Laurent Gauville, directeur général délégué de Gestion 21, est l’invité de l’émission « Les acteurs de la pierre-papier ». Au programme : le bilan 2020 et les perspectives 2021 pour les foncières cotées. Mais aussi les défis que le secteur doit relever pour retrouver la faveur des investisseurs. Interview.
Petit rappel : Gestion 21 est une société de gestion d’actifs financiers que vous avez cofondée en 2007. Elle gère environ 330 millions d’euros d’actifs, via plusieurs fonds ou mandats. Dont le fond Immobilier 21, que vous pilotez, et qui, comme son nom l’indique, investit exclusivement dans les foncières cotées européennes. Première question, sur le bilan boursier 2020. On ne va pas se mentir : ce n’était pas une année exceptionnelle pour les foncières… Mais comment expliquer que ce compartiment de la cote ait aussi mal résisté, comparativement à l’ensemble des marchés financiers ? Et à l’immobilier physique ?
Laurent Gauville – Ce n’était pas une année exceptionnelle en termes de performances, oui. Mais c’était aussi une année inédite, avec ce contexte très particulier de confinement/déconfinement. Comparaison avec l’immobilier physique ? Il faut bien comprendre que le secteur immobilier coté offre de la liquidité. Quand les marchés sont en stress, c’est donc sur le compartiment coté qu’ils vont chercher de la liquidité. Pas sur le marché immobilier physique. C’est une première explication à cette décorrélation.
Et la deuxième ?
Laurent Gauville – La seconde tient à la structure bilantielle des foncières. Une foncière, c’est de l’immobilier, mais c’est aussi de la dette. Or, pour la première fois, un certain nombre de segments de l’immobilier coté n’a plus offert de visibilité en termes de résultats. Ce qui a conduit à déporter le centre d’attention des investisseurs. De l’analyse des comptes de résultats, ils sont passés à l’analyse des bilans et des risques chaînés qu’ils révélaient. Je pense notamment aux centres commerciaux, dont les performances boursières ont de fait été très, très mauvaises. On parle de reculs de plus 50% en 2020…
On est toutefois maintenant passé au stade « résultats ». La plupart des foncières viennent de les publier. Ils ne sont pas forcément très bons. Que peut-on en dire aujourd’hui ?
Laurent Gauville – Une interprétation simple et rapide, c’est de dire qu’effectivement des secteurs comme les centres commerciaux, qui ont vu leurs actifs fermés, sont en bas de cycle en termes de performances économiques. C’est tout à fait naturel. Quand vous subissez 2 à 3 mois de fermetures, vous ne pouvez pas vous attendre à dégager de bons résultats. Même si, sur ce secteur, le fait de toucher des loyers durant 3 mois vous assure de ne pas faire de pertes. Tout simplement parce que 3 mois de loyer suffisent à couvrir les frais financiers et généraux d’une année entière…
Ce qui signifie que, même dans les périodes de crise, ces sociétés continuent à dégager des bénéfices ?
Laurent Gauville – C’est effectivement le cas, et les résultats 2020 en attestent. Mais je rappelle que les opérateurs boursiers ne s’intéressent pas au résultat annuel stricto sensu, mais bien à la variation du résultat annuel. Et à d’autres indicateurs…
Où en est-on, d’ailleurs, en termes de ratio cours sur bénéfice ?
Laurent Gauville – En termes de ratio cours sur bénéfice, notre fonds Immobilier 21 est à 13 fois. Le secteur est à 16 fois. Si l’on est à 13 fois, c’est tout simplement parce que notre positionnement « value » nous conduit à privilégier des multiples plus faibles que celui du secteur.
Vous avez récemment émis certaines critiques vis-à-vis de la communication financière des foncières. Que lui reprochez-vous précisément ?
Laurent Gauville – En fait, une foncière, c’est quoi ? C’est effectivement un actif – l’immobilier -, et de la dette et des fonds propres. La direction financière, et donc la communication financière, ont vocation à prendre en charge la communication sur les fonds propres et la dette. Mais l’investisseur a besoin de repères. Il en a d’autant plus besoin lors de périodes inédites. Or, en 2020, le repère de la distribution (de dividendes) a disparu pour certains secteurs de l’immobilier. Il a pu être maintenu dans le secteur résidentiel ou celui de la logistique. Ou au cas par cas sur le segment du bureau et du commerce. Mais l’immobilier, globalement, a plus subi la « coupure du dividende » que d’autres secteurs de la cote. Et les communications financières n’ont pas proposé de repères alternatifs.
C’est-à-dire ?
Laurent Gauville – En expliquant, par exemple, que dans le secteur des centres commerciaux, un mois de fermeture équivaut à une baisse de 12% des cash-flows. Autrement dit, en permettant à l’investisseur de se projeter dans le temps. Car si, effectivement, une mauvaise année peut être lourde de conséquences, elle doit être relativisée dans une analyse de plus long terme, sachant que les investisseurs qui achètent le secteur acceptent de payer 16 années de bénéfices…
Passons précisément aux perspectives. 2021 sera-t-elle une bonne année, une année de reprise, pour les foncières ? Sous réserve, évidemment, que l’on sorte du contexte de crise sanitaire…
Laurent Gauville – Que l’on sorte du contexte de crise sanitaire, ou, tout au moins, que l’on réduise la pression sanitaire. Ce qui pourrait intervenir, espérons-le, dans le courant du 2e trimestre. Dans cette hypothèse, ce sont a priori les secteurs aujourd’hui les plus décotés -comme les centres commerciaux, dont le niveau de décote frôle les 50%- qui devraient le plus rebondir. Bien évidemment, des secteurs comme le résidentiel restent à privilégier dans le cadre d’une allocation structurelle. Je rappelle que le résidentiel, en Bourse, ce ne sont pas les 10 000 euros au mètre carré parisien, ou les 5 000 euros des grandes métropoles françaises. C’est essentiellement le résidentiel allemand, valorisé à environ 2 000 euros le mètre carré. C’est-à-dire en dessous de sa valeur de construction. Ce résidentiel là est donc structurellement « value ».
Les valeurs qui ont le plus de chance de rebondir sont donc, logiquement, celles dont les niveaux de valorisation sont au plus bas. Ce sont d’ailleurs ces valeurs qui ont le plus souffert en 2020…
Laurent Gauville – Exactement, il y a une parfaite symétrie. Les baisses constatées sur certains segments en 2020 ne s’expliquent pas pour des raisons économiques. Elles ouvrent donc un potentiel de rebond pour 2021.
Parlons de votre fonds, Immobilier 21. Quelle allocation aujourd’hui ?
Laurent Gauville – Notre positionnement, comme je l’ai déjà rappelé, est résolument value. Le résidentiel, pour les raisons que je viens d’évoquer, représente environ 40% de nos positions. Les centres commerciaux sont présents à hauteur de 25%. Pour bénéficier de ce rebond potentiel, sachant que les cours sont actuellement au même niveau qu’en mars 2020. Sur le segment du bureau, nous sommes plus sélectifs. Nous privilégions la thématique du bureau allemand, qui nous semble plus défensive. Le poste logistique se situe à environ 5%.
La logistique est pourtant très recherchée actuellement. Pourquoi seulement 5% ?
Laurent Gauville – Parce qu’il n’y a, en réalité, que 4 titres « logistique » dans le secteur immobilier coté en zone euro. Deux valeurs présentent des multiples compris entre 25 et 35 fois les bénéfices. Ce qui est incompatible avec notre discipline de gestion. Les deux autres sont plus « value compatibles ». Mais, pour des raisons de liquidité cette fois -un critère important dans notre style de gestion-, il ne serait pas raisonnable d’y allouer plus de 5% du portefeuille.
Contrairement à leur « habitude », si je puis dire, la volatilité des foncières a été très élevée en 2020. Quid de 2021 ?
Laurent Gauville – Qu’est-ce que la volatilité, en fin de compte ? C’est certes une tendance à la fluctuation. Mais c’est aussi une situation dans laquelle les sociétés ont un coût du capital tellement élevé que leur accès au marché coté n’est plus compétitif. L’année 2020, de ce point de vue, est un échec, et une grande déception. Le secteur doit travailler à réduire cette volatilité. A réduire la décote, pour que les foncières retrouvent un coût du capital compétitif. Cet objectif passera nécessairement par une obligation de distribution réaffirmée. Et pas une obligation de distribution qui mélange revenu et capital. On a bien vu l’argument mis en avant pour ne pas verser de dividende en 2020 : les pertes subies par les filiales. A procéder ainsi, on détruit l’engagement de distribution.
Il y a aussi l’attitude des investisseurs…
Laurent Gauville – Oui, la volatilité élevée constatée en 2020 est aussi liée au fait que les investisseurs qui souhaitaient réduire leur exposition au secteur immobilier ont vendu de l’immobilier coté. Parce que la vente d’immobilier physique est un processus long. C’est d’ailleurs tout l’intérêt de l’immobilier coté : la liquidité.
Autre sujet pour 2021, l’éventuel retour de l’inflation. Quel impact sur les cours des foncières cotées ?
Laurent Gauville – Tous les baux sont, peu ou prou, indexés. L’immobilier est donc un « proxy » face à l’inflation. C’est l’aspect positif. Maintenant, quand on parle de possible retour de l’inflation, on parle aussi de possible remontée des taux d’intérêt. Ce qui aurait un impact -négatif cette fois- sur les valorisations. C’est en tout cas la première analyse que font les marchés financiers : hausse des taux d’intérêt égale baisse des cours des foncières cotées. En réalité, la situation est aujourd’hui un peu plus compliquée. Car tout dépend du niveau auquel se situe la prime de risque. Il n’y a donc pas, selon moi, de relation systématique entre niveau des taux d’intérêt et valorisation des foncières.
Certaines foncières sont néanmoins plus endettées que d’autres ?
Laurent Gauville – Oui, mais sur des maturités de l’ordre de 6 à 7 ans. Ce qui signifie que l’impact économique est bien plus fort sur la partie revenus que sur la partie dettes. L’indexation des baux s’applique en effet à 100% du patrimoine. La hausse des taux, elle, ne porte que sur la dette, soit environ 40% des actifs engagés.
Dernier point : Immobilier 21 a innové sur le marché l’an dernier en mettant en place une distribution trimestrielle des dividendes. Avec quel objectif ?
Laurent Gauville – Il s’agissait à la fois de répondre à une demande de nos clients et de réaffirmer une conviction : la dimension « rendement » du secteur. Le principe mis en place est celui d’une distribution d’acomptes trimestriels (pour les parts AD), sur la base d’un rendement annuel indicatif. C’est une démarche qui se rapproche du modèle économique de l’immobilier non coté…
Propos recueillis par Frédéric Tixier
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A propos de Gestion 21(i)
Gestion 21 est une société de gestion indépendante créée en 2007. Son métier consiste à gérer des actions à long terme pour le compte d’investisseurs via des OPC ou des mandats institutionnels. Elle propose son expertise sur deux classes d’actifs : les actions françaises et les foncières cotées de la zone euro. Forte de l’expérience accumulée par ses gérants-fondateurs depuis plus de 20 ans, de ses travaux de recherche appliqués, du suivi approfondi et des rencontres avec les entreprises, l’équipe de gestion travaille avec patience et rigueur dans le but de réaliser des investissements profitables à long terme.
(i) Information extraite d’un document officiel de la société