus globalement, les opposants à ces évolutions réglementaires craignent un « credit crunch » sur le marché français du financement immobilier, au moment même où celui-ci commençait à retrouver des couleurs. L’adoption du « paquet réglementaire » bâlois est en effet attendue pour la fin de l’année…
Préserver l’exception française – D’où la multiplication des réactions visant à préserver l’exception française, tant du côté des professionnels de l’immobilier que des parlementaires, toutes tendances politiques confondues. Après les sénateurs, auteurs d’une résolution « visant à protéger le système du crédit immobilier français dans le cadre des négociations de Bâle » adoptée le 18 mai dernier, les députés ont à leur tour le 13 juin voté une résolution sur le même thème. En rappelant notamment que « le taux de défaut extrêmement bas des prêts immobiliers démontre la grande sécurité du système français », ou que l’abandon des taux fixes au profit des taux variables « correspondrait à un transfert du risque de taux sur le client, à l’opposé du modèle historiquement développé en France ». Des appels visiblement entendus par les autorités représentatives de la France à la table des négociations internationales. « Nombre d’acteurs de la place s’inquiètent de l’avenir de certaines pratiques qui caractérisent notre marché immobilier national : les prêts à taux fixes, la sélection des emprunteurs en fonction de leur aptitude à rembourser leur dette ou encore le recours au cautionnement plutôt qu’à l’hypothèque. Aucune de ces bonnes pratiques ne doit être pénalisée par le Comité de Bâle ; ce n’est pas l’objectif de la réforme », a ainsi tenu à rappeler François Villeroy de Galhau. Dont acte.
Discours de François Villeroy de Galhau
Résolution Assemblée Nationale
Résolution Sénat
Frédéric Tixier
[1] Source : Banque de France, à fin avril 2016